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Engagement des employés : une délicate alchimie

L’engagement des employés a un impact fondamental sur la fidélisation, l’efficacité, la qualité du travail, le rendement et, au final, sur la performance de l’entreprise. Si les professionnels de la gestion des ressources humaines ont un rôle clé à jouer, ils ne sont pas les seuls : les gestionnaires d’équipe sont eux aussi en première ligne.

20 février 2012
Myriam Dubertrand

Pourquoi stimuler l’engagement des employés?

Pour de bonnes raisons : accroître la productivité, augmenter la qualité de service et le bien-être au travail, diminuer l’absentéisme et favoriser la fidélisation, créer un climat propice à l’attraction de nouveaux talents et, finalement, augmenter les résultats financiers de l’entreprise. Les chiffres parlent d’eux mêmes : d’après une étude du cabinet Towers Watson, réalisée sur trois ans auprès de 41 entreprises mondiales, les marges d’exploitation se sont améliorées de près de 4 % en moyenne, au sein des entreprises bénéficiant d’un engagement élevé des employés, alors qu’elles ont reculé d’environ 2 % dans celles qui affichaient un faible taux d’engagement. Des résultats corroborés par d’autres études...

Ainsi, à partir de l’exploitation de sa base de données mondiale, Towers Watson montre que les sociétés dont les employés sont peu engagés dégagent une marge d’exploitation de 9,9. La marge monte à 14,3 dans les entreprises qui bénéficient d’un engagement élevé et s’envole à 27,4 dans celles dont l’engagement des employés est exponentiel. Précisons que l’engagement exponentiel signifie que l’employé est engagé (attaché à l’organisation et disposé à fournir des efforts supplémentaires), habilité (il évolue dans un milieu de travail qui favorise la productivité et le rendement) et stimulé (bien-être individuel physique, social et affectif au travail).

« La notion d’engagement est de plus en plus cruciale car les ressources clés se raréfient, constatent France Dufresne, CRIA, chef de secteur, rémunération globale, talents et communication, et Cinthia Branco, conseillère chez Towers Watson. Une étude que notre cabinet a menée auprès de quatre cents entreprises, dont cent canadiennes, montre qu’il est difficile d’attirer et de fidéliser les talents. L’environnement économique reste aléatoire et en dents de scie, mais les entreprises ont intérêt à bien traiter leurs employés pendant cette période délicate, car ils s’en souviendront au moment de la reprise. »

Que désigne-t-on sous le terme engagement?
La notion n’est pas monolithique. Jacques Forest, CRHA, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, est un adepte de la théorie de l’autodétermination, élaborée principalement par Edward Deci et Richard Ryan, deux professeurs américains de l’Université de Rochester. Celle-ci définit quatre types de motivation, que Jacques Forest appelle les 4 F, pour Fun (plaisir au travail), Foi (utilité sociale, lien avec les valeurs personnelles), Fierté (maintien de sa réputation, estime de soi) et Fric (recherche de récompense, sécurité financière). Les deux premières constituent la motivation autonome et les deux autres forment la motivation contrôlée. L’engagement sera la résultante des types de motivation.

Catherine Privé, CRHA, présidente d’Alia Conseil, distingue quant à elle deux types d’engagement. Le premier est l’engagement affectif (ou de cœur). L’employé vient au travail par choix, par intérêt, par goût. Il est attaché à son travail, à son entreprise, à son responsable hiérarchique et à son équipe. Le deuxième type d’engagement, celui dit rationnel ou de tête, est plus calculé. L’employé évalue le rapport coûts/avantages de son emploi. Il tient compte de son salaire, des avantages sociaux, des conditions de travail… L’engagement rationnel est inversement proportionnel à l’employabilité.

Pour sa part, à l’engagement affectif et à l’engagement rationnel (qu’il nomme de continuité), Christian Vandenberghe, professeur à HEC Montréal, en ajoute un troisième : l’engagement normatif (ou moral), qui est celui des employés qui éprouvent un sentiment d’obligation morale et de loyauté envers leur employeur. Un employé engagé affectivement restera plus volontiers dans son entreprise et son efficacité sera élevée. Même chose avec l’engagement normatif, mais avec des effets d’une ampleur plus limitée. En revanche, l’engagement de continuité tend à réduire l’efficacité professionnelle. L’employé est, en quelque sorte, dans une cage dorée. Il ne veut pas perdre les avantages dont il bénéficie ou, pire, reste dans son entreprise faute de mieux, car il ne trouve pas d’emploi équivalent ailleurs.

Un rôle clé pour la fonction ressources humaines et les gestionnaires
Développer l’engagement relève d’une délicate alchimie. Les professionnels de la fonction ressources humaines et les gestionnaires de premier niveau ont un rôle clé à jouer pour réussir cette alchimie.

Les gestionnaires des ressources humaines influencent l’engagement par l’entremise de l’organisation du travail, du développement des compétences et de la mise en place de procédures transparentes, notamment en ce qui concerne les augmentations salariales ou les promotions. Pour Jacques Forest, « il est clair qu’un gestionnaire des ressources humaines doit tout faire pour stimuler la motivation autonome et diminuer la motivation contrôlée ». Le levier principal selon la théorie de l’autodétermination? La satisfaction de trois besoins psychologiques fondamentaux : la compétence (être bon, efficace, efficient), l’autonomie (agir en conformité avec ses valeurs et avoir le contrôle sur ce que l’on fait) et l’affiliation sociale (entretenir des relations mutuellement enrichissantes). « Ces besoins sont innés, universels et fondamentaux, peu importe l’âge, le pays ou encore la culture, insiste Jacques Forest. Le modèle est constant. » Leur satisfaction a pour conséquence d’augmenter la motivation autonome, donc l’engagement, tandis que leur frustration augmente la motivation contrôlée. Jacques Forest cite trois grandes sources de satisfaction (ou de frustration) des besoins psychologiques au travail, à savoir la rémunération, qui se doit d’être juste et équitable, les relations avec le supérieur immédiat et l’organisation du travail.

