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Dresser ou éduquer en SST?

Dresser ou éduquer en santé et sécurité du travail? Voilà une drôle de question. Pourtant, elle est très pertinente, car elle influence l’approche d’intervention et donc la portée des résultats. Nous présentons dans cet article une démarche et les résultats d’une approche humaniste appliquée à l’implantation d’une culture de prévention menée de janvier 2009 à juin 2010 dans une usine de métal comptant 180 employés.

3 décembre 2014
Yvan Deschamps | Renée Cossette

LA SST : un domaine sensible à l’approche empruntée

Les intervenants en santé et sécurité du travail consacrent beaucoup d’énergie à appliquer les programmes de prévention convenus et à inciter chacun à plus de prudence. On a fait de grands progrès dans la dernière décennie grâce à l’analyse accrue des risques et au contrôle des systèmes mis en place. Toutefois, il demeure encore un domaine où l’on a moins de contrôle, voire moins de connaissances : celui des comportements humains en milieu à risque. Pourtant, c’est un facteur clé qui influence significativement la courbe des résultats que l’on obtiendra.

Deux écoles de pensée s’affrontent

Sur le territoire québécois, deux écoles de pensée rivalisent pour influencer les comportements. Peut-être ne s’est-on jamais interrogé sur l’importance de ce sujet, reproduisant avec zèle ce que l’on a appris à l’université. Mais le système éducatif universitaire est aussi sous influence…

L’approche behavioriste

C’est une approche qui propose – pour obtenir les résultats désirés chez un sujet donné – de récompenser ou de punir le comportement. C’est toujours une instance extérieure qui décide si le comportement du sujet est jugé adéquat ou non, amenant les partenaires dans un mode contrôlant-contrôlé. Cette façon de procéder conduit tôt ou tard à un régime de mesures disciplinaires qui engendre un rapport de méfiance et de suspicion. Si l’on persiste dans ce mode d’intervention, on fait fausse route. Cependant, cette approche reste valable lorsqu’elle est appliquée chez le jeune enfant (alors que le langage n’est pas encore bien développé) et chez l’animal. Elle dresse. Mais elle s’avère déficiente lorsqu’elle s’adresse à des adultes, car elle limite l’autonomie, la libre-pensée et inhibe le désir d’initiative, pourtant des atouts nécessaires en présence de risques imprévus. Dresser mène à l’obéissance certes, mais tôt ou tard à la désobéissance.

L’approche humaniste

Cette approche nécessite sans doute plus d’engagement personnel, un laps de temps plus long que la dictée des consignes, mais elle assure des résultats durables à plus long terme, qui bonifient plusieurs habiletés et comportements et donnent une qualité d’être à la personne. Les adeptes de cette approche estiment que l’humain est un être en développement, qu’il possède un potentiel d’habiletés et d’aptitudes qu’il peut partager et mettre au service de son environnement si les conditions sont offertes. Outre les conditions matérielles, c’est dans la relation à l’autre et dans un climat de confiance (plutôt que de contrôle) que ce potentiel émerge. L’approche vise à ce que l’individu devienne pleinement autonome et capable de s’autogérer parce qu’il est mature dans son développement et qu’il a atteint une connaissance de lui-même suffisante. Éduquer mène à la conscience, donc à la responsabilisation.

Une démarche humaniste pour implanter une culture de prévention

Dans la recherche menée chez Cheminées Sécurité International, on voulait démontrer – dans le cadre de l’implantation d’une culture de prévention – qu’éduquer à la prévention ne nécessite pas plus de temps (si on se réfère aux comparatifs connus) que de dresser et permet, de plus, d’espérer des résultats plus soutenus.

Le point d’appui : former pour transformer

Dans les entreprises – et cela est nécessaire –, on offre de la formation technique en santé et sécurité ou des ateliers pour performer avec plus d’efficacité. Toutefois, pour développer un esprit axé sur la sécurité, il faut davantage ou autre chose. Outre l’analyse du risque, il faut amener chacun à être conscient du risque. L’amener à développer le goût de devenir préventif.

Prise de décision : s’améliorer ou exceller en SST?

Il n’y a pas de changement de comportements s’il n’y a pas, en amont, une prise de décision. Il faut donc réunir, s’il y a lieu, la partie patronale avec la partie syndicale afin de sonder l’engagement respectif et commun à implanter une culture de prévention dans l’entreprise. Cela demandera à chacun des efforts et de la détermination, mais l’aventure en vaut la peine. La question posée dans ce contexte est : veut-on simplement s’améliorer ou exceller en SST? L’enjeu diffère et influence la portée des résultats.

