Vous lisez : Deux échelles salariales pour des motifs économiques : est-ce possible?

Pour un employeur, le fait de conclure une entente ayant pour effet de modifier substantiellement l’échelle salariale d’employés non permanents et d’ainsi créer deux échelles salariales parmi ses employés constitue-t-il de la discrimination fondée sur l’âge en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne? Voilà la question à laquelle devait répondre la Cour d’appel du Québec dans Québec (Procureur général) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2013 QCCA 141.

Dans un jugement majoritaire, la Cour d’appel a conclu que cette situation factuelle n’est pas discriminatoire. Voici une brève analyse de cette décision qui peut avoir des impacts sur tous les gestionnaires en ressources humaines qui négocient des conventions collectives.

Les faits
Au milieu des années 90, le gouvernement du Québec fut contraint de réduire sa masse salariale au sein de différents ministères. Dans le cadre de cet exercice, le ministère de la Sécurité publique a envisagé d’abolir les postes de constables spéciaux de statut occasionnel pour les remplacer par des sous-traitants provenant du secteur privé. Toutefois, afin de conserver les emplois des constables spéciaux occasionnels, l’employeur, de concert avec le syndicat, décida plutôt de créer pour ceux-ci cinq nouveaux échelons salariaux sous les échelons existants. Tous les constables spéciaux occasionnels, peu importe leur ancienneté au sein du service, se retrouvaient dès lors au premier échelon, réduisant ainsi leur rémunération. Ils perdaient également toute l’ancienneté accumulée avant l’entente.

Dix-sept des constables spéciaux touchés par cette mesure ont porté plainte à la Commission des droits de la personne. Ceux-ci prétendaient faire l’objet de discrimination fondée sur l’âge. En effet, l’âge moyen des constables spéciaux occasionnels était d’environ 33 ans alors que l’âge moyen des constables spéciaux permanents était d’environ 49 ans.

La décision du Tribunal des droits de la personne
Le Tribunal des droits de la personne a donné raison aux constables spéciaux occasionnels et a déclaré que l’entente intervenue était discriminatoire en vertu de l’âge. Le Tribunal a retenu en effet qu’il y avait surreprésentation des jeunes employés au sein du groupe des employés de statut occasionnel et qu’en conséquence, l’entente avait entraîné un effet disproportionné à leur égard.

Le Tribunal a retenu par ailleurs la responsabilité de l’employeur à 70 % et celle du syndicat à 30 %.

La décision de la Cour d’appel
Sous la plume d’un de ses juges, la Cour d’appel a infirmé la décision du Tribunal des droits de la personne et a rendu le jugement selon lequel les constables spéciaux occasionnels n’ont pas fait l’objet de discrimination fondée sur l’âge. La Cour a donc conclu que la décision de l’employeur était plutôt basée sur le statut d’emploi, ce qui ne constitue pas un facteur de discrimination.

Afin d’en venir à cette conclusion, la Cour a d’abord remis en question la valeur de la preuve statistique présentée devant le Tribunal, soit la moyenne d’âge des constables spéciaux occasionnels et celle des permanents. La Cour a retenu qu’il est possible de voir ces statistiques de multiples façons et qu’il est aussi possible de les présenter de façon à faire en sorte que la différence d’âge entre les constables spéciaux occasionnels et les permanents paraisse moins flagrante. La Cour s’est par ailleurs désolée que l’auteur des statistiques présentées n’ait pas été interrogé dans le cadre de la preuve de la Commission des droits de la personne afin d’expliquer son raisonnement.

La Cour a également étayé sa conclusion par la constatation que les constables spéciaux occasionnels ont, dans les faits, atteint la permanence plus facilement et plus rapidement que ce qui se serait produit n’eut été de l’entente. Pour la Cour, cela fait en sorte que ceux-ci n’ont pas réellement subi de préjudice.

D’autre part, la Cour a soutenu que l’entente s’est avérée avantageuse pour les constables spéciaux occasionnels, car leurs emploi sont notamment pu être maintenus. À cet égard, le passage suivant de la décision est révélateur :

« [82] D’aucuns diront que les plaignants auraient préféré perdre leur emploi que subir les effets de l’entente. À ce chapitre, je ne vois pas de faute de la part du syndicat ni non plus de la part de l’employeur. »

Finalement, la Cour a également conclu que la différence entre les deux échelles salariales s’explique d’abord et avant tout par l’ancienneté et par le statut d’emploi qui, à leur face même, sont voués à être différents entre des employés de statut occasionnel et des employés de statut permanent.

En conclusion
En somme, la Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas discriminatoire pour le ministère de la Fonction publique, à titre d’employeur, de créer une nouvelle échelle salariale pour les constables spéciaux occasionnels dans le cadre d’une entente visant l’atteinte de l’équilibre budgétaire.

Bien que cette décision s’inscrive dans un contexte factuel et économique particulier, il est permis de s’interroger quant à l’impact qu’elle peut avoir sur la prohibition de clauses de disparité de traitement en matière de négociation collective de travail. En effet, un employeur pourrait-il justifier sa décision de créer deux échelles salariales au sein de son entreprise en se fondant sur « l’ancienneté » et des motifs économiques? La ligne est parfois mince entre l’ancienneté, l’âge et le statut d’emploi d’un employé. Cette décision fera sûrement couler encore beaucoup d’encre.

Source : VigieRT, mars 2014.

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