De l’huile dans l’engrenage de la part des gestionnaires...
« On choisit une entreprise pour des raisons rationnelles, mais on la quitte pour des raisons affectives, rappelle Catherine Privé. Or, les pratiques bâties par les services des ressources humaines touchent l’engagement rationnel et ne sont donc pas suffisantes. Pour illustrer cette assertion, disons que les professionnels en ressources humaines forgent l’engrenage, mais que l’huile nécessaire pour faire tourner la machine est fournie par les gestionnaires. Ainsi, si la fonction ressources humaines et les gestionnaires travaillent main dans la main, l’impact sera positif tant sur l’engagement de tête que sur celui de cœur. » Catherine Privé confirme que l’engagement affectif est d’abord stimulé par la qualité de la gestion d’équipe et les bonnes pratiques de supervision (présence de qualité, disponibilité, écoute). Par exemple, il y a fort à parier que le succès ou l’échec d’un programme de conciliation vie familiale/vie professionnelle sera lié à l’attitude du gestionnaire à cet égard. Encourage-t-il le programme ou lui est-il hostile? Met-il de l’huile dans l’engrenage ou un caillou?

Les gestionnaires de premier niveau doivent aussi impérativement veiller à préserver une certaine autonomie des membres de leur équipe et agir en soutien dans les moments difficiles. Ils doivent défendre les intérêts de leurs collaborateurs et ne pas oublier de reconnaître leur mérite de façon informelle (célébration des réussites, félicitations). « La qualité de la relation avec le supérieur hiérarchique est devenue aujourd’hui un meilleur indicateur du risque de démission que le niveau d’engagement envers l’organisation », note Christian Vandenberghe, qui regrette cependant que les gestionnaires soient plus prompts à sanctionner qu’à féliciter. Ils doivent aussi identifier les attentes individuelles, par des rencontres régulières avec leurs collaborateurs. « Un bon moyen d’éviter les malentendus », commente Christian Vandenberghe. Et, enfin, ils doivent faire participer les employés afin qu’ils puissent s’approprier les décisions.

Reste à préparer les gestionnaires de premier niveau à ce rôle. « C’est là un autre des rôles clés de la fonction ressources humaines : développer une véritable culture de gestion », souligne Christian Vandenberghe. « Hélas, les gestionnaires sont parfois davantage des administrateurs que de véritables gestionnaires. Certains d’entre eux sont en souffrance, constate Catherine Privé. Les entreprises devraient leur laisser plus de temps pour accomplir leur tâche de gestionnaire, indiquer plus clairement ce qui est attendu d’eux et aussi choisir les gens pour leurs qualités humaines plutôt que purement techniques. » Elle voit cependant une bonne raison de se réjouir. « On constate une augmentation importante des demandes de formation à la gestion en interne. » Même son de cloche chez Towers Watson : « Les organisations redécouvrent l’importance du rôle des gestionnaires de premier niveau », note France Dufresne, qui illustre par une étude de Towers Watson l’impact primordial du gestionnaire sur l’engagement : lorsque le manager reconnaît et apprécie le travail bien fait dans une entreprise offrant un cadre d’opportunités et de bien-être élevés, l’engagement des employés est de 91 %; par contre, il est de 77 % si l’appréciation du gestionnaire est faible. Les chiffres sont respectivement de 52 % et 33 % dans une entreprise offrant un cadre d’opportunités et de bien-être bas.

Très concrètement, en tant que chef d’entreprise, Catherine Privé, qui dirige un cabinet de cent personnes, applique en interne ce qu’elle préconise. « Les quatre leviers de l’engagement affectif sont la clarté des informations sur les objectifs et les actions à mener, les compétences (chacun a à sa disposition les outils nécessaires à sa tâche et est soutenu dans son action), l’influence (chacun est écouté et peut faire part de ses suggestions) et la reconnaissance existentielle (tout employé est reconnu à sa juste valeur et son travail est apprécié) », résume-t-elle, tout en précisant que ces piliers ne sont pas statiques et nécessitent donc d’être retravaillés en permanence. Elle illustre comment ces leviers sont appliqués chez Alia Conseil : afin de satisfaire le besoin de clarté, elle rencontre collectivement ses quatre directeurs de bureau lors d’une rencontre de direction qui se tient deux fois par mois. Toujours toutes les deux semaines, elle rencontre les directeurs, individuellement cette fois, pour parler de leurs projets et mandats, de leurs clients potentiels, des difficultés éprouvées… Les collaborateurs bénéficient ainsi d’un soutien et ont l’occasion de donner leur avis. Enfin, afin de développer le quatrième pilier de l’engagement, à savoir l’appréciation, elle organise différentes activités, comme un souper à son domicile avec ses collaborateurs directs ou l’envoi, à l’occasion des fêtes de fin d’année, d’une carte de vœux signée par elle-même et les directeurs, au domicile de chacun des employés du cabinet.

Dans un environnement économique particulièrement instable, l’engagement des employés est un des facteurs déterminants du succès des entreprises. Celles-ci doivent être convaincues que les gestionnaires sont les mieux placés pour fidéliser leurs troupes. Encore faut-il qu’elles leur en donnent les moyens.

Myriam Dubertrand, journalise indépendante

Source : Effectif, volume 15, numéro 1, janvier/février/mars 2012.


Myriam Dubertrand Journaliste spécialisée en ressources humaines et politiques sociales