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Donner, c’est bon pour… les affaires

En Amérique du Nord comme en Europe, l’engagement communautaire a le vent dans les voiles. Multiplication des fondations philanthropiques, hausse des donations, apparition des salons du bénévolat, prix Reconnaissance et hommage, programmes de bénévolat d’entreprise, collecte de fonds, activités de soutien à la collectivité… les activités philanthropiques suscitent un véritable engouement. De même, le bénévolat, cette activité obligée (ou presque) de l’étudiant en quête d’expériences de « travail », s’est étendu aux professionnels les plus aguerris.

9 juillet 2009
Myriam Jezequel

Contribution sincère ou investissement rentable? Les deux, répondront les chefs d’entreprise qui ont à cœur, et à raison, de s’engager au sein de leur communauté et de s’afficher comme des modèles de responsabilité sociale. Mais devant la panoplie de nobles causes, comment choisir celles qui serviront le mieux les intérêts de la collectivité, des employés et de l’entreprise? Toutes les causes louables sont-elles également profitables? Voici le monde des actions charitables…

Célèbres et philanthropes
Les célébrités et philanthropes célèbres qui mettent leur talent ou leur richesse au service de leur prochain sont en quête d’une véritable efficacité. Un modèle du genre est la fondation Bill et Mélinda Gates, créée en l’an 2000 pour lutter contre les maladies et l’analphabétisme dans les pays du Sud et dotée de plusieurs milliards de dollars. Emboîtant le pas, Warren Buffett, deuxième homme le plus riche au monde, a versé quelque trente-sept milliards de dollars à l’organisation caritative de son ami Bill Gates. Du jamais vu ou presque… car selon le rapport annuel de la philanthropie aux États-Unis, Giving USA, les donations ont atteint des records ces dernières années.

Tournés vers l’efficacité…
La volonté d’améliorer le monde de ces nouveaux bienfaiteurs a aussi changé le visage de la philanthropie. C’est qu’il ne suffit pas à ces philanthropes de faire le bien; ils veulent en plus « bien le faire ». Ils dépensent leur argent avec autant d’efficacité qu’ils en mettent à le gagner. Les résultats visés doivent être concrets. En matière de solidarité comme en affaires, la bienfaisance se gère comme une activité à part entière. « Le temps a cessé où les entreprises donnaient des chèques en blanc; elles identifient des causes significatives pour l’entreprise et veulent connaître les bénéfices concrets de leur action », affirme Valérie Chort, associée de Deloitte et leader national de la responsabilité d’entreprise. Une solide stratégie de responsabilité d’entreprise est au cœur de l’engagement communautaire.

Le bénévolat : un monde à explorer
Épisode, cabinet-conseil en collecte de fonds, évalue qu’ils sont « plus de deux millions [de Québécois] à consacrer temps et talents à une cause, ce qui représente près de 310 millions d’heures de bénévolat annuellement! Ils siègent sur (sic) les conseils d’administration, les cabinets de campagne, les comités organisateurs ou offrent un soutien de première ligne dans l’un des vingt et un mille organismes à but non lucratif du Québec. Bon an mal an, à force de solidarité, de motivation et de mobilisation, ils amassent quelque 3 470 000 $ pour leur communauté ». Il y a de nombreux organismes tels le Centre d’action bénévole de Montréal qui a pour mission de promouvoir l’action bénévole auprès de la population ou Imagine Canada qui compte plus de cent vingt entreprises canadiennes au sein du Programme des entreprises généreuses.

Donner à sa façon
Ce ne sont pas les causes qui manquent, ni les moyens d’action. On n’a qu’à penser à Centraide, Jeunesse J’écoute, Opération Nez Rouge, etc. Fini le traditionnel don de fin d’année? Non, sauf que les actions charitables se sont grandement diversifiées. Par exemple, au-delà des dons en espèces, les Professionnels du pneu Alliance et Uniroyal ont eu l’idée de distribuer plus de vingt-six mille ballons de soccer, en deux ans, aux familles des jeunes joueurs. Deloitte, cabinet de services en affaires, services financiers et gestion du capital humain, a créé une Journée Impact consacrée aux actions bénévoles. Au cours de cette journée, quelque six mille employés construisent des terrains de jeux, distribuent des repas, aident de nouveaux immigrants, etc. À l’échelle internationale, des organisations comme la Croix Rouge ou la Fondation Défi Nature Suzuki sont vouées à des actions humanitaires ou environnementales. Plusieurs grandes villes canadiennes, dont Montréal, ont institué un conseil du bénévolat d’entreprise pour accompagner les organisations désireuses de s’investir dans une action caritative.

Charité bien ordonnée…
Selon la clientèle de l’entreprise, l’engagement bien orienté visera la population qu’elle dessert. La charité bien ordonnée commence donc par… servir sa communauté. Ainsi, les entreprises solidement implantées dans le paysage québécois renforcent leur visibilité par la commandite d’événements locaux (festivals, spectacles culturels ou rencontres sportives). Elles s’impliquent dans maintes causes communautaires touchant les sciences, la culture, l’environnement, le sport amateur ou la santé. Et les petites entreprises ne sont pas en reste. D’ailleurs, pour les encourager, le programme Faire la différence : des entreprises engagées pour une meilleure société, une initiative du Groupe Pages Jaunes, récompense annuellement ces petites entreprises qui s’investissent bénévolement dans leur communauté tout en atteignant leurs objectifs d’affaires.

Politique et éthique…
Plusieurs entreprises se sont dotées de programmes et de politiques sur la philanthropie. Ainsi, la Brasserie Molson énonce dans sa politique les conditions à respecter par les organismes de bienfaisance qui souhaitent la solliciter. Ces organismes doivent détenir un numéro d’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance. Ils doivent en outre agir dans les trois secteurs privilégiés par l’entreprise. Les dons doivent servir directement à la mise en œuvre du projet plutôt qu’au financement des coûts administratifs. Le personnel doit pouvoir y participer bénévolement s’il le souhaite. Une analyse des coûts pourra être exigée… De leur côté, certains organismes de bienfaisance se sont dotés d’un code d’éthique pour renforcer la confiance des donateurs.

Choisir sa cause : un choix stratégique
En donnant, peut-on faire d’une pierre deux coups? Outre des avantages fiscaux, les actions charitables suscitent la fierté et la mobilisation des employés qui aiment que les gestes suivent la parole. L’entreprise acquiert ainsi une certaine notoriété, ce qui lui permet d’attirer les candidats qui valorisent les organisations engagées dans des actions citoyennes. Patrimoine canadien évalue également que le bénévolat permet à l’entreprise de rehausser son prestige, de s’associer à une cause qui touche son bassin de clients, de mieux connaître cette communauté, de contribuer à améliorer le milieu de vie des employés, de leur donner l’occasion d’acquérir des compétences dans de nouveaux domaines, etc. Par ailleurs, selon Frumkin, dans Strategic Giving : The Art and Science of Philanthropy, l’action bénévole doit s’aligner sur les valeurs et les objectifs de l’entreprise et se centrer sur des causes essentielles. Par exemple, lorsque Desjardins Groupe d’assurances générales soutient financièrement Opération Nez Rouge, son action (la protection) s’accorde au marché de l’assurance. Comme quoi, les raisons de donner ne manquent pas…

Myriam Jézéquel, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 12, numéro 3, juin/juillet/août 2009.


Myriam Jezequel Écrivaine, chroniqueuse et chercheuse