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Comment recruter à l’international

Alors que plusieurs entreprises font face à une pénurie de main-d’œuvre, les professionnels de la gestion des ressources humaines doivent relever des défis stimulants reliés à un contexte d’affaires en constante évolution. Les différences entre le recrutement local et le recrutement international sont importantes, tant sur le plan du processus que sur celui de l’investissement en argent, en temps et en ressources. Les entreprises ont intérêt à leur apporter une attention particulière.

23 septembre 2008
Barbara Vyncke, CRHA, et Nathalie-Michèle Sylvain

Le recruteur


Lorsqu’il s’agit d’un recrutement local, le recruteur peut user de ses automatismes et de son expérience. Il connaît le marché, sait comment établir les critères de sélection, connaît bien les diplômes existants ainsi que les reconnaissances professionnelles. Il sait reconnaître un curriculum vitae intéressant d’un coup d’œil, a acquis des habiletés et de bonnes techniques d’entrevue, sait décoder le langage non verbal et s’en tient aux connaissances et à l’expérience techniques et professionnelles du candidat.

Que faire lorsqu’il faut recruter à l’étranger? Ceux qui ont tenté de transposer le même modèle peuvent en témoigner : chacune des étapes du processus présente un nouvel élément dont il faut tenir compte afin de bien protéger l’investissement.

Où recruter?
La première étape consiste à étudier le marché que l’on veut cibler. Où aller ? Cherche-t-on des ingénieurs? Des travailleurs d’usine? Des techniciens? Quels pays offrent un bassin démographique qui répond aux besoins? Quelles y sont les équivalences de formation? Le diplôme universitaire du pays étranger équivaut-il à celui du pays d’accueil? L’ordre professionnel reconnaîtra-t-il s’il y a lieu ce diplôme ou cette expérience? Toutes ces réponses permettront de bien déterminer les pays à cibler. Il faudra alors identifier des collaborateurs locaux. Quel média? Quelle agence locale? Comment positionner son entreprise? Comment vendre le Canada, le Québec et l’entreprise?

Le curriculum vitæ
La lecture d’un curriculum vitæ d’outremer comporte son lot de surprises : âge du candidat, statut civil, photo et parfois même religion. Que faire de tous ces renseignements que nous ne demandons jamais en tant que Nord-américains? Devant les coûts importants d’un déménagement, comment rester neutre devant un énoncé tel que « 55 ans, marié, père de 8 enfants »? Nous avons appris à ne jamais demander cela, mais jamais à en faire fi! Voilà une des plus grandes différences entre l’embauche locale et l’embauche internationale : le facteur vie privée du candidat. Lors d’un recrutement international, on ne pourra départager clairement la vie professionnelle et privée du candidat.

Outre la nature même des renseignements fournis, la culture nationale colore le curriculum vitæ. Certaines cultures valorisent l’accomplissement individuel : le curriculum vitæ sera empreint de « je » et de « mon ». D’autres valorisent davantage la réussite de groupe; il sera difficile pour un recruteur nord-américain d’y déceler la contribution individuelle du candidat à un projet. Facile alors de rejeter des candidats qu’on aurait peut-être dû retenir.

Les entrevues : terrain fertile pour les biais culturels
L’entrevue de présélection sert de filtre pour évaluer le sérieux du candidat. Est-il vraiment prêt à être déplacé vers le pays d’accueil ou cherche-t-il seulement à connaître sa valeur marchande hors frontières? Maîtrise-t-il assez bien la langue pour son travail? En a-t-il discuté avec sa famille? Nous connaissons déjà les questions que nous ne pouvons poser, mais comment ne pas tenir compte de certains renseignements qui auront un impact sur la demande d’immigration du candidat?

Pour sa part, l’entrevue de sélection a pour but d’aller au-delà du curriculum vitæ. Or, les attentes quant aux comportements au travail diffèrent d’une culture à l’autre. Alors qu’au Québec, on recherche souvent quelqu’un qui a fait preuve d’initiative et d’autonomie, ces traits ne sont pas toujours valorisés dans d’autres cultures. Une question comme « Qu’avez-vous fait la dernière fois où vous avez été en désaccord avec votre supérieur? » rendra perplexe plus d’un candidat étranger. Les questions qui visent à évaluer l’apport de l’individu à son équipe resteront sans réponse de la part de candidats qui viennent d’une culture où un groupe est un tout et non une collection d’individus. Le recruteur qui n’est pas sensibilisé à l’impact des différences culturelles sur les comportements et les attentes risque fort de mal interpréter les réponses des candidats.

La langue joue un rôle important. Le recruteur doit ajuster son débit et son vocabulaire à l’aisance linguistique du candidat. De plus, lorsque la langue n’est pas un facteur déterminant pour le poste, le recruteur doit éviter de surévaluer les compétences d’un candidat uniquement parce qu’il maîtrise la langue de l’entrevue ou de sous-estimer celles d’un candidat qui communique plus difficilement. Certaines subtilités linguistiques régionales peuvent également engendrer une mauvaise interprétation des propos même lorsque le recruteur et le candidat parlent la même langue.

La gestuelle, le ton de voix, le regard sont tous des éléments de communication non verbale teintée de la culture nationale.

