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Comment influencer les politiques publiques au Québec?

Depuis la Révolution tranquille, le Québec a connu de profonds bouleversements, sur tous les plans.

7 mai 2013
Carmel Laflamme

Par l’évolution de son économie, de sa culture ou de sa création artistique, la société québécoise d’aujourd’hui est passablement différente de celle de 1960.

L’un des changements les plus significatifs est la place de plus en plus importante de l’État. Aujourd’hui en effet, il est difficile de trouver un aspect de la société qui ne soit pas soumis sous une forme ou sous une autre à l’intervention étatique.

Cette présence croissante de l’action gouvernementale dans le quotidien des Québécois a entraîné une complexification de l’administration publique aux niveaux fédéral, provincial et municipal. Parallèlement à ce phénomène, on a constaté une progression fulgurante du nombre d’associations en tous genres créées pour représenter des intérêts fort variés, en réponse justement au rôle accru de l’État dans la société. Fondé en 1969, le Conseil du patronat du Québec est apparu dans cette mouvance.

Dès lors, les politiques publiques des gouvernements ont non seulement été implantées dans des sphères d’activité de plus en plus étendues, mais sont aussi devenues en grande majorité le résultat de consultations des décideurs gouvernementaux auprès d’organisations de la société civile représentant différents groupes. C’est ce que les experts appellent la « gouvernance partagée ».

Dans ce contexte, les acteurs situés à l’extérieur du cénacle autrefois très opaque de l’administration publique exercent aujourd’hui une influence considérable sur les politiques publiques. Plusieurs mécanismes formels et informels, la plupart réglementés par des lois sur le lobbyisme, sont à leur disposition. Un bref survol de ces outils permettra de mieux comprendre le processus d’élaboration des politiques publiques et de voir comment les actions de certains individus ou organisations peuvent avoir un impact important sur l’ensemble de la société.

L’influence traditionnelle
Plusieurs instances officielles permettent aux citoyens et aux groupes issus de la société civile de faire entendre leur voix auprès des décideurs gouvernementaux.

Les instances gouvernementales
Plusieurs ministères et organismes publics et parapublics ont mis sur pied une pléthore d’organismes-conseils, de comités consultatifs ou de groupes de travail auxquels sont appelés à participer divers représentants d’organisations, que ce soit sur une base régulière ou ad hoc. Les acteurs qui participent à ces instances bénéficient ainsi d’informations sur le processus de mise en œuvre des politiques publiques et peuvent y accéder de façon privilégiée en exerçant une influence directe et constante sur les enjeux qui sont abordés et sur les décisions qui en découlent.

À titre d’exemple, les dirigeants du Conseil du patronat, par leur fonction de représentants des employeurs du Québec, siègent aux conseils d’administration de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail et de la Commission des partenaires du marché du travail. Ils font aussi partie du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre, du Conseil des partenaires économiques du gouvernement du Québec et du Comité d’intervenants économiques auprès du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles.

À cette participation régulière s’ajoute une collaboration formelle à des comités provisoires créés pour étudier des questions qui interpellent la communauté des affaires, tel le Groupe de travail sur la simplification réglementaire et administrative, mis sur pied en janvier 2011 et dont le mandat s’est terminé en janvier 2012.

Les consultations gouvernementales
Outre ces tribunes établies, les décideurs consultent régulièrement les acteurs de la société civile à propos de projets de loi, de règlements, de politiques, de budgets, etc. Ces consultations peuvent se faire par l’entremise de commissions parlementaires (à Québec) ou de comités permanents (à Ottawa) ou encore de consultations gouvernementales réalisées par des ministères, des organismes publics ou différents comités ou groupes de travail.

Les groupes et les citoyens sondés peuvent soumettre leurs commentaires et leurs recommandations à des élus ou à des fonctionnaires, habituellement sous forme écrite, sur les éléments qui, selon eux, devraient être ajoutés, modifiés ou retranchés des documents soumis à la consultation. Les mémoires présentés peuvent être complétés par des audiences publiques ou privées où les organisations peuvent résumer ou préciser certains points et répondre à des questions d’éclaircissement afin de bien communiquer leurs messages clés.

Les communications et les rencontres privées
Au-delà de ces mécanismes d’influence formels, il est toujours possible pour des groupes et des citoyens de communiquer de leur propre chef aux décideurs gouvernementaux leurs préoccupations et leurs propositions sur des enjeux qui les touchent particulièrement. Ces communications peuvent se faire verbalement ou par écrit, sous forme de lettres ou de rencontres privées avec des ministres, des députés ou des fonctionnaires. Bien entendu, l’intérêt des décideurs concernés à tenir compte des commentaires reçus est en général proportionnel à l’influence et à la représentativité de l’organisation qui les transmet, selon la nature des questions discutées et des acteurs concernés.

Autres moyens traditionnels
Outre ces trois outils conventionnels, il existe peu de véhicules classiques pour influencer directement les politiques publiques dans les législations canadienne et québécoise. Les personnes morales ne peuvent en effet pas voter lors d’élections et, contrairement à certains pays comme les États-Unis, les organisations ne peuvent pas contribuer financièrement aux caisses électorales des candidats et des partis politiques. Les particuliers, bien sûr, peuvent faire des dons de nature politique, mais qui demeurent limités et risquent de l’être encore plus dans un avenir rapproché. En outre, la mauvaise presse de certaines activités de financement électoral, ces dernières années, risque de décourager à court et à moyen termes plusieurs électeurs pourtant bien intentionnés d’utiliser cette pratique tout à fait légale, de peur d’être soupçonnés injustement de tentative de corruption.

