Vous lisez : La rémunération n’est pas (seulement) une question d’argent

Cet article constitue une suite logique à l’article « Pourquoi l'argent motive peu ou mal » (Effectif, vol. 15, n° 3, 2012), dans lequel les auteurs Forest, Gagné, Girouard, Houlfort, Gillet et Crevier-Braud présentaient des évidences issues de la recherche en lien avec le pouvoir motivationnel limité de l’argent. Le présent article vise à fournir des éléments de réflexion et des méthodes novatrices pour les intervenants dans le domaine.


L’argent est un concept omniprésent dans tous les liens d’emploi. À tort, la croyance populaire veut que l’argent soit le meilleur moyen de motiver les individus et de stimuler leur performance. Un salaire juste et équitable permettrait de satisfaire le désir de justice, de se loger, de se vêtir, de se nourrir et de profiter de la vie.

Mais l’argent est-il un élément motivateur aussi puissant qu’on peut le penser? Existe-t-il des leviers plus efficaces?

Récompense pécuniaire et motivation
La recherche scientifique permet de mieux situer le potentiel motivationnel de l’argent. Les travaux de Heath (1999) révèlent que l’on a une tendance naturelle à exagérer l’importance et l’effet des récompenses financières sur la motivation. L’argent peut être motivant puisqu’il permet originellement d’échapper à la pauvreté, mais au-delà d’un certain seuil, l’effet sur la motivation est relativement limité, voire nul selon les travaux de Layard (2005) et ceux d’Howell et Howell (2008). Si l’argent ne motive pas efficacement, qu’est-ce qui donne l’énergie aux individus de se rendre au travail tous les matins?

Plus de quarante ans de recherche sur la théorie de l’autodétermination, dans au moins vingt-huit pays, appuient l’idée selon laquelle la véritable source de la motivation serait la satisfaction de trois besoins psychologiques, innés et fondamentaux chez tous les êtres humains : le besoin d’autonomie (agir en conformité avec ses valeurs et se sentir maître de ses propres actions), le sentiment de compétence (avoir les ressources nécessaires pour faire face aux demandes venant de soi ou de l’environnement) et d’affiliation sociale (avoir des relations interpersonnelles mutuellement satisfaisantes). Que l’on soit riche ou pauvre, c’est la satisfaction de ces besoins qui permettrait d’expliquer une motivation de qualité et non l’argent.

Devant ces constats, quel doit être le rôle des spécialistes en rémunération dans les entreprises? Malgré les limites motivationnelles de l’argent, la rémunération peut-elle agir sur la satisfaction des besoins psychologiques?

Une rémunération juste et équitable: un incontournable
Bien que l’argent ne permette pas, à lui seul, de motiver, il peut par contre démotiver. Selon Williams, Daniel et Nguyen (2006), un employé qui perçoit avoir une rémunération inéquitable serait plus susceptible de s’absenter du travail et de quitter l’organisation. C’est principalement pour éviter les problèmes de démotivation que les employeurs veulent offrir une rémunération juste et équitable à tous leurs employés. Cela dit, c’est loin d’être une tâche facile!

Les individus souhaitent recevoir une rétribution proportionnelle à leur contribution. Afin de déterminer si leur ratio contribution/rétribution est équitable, ils le comparent à celui d’autres personnes. Si les deux ratios sont égaux, la rémunération est jugée équitable. Évidemment, ce « calcul sensible » est effectué par des humains, qui ont leurs propres perceptions et émotions en fonction de l’information partielle qu’ils ont… Et quand on se compare, on se désole! Par conséquent, ce « calcul » n’est pas nécessairement appuyé sur des faits réels. Qui plus est, un ratio « juste » sera d’autant plus difficile à atteindre dans une organisation où la dispersion des salaires est élevée que la variabilité des perceptions de rétribution sera grande. Selon Trevor, Reilly et Gerhart (2012), expliquer pourquoi et comment les inégalités sont justifiées devient dès lors un moyen pour réduire les perceptions d’iniquité.

Il n’y a pas de méthode parfaite pour s’attaquer à cet enjeu, mais certains paramètres de contrôle peuvent être mis en place. L’établissement d’une structure salariale et d’une politique de gestion de la rémunération en est un bon exemple. Une gestion cohérente et alignée sur les enjeux d’affaires favorise les explications entourant le pourquoi et le comment en fonction des comportements désirés. Une communication claire et vulgarisée, la qualité de gestion et la transparence envers les employés s’avèrent également des pratiques exemplaires. Elles permettent aux employés de mieux comprendre comment ils sont rétribués et que ce positionnement n’est pas arbitraire, améliorant ainsi leur perception.

