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ANALYSE DU PROFESSEUR - Pour instaurer une nouvelle culture : COMMUNICATION ET FORMATION

Les trois questions de ce cas sont des plus classiques : exposer la compréhension générale du cas, souligner les enjeux auxquels la direction doit faire face, recommander des stratégies générales et préciser des actions pour les réaliser. Le plan de présentation est donc clair.

13 septembre 2005
Frédéric Potok

Le mandat est également clair : recommander un scénario favorisant l’intégration dans un seul endroit des employés des deux usines, et ce, dans un délai de trois mois. Des actions concrètes donc, mais également accompagnées d’un échéancier. Toutefois, il ne faut pas se limiter à ce seul mandat. D’autres éléments importants peuvent être communiqués à la direction de l’entreprise, qui n’en sera que plus satisfaite.

Situation générale
Transcontinental est une entreprise en croissance rapide. Leader dans son domaine, elle croît grâce à une intégration tant horizontale par l’acquisition d’imprimeries, notamment en dehors du Québec, que verticale dans l’édition et l’impression de produits marketing. Désirant continuer son expansion et pallier ainsi la saturation du marché québécois, le groupe décide de se tourner vers les provinces maritimes et acquiert deux quotidiens situés dans deux petites villes différentes et qui utilisent leurs propres presses. Malheureusement, les imprimeries sont désuètes et poussent Transcontinental à construire une nouvelle usine à la fine pointe de la technologie. Dès lors, le défi pour Transcontinental est de réunir dans une même entreprise des employés des deux anciennes usines.

Analyse de la problématique
La situation est délicate à plusieurs égards. Tout d’abord, 50 % des employés seront licenciés ; il s’ensuit une ambiance de stress et de méfiance envers la nouvelle direction. Les « survivants » pourraient ressentir un sentiment de culpabilité, tandis que les autres, moins chanceux, se sentiront abandonnés.

Pour les directions des imprimeries, voir leur entreprise rachetée peut être interprété comme un constat d’échec. Le fait également que Transcontinental ne désire pas garder les deux imprimeries telles quelles peut être perçu comme une forme de désaveu. Ceci peut engendrer une perte de motivation, un sentiment d’incompétence et une baisse de l’estime de soi.

Jusqu’à présent, les deux imprimeries étaient en compétition, chacune estimant être la plus compétente. Cette compétition interorganisationnelle peut facilement dégénérer en conflit intra-organisationnel dans la nouvelle entreprise.

La gestion des deux anciennes entreprises – par compétence technique et professionnelle (le savoir-faire) – était technocratique, alors que celle de Transcontinental est plutôt tournée vers le savoir-être. Il y a donc deux philosophies de gestion en opposition. Ces philosophies sont d’autant plus antagonistes que les deux imprimeries favorisaient des tâches spécialisées et effectuées individuellement, alors que Transcontinental favorise le travail d’équipe, le désir d’amélioration continue, l’entrepreneuriat et la polyvalence.

Les anciennes pratiques de gestion et de fabrication ne seront pas substituables sans un certain effort. En effet, le fait que les techniques d’imprimerie soient vétustes révèle que les employés n’ont pas eu à utiliser pendant plusieurs années leur capacité d’acquisition de nouvelles connaissances, notamment techniques. Un changement technologique brutal pourrait donc déstabiliser nombre d’employés. De plus, toute modification organisationnelle entraîne souvent une redistribution du jeu politique. Certains pourraient avoir à y perdre (perte d’influence, d’expertise, etc.), ce qui motiverait une résistance au changement.

La direction de Transcontinental a un avantage hiérarchique indéniable pour imposer sa culture. Mais même au sein de la direction, il y aura sans doute un effet de contre-culture, puisqu’une partie des anciennes directions est intégrée à la direction de Transcontinental dans la nouvelle entreprise. Celle-ci devra donc transmettre sa vision à l’ensemble de la direction de la nouvelle entreprise avant de pouvoir la mettre en place au sein des équipes de travail.

Par ailleurs, le licenciement d’autant de personnes ne peut laisser la communauté indifférente. Or, celle-ci constitue également un lectorat et une source d’annonceurs. La bonne image publique de Transcontinental doit donc être préservée pour assurer sa viabilité financière.

Enfin, beaucoup d’employés n’ont jamais eu à suivre un processus de recherche d’emploi. Ceux qui seront licenciés n’ont donc pas forcément la connaissance des techniques de recherche d’emploi.