De plus, il faudra sérieusement tenir compte de certains traits de personnalité du candidat : comment vivra-t-il le changement? Saura-t-il s’ajuster à la vie dans le pays d’accueil? Peut-il tolérer l’incertitude qui accompagne inévitablement tout changement de pays? Sera-t-il capable de tisser de nouveaux liens sociaux? L’entreprise devra veiller à bien évaluer la capacité d’intégration du candidat et de sa famille, par l’entremise de certains tests psychométriques ou de spécialistes. Elle devra ensuite s’assurer d’offrir le soutien nécessaire à cette intégration, car le lien direct entre l’embauche du candidat et la famille qui l’accompagnera est au cœur de la particularité du recrutement international.

Les conditions de relogement
Pour toute entreprise prévoyant recruter à l’étranger, une étape critique de la préparation est la définition des conditions de relogement offertes aux candidats étrangers. Au delà des bénéfices propres au contrat d’emploi usuel, les conditions reliées à la relocalisation de l’employé auront un impact majeur sur la décision du candidat. Le rendement de l’investissement se trouvant dans la conservation de l’employé étranger, il est dans l’intérêt de l’entreprise d’assurer non seulement un relogement sans heurts pour l’employé et sa famille, mais également une intégration dans le milieu de travail ainsi que dans la culture d’accueil.

L’entreprise devra donc définir son positionnement quant au soutien relatif au relogement d’un employé étranger, soit :

  • le processus d’immigration;
  • le déménagement des biens;
  • les billets d’avion vers le nouveau lieu de travail;
  • l’assistance fiscale (consultation fiscale, préparation pour remboursement d’impôt);
  • la recherche d’un logement et d’une école;
  • les frais reliés au séjour en logement temporaire avant l’arrivée des biens déménagés;
  • la formation interculturelle et le soutien au conjoint (recherche d’emploi, de programmes d’études, de cours de langue, de bénévolat).

La générosité des conditions de relogement offertes à un candidat étranger peut être définie par l’entreprise en fonction de deux éléments : sa compétitivité dans son secteur d’affaires et sa vision du rendement de son investissement. Une entreprise spécialisée dans un secteur hautement compétitif et dépendant du recrutement de ressources étrangères devra offrir des conditions d’emploi et de relogement particulièrement attrayantes aux candidats étrangers. Parallèlement, une entreprise avec une vision à long terme misera autant sur l’offre de conditions financières compétitives et de soutien en amont du processus de relogement que sur l’intégration de l’employé à la culture de l’entreprise et à la société d’accueil. L’entreprise se concentrera autant sur le conjoint que sur l’employé, afin d’assurer l’intégration de l’unité familiale. L’insatisfaction du conjoint est la raison la plus souvent citée lors de l’échec d’un relogement.

Un autre aspect à considérer durant le processus de recrutement est l’importance pour les ressources humaines d’être outillées pour faire la promotion du pays, de la province et de la ville d’accueil. Après tout, le candidat envisage non seulement un nouvel emploi, mais aussi un nouveau lieu de vie! Des outils tels que l’analyse du différentiel du coût de la vie entre la ville d’accueil et la ville d’origine du candidat peuvent offrir une idée concrète du pouvoir d’achat du candidat avec le salaire offert. Des informations relatives aux programmes gouvernementaux dont le candidat pourrait bénéficier (permis de travail pour conjoint de travailleur étranger, garderies subventionnées, crédits d’impôt, prestations familiales, régime d’assurance maladie, etc.) peuvent être un facteur clé dans la négociation de l’offre d’emploi.

Les étapes du relogement
Un aspect additionnel à ne pas négliger est le délai entre le choix d’un candidat et son entrée en poste. En effet, une multitude d’étapes doivent être franchies avant que le nouvel employé puisse se rendre à destination, surtout s’il est accompagné d’une famille. Il est donc important que l’entreprise tienne compte de cette complexité propre au recrutement international.

Le processus d’immigration est une importante source de délais. Selon le secteur d’activité et le poste qu’occupera le candidat étranger, l’entreprise pourrait être tenue de démontrer aux autorités gouvernementales qu’elle a au préalable tenté de pourvoir le poste à l’intérieur du pays. De plus, la citoyenneté du candidat étranger peut avoir un impact important sur la durée du processus d’immigration. Lorsque l’entreprise entreprend la présélection d’un candidat, il est donc bon d’évaluer les délais du processus d’immigration.

L’arrivée du nouvel employé pourrait également être retardée s’il désire attendre la fin de l’année scolaire ou s’il négocie un voyage de reconnaissance préalable durant lequel il recherchera un logement et une école. De plus, le délai relié au déménagement des biens peut ajouter plusieurs semaines au processus.

L’effort investi dans le recrutement international ne prend pas fin lors de l’entrée en fonction de l’employé, car sa conservation dépendra de son intégration à long terme. Le soutien continu offert par l’entreprise, comme la formation interculturelle et le soutien au conjoint, augmentera nettement la probabilité de fidélisation du nouvel employé.

Bref, le recrutement international représente un important investissement pour toute entreprise. Celle-ci bénéficiera d’un bon rendement de son investissement si elle reconnaît tout d’abord l’importance d’une préparation et d’une adaptation adéquates de son processus de recrutement et de l’intégration de l’employé et de sa famille.

Barbara Vyncke, CRHA, directrice générale, Primacy Relocation, et Nathalie-Michèle Sylvain, consultante en adaptation interculturelle, Transitare

Source : Effectif, Volume 11, numéro 4, septembre/octobre 2008


Barbara Vyncke, CRHA, et Nathalie-Michèle Sylvain