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Cadeaux ou pots-de-vin?

Depuis trois ans, Johanne est directrice des ressources humaines de l’entreprise XYZ. Un jour, elle reçoit une plainte anonyme concernant Alexandre, qui est acheteur pour l’entreprise depuis cinq ans. Selon l’auteur du message, Alexandre reçoit beaucoup de cadeaux de la part des fournisseurs de l’entreprise. Dans sa plainte, il accuse même Alexandre d’accepter des pots-de-vin. Il juge la situation injuste pour les autres employés. Cadeaux ou pots-de-vin, Johanne se demande quoi faire devant une telle situation…

1 novembre 2010
Pierre Paquette, CRIA, et Michel Amyot, CRHA

Bien préparer le dossier...
Par Pierre Paquette, CRIA, président, Corpo Diagnostic conseils en gestion

Cette plainte anonyme commande une action de la part de Johanne. Si la plainte est fondée, elle signifie qu’Alexandre est en conflit d’intérêts et qu’il fait face à un congédiement. Johanne doit répondre à trois questions : a-t-il reçu des cadeaux et des pots-de-vin, de quelle nature sont-ils et, sans égard à la réponse, l’organisation est-elle fautive?

C’est la responsabilité de l’entreprise d’aider ses employés à éviter des situations qui risquent d’interférer avec leur impartialité dans la prise de décisions. Elle devrait avoir élaboré un code d’éthique, une politique ou des règles en ce sens.

Procéder à une enquête
Comme tout dossier disciplinaire traité par le service des ressources humaines, Johanne doit traiter celui-ci avec vigilance et confidentialité. Il est important de recueillir les faits et les preuves pour documenter le dossier. L’entreprise devrait avoir créé l’obligation de divulgation en cas de réception de cadeaux ou de privilèges. Ainsi, le service des ressources humaines ou le supérieur immédiat d’Alexandre devraient être informés de tout échange de courtoisie dans lequel il est impliqué. Le supérieur hiérarchique devrait exercer un rôle décisionnel, devenant ainsi un collaborateur important de l’enquête. Il faudra également identifier des personnes qui auraient pu être témoins des agissements d’Alexandre. Mais est-ce un cas isolé ou généralisé?

Ensuite, il faudra répondre à plusieurs questions. Ces cadeaux ou pots-de-vin :

  • risquent-ils de biaiser le jugement d’Alexandre?
  • sont-ils de valeur modeste, tels un repas ou une activité sportive qui peuvent être jugés acceptables pourvu qu’ils demeurent occasionnels et réciproques?
  • sont-ils reliés aux affaires de l’entreprise?
  • créent-ils une obligation quelconque?
  • peuvent-ils créer un malaise parmi les pairs (autres fournisseurs, employés, organisation)?
  • ont-ils été approuvés par le supérieur immédiat?
  • ont-ils une influence sur les négociations contractuelles?

Si les cadeaux ont été livrés au domicile d’Alexandre, une agence professionnelle d’investigation peut s’avérer utile mais dispendieuse.

Un spécialiste en droit du travail devrait collaborer à l’élaboration du dossier. Car ce litige peut placer l’organisation dans l’embarras si les preuves ne sont pas suffisantes, la jurisprudence bien analysée et le dossier bien préparé. Si des accusations sont portées contre l’employé, des preuves insuffisantes peuvent conduire Alexandre à entreprendre un recours pour préjudices.

Évaluation, validation, décision
Johanne doit juger de la gravité du geste, évaluer le coût d’une éventuelle poursuite, évaluer les moyens pris par l’entreprise pour prévenir cette situation, envisager une mise à pied temporaire ou le congédiement, évaluer les retombées sur l’organisation.

Une fois les faits identifiés et l’avis juridique obtenu, elle doit valider les preuves en donnant à Alexandre la chance de s’expliquer. Croit-il avoir obtenu la permission de son patron? Il passera probablement aux aveux si les preuves sont bien étoffées. Sinon, ce sera le lien de confiance qui sera rompu.