Inciter un changement d’attitudes chez tous les partenaires

Il est facile de dicter, de conseiller, de demander à l’autre d’adopter tel ou tel comportement sécuritaire, mais le véritable parcours débute en analysant ses propres attitudes et comportements en matière de santé et sécurité du travail. Ainsi, dans le cadre du programme de formation qui a été proposé chez Cheminées Sécurité International, chacun a été invité à un changement d’attitudes :

Le gestionnaire

  • Devenir aidant plutôt que gendarme
  • Voir au climat de confiance au sein des équipes.
  • Se connaître afin d’être en maîtrise de ses moyens, de son potentiel, d’être conscient de sa politique d’action et d’ajuster, s’il y a lieu, ses inconduites.

L'employé

  • Devenir entraidant – développer l’esprit d’équipe.
  • Devenir réfléchi afin de faire les gestes justes en cas de risque imprévu.
  • Se connaître afin de sonder son rapport au risque.

La formation en trois modules répartis en cinq journées avait pour but de stimuler les habiletés relevées ci-dessus.

Les résultats

Outre la formation en savoir-être, les gestionnaires et tous les intervenants en santé et sécurité dans l’entreprise ont été incités à améliorer les conditions liées à l’environnement (contrôle des risques connus, inspection, respect des règles et procédures, port des équipements, entretien, etc.). On estime que la rigueur ainsi apportée dans le milieu ajoutée à un climat de travail vivifié (communication, travail d’équipe, etc.) a permis d’arriver au tableau des résultats suivant émis six mois après la fin de l’intervention.

Indices
2008
31 déc. 2010 1
Résultats
Taux de fréquence (OSHA)2
200818,9
31 déc. 2010 11,55
RésultatsBaisse : 92 %
Jours perdus
20087,4
31 déc. 2010 10,00
RésultatsRéussite : 100 %
Jours perdus + assignation temporaire2
2008471,8
31 déc. 2010 17,75
RésultatsBaisse : 98 %
  1. Les statistiques de 2010 ont été revues sur une base de 6 mois (le projet ayant été complété en juin 2010). Les statistiques de 2008 sont sur une base annuelle.
  2. Basé sur 200 000 heures

Il faut ici donner son plein mérite à tout le personnel de Cheminées Sécurité International, car la démarche a été menée dans un contexte de crise économique où une baisse des commandes a entraîné 62 licenciements au cours de la période d’implantation. On sait que, dans un tel contexte, le taux des accidents est habituellement accru. Spécifions également que l’entreprise comptait des travailleurs de 19 nationalités, mais que ce sont les Québécois de souche qui avaient le plus d’accidents. Enfin, il est intéressant de rapporter que, lors de ce parcours de 18 mois pendant lequel la culture de prévention a été mise en place, l’entreprise a fait une économie de 265 000 $.

Coaching

Il n’est pas facile de développer un esprit préventif. Implanter une culture de prévention permet de formater les conduites, ce qui aide beaucoup chacun à ajuster ses comportements aux mœurs du milieu. Il est aussi impératif d’offrir aux personnes qui éprouvent une difficulté particulière ou aux individus réfractaires un service de coaching afin de travailler sur les croyances qui favorisent leurs conduites inappropriées dans un milieu comportant des risques. Ce service a été offert – et l’est toujours – à l’ensemble du personnel de l’entreprise.

Conclusion

Le comportement humain influence de façon manifeste les résultats en santé et sécurité. Les connaissances sont par ailleurs limitées lorsqu’il s’agit d’influencer avec intégrité les conduites en entreprise, notamment dans ce domaine. La formation – si elle accroît le niveau de conscience de la personne – s’avère le levier qui peut transformer les comportements attendus. Toutefois, il faut arriver à repérer un outil suffisamment sensible pour avoir une résonance sur plusieurs plans (professionnel, familial et personnel) dans la vie d’une personne.

On estime que la formation sur l’ennéagramme – un modèle de cartographie de la personnalité humaine – a joué un rôle majeur dans le changement d’attitudes et de comportements à l’égard de la santé et de la sécurité. Cet atout a manifestement contribué à consolider la culture de prévention dans l’entreprise. La formation a eu un grand impact sur les résultats dans cette usine (comme les résultats affichés dans le tableau de la page 57), ce qui donne de la crédibilité à ce qui n’est pas encore courant en SST : une formation humaniste utile dans toutes les sphères de la vie d’un individu.

En regardant de plus près ce qui a été vécu dans cette entreprise, on peut conclure que tout n’a pas été dit et exploré en matière d’éducation à la SST!

Renée Cossette, Ph. D., psychologue, présidente, CREANIM inc. et Centre québécois de l'ennéagramme

Source : Effectif, volume 17, numéro 5, novembre/décembre 2014.


Yvan Deschamps Directeur, ressources humaines Cheminées sécurité internationale ltée

Renée Cossette CRÉANIM