Les nouveaux mécanismes d’influence
Au cours des dernières décennies, les changements technologiques et les nouveaux moyens de communication ont rendu disponibles toute une série d’outils qui permettent aux citoyens et aux groupes de faire entendre leur voix pour tenter d’influencer indirectement les politiques publiques. Voici les plus importants.

La mobilisation populaire, les coalitions et les campagnes d’information et de sensibilisation publique
L’arrivée et la diversification des médias électroniques ont intensifié l’usage de l’espace public comme outil de pression par les groupes – particulièrement ceux qui ne bénéficient pas des mécanismes d’influence traditionnels énumérés précédemment – et d’en faire une tribune de choix pour faire valoir leurs préoccupations. En effet, les décideurs politiques, étant responsables auprès de l’électorat, demeurent particulièrement sensibles à l’opinion publique afin de s’assurer de plaire à la majorité. Dans ce contexte, les organisations qui réussissent à occuper le débat public maximisent leurs chances d’avoir l’oreille des décideurs concernés.

Voilà qui explique pourquoi la mobilisation populaire ou citoyenne, sous différentes formes, peut influencer significativement les politiques publiques. Que ce soit par des manifestations, des pétitions ou des campagnes de communication par courriel, par téléphone ou par lettre de citoyens aux élus locaux, les outils permettent de signifier aux gouvernements l’appui d’une partie importante de la population à une position sur un enjeu donné.

Ce soutien de l’opinion publique frappe encore davantage l’imaginaire lorsqu’il prend la forme de coalitions de citoyens ou de groupes qui, au-delà de leurs intérêts propres, s’allient autour d’une position commune dans le but de faire pression sur les décideurs pour les inciter à mettre en œuvre des politiques publiques (ou à y renoncer). La force du nombre, qu’elle soit réelle ou artificielle, prend alors tout son sens.

Par ailleurs, on observe que de plus en plus d’organisations ont recours à des expertises externes et indépendantes pour appuyer leur positionnement au regard de différents dossiers. Cet appui peut prendre la forme d’enquêtes d’opinion, d’études scientifiques ou de rapports d’analyse réalisés par des experts (chercheurs universitaires, groupes de réflexion, etc.). Ce recours à une expertise neutre et objective peut donner de la crédibilité à l’argumentaire présenté par un groupe dont les motivations et les intérêts sont bien connus.

Les médias traditionnels
Pour que les différentes tactiques présentées plus haut puissent avoir une influence sur les politiques publiques, elles doivent nécessairement être connues des décideurs et donc être véhiculées par des médias traditionnels (presse écrite, radio, télévision). Autrement, il est fort possible qu’elles aient un effet limité, voire nul.

Par ailleurs, en combinant ces outils à différentes activités médiatiques conventionnelles (diffusion de communiqués de presse, publication de lettres d’opinion, entrevues, conférences de presse, publicités, etc.), un groupe peut s’assurer une visibilité suffisamment importante dans les médias pour interpeller les élus concernés; il peut ainsi espérer faire ajouter un enjeu à l’ordre du jour gouvernemental et même orienter la façon dont il est défini dans l’espace public, donc maximiser la probabilité que les solutions pour y répondre correspondent à celles qu’il propose.

Le web et les médias sociaux
L’explosion numérique des deux dernières décennies a mis à la disposition des citoyens et des groupes deux autres mécanismes dont l’impact sur les politiques publiques ne cesse de croître: le web et les médias sociaux.

Le web permet de joindre un public plus large que les médias traditionnels; en effet, en quelques clics dans un site Internet, on peut obtenir toute l’information nécessaire sur un groupe, sur ses positions, sur son argumentaire, sur ses activités, etc. Bien souvent, il s’agit d’une ressource de base qui permet à un groupe de contrôler ses messages tout en faisant preuve de transparence et en ayant une vitrine à un coût minime que tout le monde sur la planète peut consulter.

Depuis quelques années, le rôle de plus en plus important exercé par les blogues et les réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, a créé par ailleurs une nouvelle dynamique grâce à laquelle il est possible de partager instantanément de l’information sur un enjeu donné et de joindre rapidement des milliers d’internautes. La relation de rétroaction et de dialogue transforme radicalement la relation entre les institutions et les citoyens et permet aux groupes d’influencer les politiques publiques en mobilisant leur base.

Conclusion
À la lumière de ces différents mécanismes d’influence, il semble clair que les politiques publiques, tant au Québec qu’au Canada, résultent de moins en moins de décisions gouvernementales prises en vase clos et appliquées de façon unidirectionnelle; elles sont plutôt le résultat d’une série de consultations auprès de citoyens et de groupes concernés.

Dans cette perspective, le rôle de la société civile s’avère de plus en plus essentiel pour les gouvernements, qui doivent tenir compte du point de vue des acteurs interpellés par les politiques publiques mises en œuvre afin de s’assurer qu’elles sont implantées avec succès et produisent les résultats escomptés.

Carmel Laflamme, CRHA, MBA, Adm. A., vice-présidente – santé et sécurité du travail, Conseil du patronat du Québec

Source : Effectif, volume 16, numéro 2, avril/mai 2013.


Références bibliographiques

Pour en savoir davantage sur les mécanismes d’influence des politiques publiques

Blanc, Michelle. Les médias sociaux 101, Les Éditions Logiques, Montréal.

Facal, Joseph. 2010. Comprendre et influencer les gouvernements, Les Éditions Transcontinental, Montréal.

Hébert, Martine. 2003. Les secrets du lobbying ou l’art de bien se faire comprendre du gouvernement, Les Éditions Varia, Montréal.

Motulsky, Bernard et René Vézina. 2008. Comment parler aux médias, Les Éditions Transcontinental, Montréal.


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