Elle doit aussi évaluer les risques qui sont associés à chaque décision. Celle-ci sera basée sur l’intégrité des valeurs organisationnelles et de ses dirigeants.

Tirer profit de ses expériences
Cette situation contient beaucoup de « si ». Comme ce dossier a un fondement anonyme, une très grande vigilance est de mise. Chose certaine, l’organisation devra mettre en œuvre une politique qui permettra d’éviter que des événements semblables ne se reproduisent et surtout s’assurer qu’elle soit bien communiquée et comprise.

 

Agir avec prudence
Par Michel Amyot, CRHA, président, Michel Amyot & Associés

Johanne se trouve dans une situation des plus délicate. Son dilemme consiste à concilier deux droits. D’abord, celui de l’entreprise à prendre les mesures pour contrôler ses coûts – un fournisseur étant incité à intégrer le pot-de-vin dans son prix – et pour protéger sa réputation, car les pots-de-vin éloignent des fournisseurs potentiels; tout se sait en effet. Ensuite, et ce droit est tout aussi important, le droit d’Alexandre à sa réputation s’il est innocent et Johanne doit présumer qu’il l’est. Pour aider Johanne à résoudre ce problème, voici donc la démarche que nous lui proposons.

Double objectif

  • Protection de l’entreprise sous deux aspects : contrôle de ses coûts et protection de sa réputation (Johanne doit tout faire pour que son entreprise ne devienne pas un mini ENRON ou TYCO).
  • Protection de la réputation d’Alexandre.

Critères de décision

  • Coûts financiers éventuels :
    • enquête;
    • coût des biens et services;
    • poursuites.
  • Impact sur la réputation de l’entreprise.

Faits
La plainte ne fait état d’aucun cas précis d’acceptation de pot-de-vin ou de cadeau.

Facteurs

  • Nature anonyme de la plainte.
  • Politiques de l’entreprise : l’entreprise a-t-elle des politiques explicites ou implicites régissant les comportements reprochés à Alexandre?
  • Historique : l’entreprise s’est-elle déjà trouvée dans une situation semblable ou similaire?
  • Dossier Alexandre : des bruits du même ordre que ceux dénoncés ont-ils déjà circulé au sujet d’Alexandre? S’est-il déjà mis dans une situation problématique? A-t-il déjà reçu un avertissement de quelque nature que ce soit?
  • Caractéristiques des intervenants : avant de faire part de cette plainte, Johanne devra s’armer de la discrétion et du jugement de ces intervenants.
  • Législation : Charte des droits et libertés, Code civil du Québec, etc.

Options qui s’offrent à Johanne :

  1. ne rien faire;
  2. enquêter elle-même et seule;
  3. remettre le cas au supérieur hiérarchique d’Alexandre;
  4. rechercher une solution avec le supérieur hiérarchique;
  5. donner un mandat à un enquêteur privé;
  6. demander à un corps policier d’enquêter.

Décision
Johanne ne peut ignorer cette plainte : le fait qu’elle soit anonyme n’implique pas nécessairement qu’elle soit fausse (option 1). De plus, dans l’état actuel du dossier, elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour justifier une intervention externe (options 5 et 6).

Johanne ne peut pas non plus résoudre seule ce problème (option 2). Son lien avec Alexandre n’est que fonctionnel. Elle doit obligatoirement impliquer le supérieur hiérarchique. En même temps, elle ne peut transférer la responsabilité totale du problème au supérieur hiérarchique (option 3). Dans un cas qui a des implications disciplinaires, elle se doit de demeurer une intervenante.

Il lui reste donc l’option 4 : rechercher une solution avec le supérieur hiérarchique.

En terminant, trois conseils qui s’adressent à Johanne :

  • l’absence de faits doit l’inciter à la plus grande prudence;
  • elle doit décider à quelle étape du processus Alexandre doit être avisé de l’existence de la plainte; le plus tôt sera le mieux;
  • elle doit aussi décider du moment où la haute direction devra être avisée.

Source : Effectif, volume 8, numéro 2, avril/mai 2005


Pierre Paquette, CRIA, et Michel Amyot, CRHA