Plan d’action
Le plan d’action doit se concentrer sur deux aspects centraux : communication et formation.

Dès que la décision de transférer les deux imprimeries sera prise, un comité de gestion de la transition devra être mis sur pied. Ce comité comprendra des membres de la direction de Transcontinental, mais aussi des deux directions des imprimeries, des représentants des employés, certains membres importants de la communauté ainsi que toute autre partie prenante pertinente. D’aucuns pourraient trouver un tel comité exigeant, aussi bien en terme d’énergie que sur le plan financier. C’est vrai. Pourtant, cet investissement est nécessaire pour assurer que les changements instaurés seront pertinents, acceptés et durables à moyen et long termes. Un tel comité permettra également de commencer à établir des relations de coopération et peut-être même de confiance.

Une des premières tâches de ce comité sera de mettre sur pied un plan de communication. Ce plan devra couvrir toutes les phases de la transition et être adapté en fonction des destinataires. Ainsi, un bulletin pourra être distribué hebdomadairement aux employés. Des réunions entre les directions pourront régulièrement être tenues. Des annonces seront envoyées aux médias afin d’informer la population...

Le comité devra élaborer et implanter un processus de sélection cohérent avec les attentes de la nouvelle direction. Les tests et leur pondération devront donc mettre l’emphase sur la congruence des valeurs avec celles de l’entreprise, la capacité d’innovation, d’adaptation et de travail d’équipe. Dans un esprit d’équité, d’intégrité, d’efficacité et de respect de l’image publique, le processus de sélection devra être transparent : les types de tests seront communiqués, des simulations d’examen seront planifiées, les dates et lieux seront communiqués suffisamment à l’avance. Toutes ces mesures devraient contribuer à baisser le niveau d’anxiété des employés et permettre à chacun d’eux d’exprimer pleinement sa compétence (savoir, savoir-faire et savoir-être).

Une fois le personnel sélectionné, le processus d’intégration entrera dans sa phase intensive. Il est toujours délicat de chercher à imposer une culture, une nouvelle norme, une nouvelle façon de voir les choses. En effet, une culture d’entreprise ne se réduit pas à quelques procédures, récits ou symboles. La direction de Transcontinental devra plutôt essayer de faire comprendre ce qu’elle attend des employés. La culture de la nouvelle entreprise pourra alors se développer.

Pour arriver à cela, le mentorat et le coaching sont possibles. L’exemple devra venir de Transcontinental. L’entreprise devra toutefois être ouverte aux propositions des employés. Les employés de deux imprimeries seront donc mélangés et accompagnés par une personne de Transcontinental capable de véhiculer les valeurs de l’entreprise. Une attention particulière sera portée aux cadres des anciennes imprimeries qui continuent de travailler au sein de la nouvelle direction. Il importe que ceux-ci soient sensibilisés aux valeurs de Transcontinental et qu’ils y adhèrent. En effet, dans les premiers temps, les employés seront probablement en quête de repères, d’éléments familiers et auront tendance à se référer à leurs anciens cadres. S’ils ne sont pas convaincus de la nécessité de changer leurs valeurs et de changer leur façon de faire, ils risquent fort de ne pas être à même de convaincre les employés.

Afin d’assurer une intégration intra-organisationnelle, réaliser le changement technologique et rehausser la confiance des employés, une formation aux nouvelles machines sera planifiée au plus tôt. Cette formation permettra également de préparer les employés aux tâches multiples. Une fois la formation de base donnée, un coaching interne, intra-équipe de travail, ancrera la formation dans la pratique quotidienne.

Pour les employés qui ne seront pas retenus, le comité devra élaborer un programme de fin d’emploi. Ce programme comportera des indemnités de fin d’emploi, une assistance pour trouver du travail dans leur champ de compétence ou pour réorienter leur carrière. Le programme devra être mis sur pied en collaboration avec les différents organismes communautaires, provinciaux et fédéraux liés au développement économique et à la réinsertion professionnelle.

Afin de projeter une image positive de l’entreprise et de bien montrer sa volonté de participer au développement économique de la région, une campagne de communication mettra de l’avant les performances technologiques et le potentiel économique. Cette campagne comprendra une cérémonie d’inauguration qui mettra en valeur les nouveaux employés et à laquelle assisteront les élus politiques et les partenaires économiques.

Frédéric Potok, professeur en gestion des ressources humaines et relations industrielles, Faculté d’administration, Université de Moncton

Source : Effectif, volume 8, numéro 4, septembre/octobre 2005


Frédéric Potok