Offrir une rémunération juste et équitable offre aux organisations le privilège de rester compétitives sur le marché de l’emploi et de reléguer l’argent au bas de la liste des préoccupations des employés.

Le « comment » et le « pourquoi », plus importants que le « combien »
Si l’argent ne favorise pas la satisfaction des besoins psychologiques et, par le fait même, ne permet pas de stimuler une performance de qualité, quelle portée peut-on donner à la rémunération? Puisque l’impact de la gestion de la rémunération ne se limite pas à l’argent, elle doit par conséquent permettre de reconnaître et de valoriser la contribution des employés en leur faisant mieux comprendre leur rôle et leur contribution au sein de l’organisation ou de leur équipe. Jumelée à la gestion de la performance, la rémunération présente plusieurs leviers pour motiver. À notre sens, deux d’entre eux ressortent du lot: le rôle du gestionnaire et le design des programmes de rémunération.

Le gestionnaire comme un agent de talent
Le rôle du gestionnaire est central puisqu’il a une influence importante auprès des em­ployés, et ce, de plusieurs façons. Seulement par son style de leadership, un gestionnaire a un effet direct sur la satisfaction des besoins psychologiques selon Gillet et ses collègues (2012). Un gestionnaire au leadership supportant (par opposition à un style contrôlant) aura un impact positif sur la satisfaction des besoins de ses employés.

Par son rôle central, le gestionnaire influence plusieurs éléments clés dans la gestion de la rémunération. Sa compréhension des programmes et sa capacité à expliquer aux employés les décisions qui en découlent sont essentielles afin de ne pas les démotiver. Peu importe la qualité des programmes en place, si ceux-ci sont mal appliqués ou mal communiqués, leur efficacité sera malheureusement réduite.

Par exemple, le « comment » et le « pourquoi » entourant la fixation des attentes et des objectifs sont autant sinon plus importants que les objectifs afin de donner un sens à l’action des employés. On lie la rémunération à la complexité et à l’atteinte de leurs objectifs, mais c’est grâce à ces objectifs que les défis professionnels émergent. Ces défis contribuent à combler les besoins psychologiques des employés et à les motiver. Pour maximiser les effets positifs, le gestionnaire gagnera à être en mesure de bien définir les objectifs de ses employés en fonction de leur profil d’emploi et de leur expliquer de quelle façon leur rôle contribue au succès de l’organisation. En impliquant ses employés dans la définition de ces objectifs, le gestionnaire augmente la satisfaction de leurs besoins psychologiques.

Vers de nouveaux designs de rémunération
Les designs des programmes de rémunération présentent de belles occasions de développement pour les experts en rémunération, car ils tiennent peu compte de la satisfaction des besoins psychologiques des individus. À la lumière des constats scientifiques, force est d’admettre qu’on aurait avantage à intégrer cette perspective dans les designs des programmes actuels.

Déjà, certaines entreprises osent implanter des programmes visant à combler les besoins psychologiques de leurs employés. Par exemple, Google a innové en développant son propre programme de reconnaissance qui met l’accent sur la relation d’échange entre les personnes plutôt que sur la récompense en soi. Plusieurs concepts, tirés d’écrits scientifiques, ont été intégrés au programme. Se basant sur les travaux de Dunn et Norton (2013), Google encourage ses employés qui ont reçu une récompense à la redonner à un collègue qu’ils jugent tout aussi méritant. Cette « chaîne de reconnaissance » permet de consolider les liens entre les individus et a un effet évident sur le sentiment d’affiliation sociale, et également sur le sentiment de compétence.

Si les programmes de rémunération et les gestionnaires qui les appliquent peuvent grandement influencer la satisfaction des besoins psychologiques, il demeure hasardeux de prétendre que la performance et le bien-être des employés reposent uniquement sur ces deux variables. Les travaux menés par Marescaux, De Winne et Sels (2013) stipulent que de bonnes pratiques en formation, en développement de la carrière et en mentorat influencent aussi les besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale.

L’argent… une signification différente pour chacun
L’argent est d’abord un moyen d’échange entre une contribution et une rétribution. Par ailleurs, la signification qu’on lui donne varie grandement d’un individu à l’autre. Les raisons profondes qu’on lui accorde peuvent avoir des conséquences positives ou négatives sur la motivation individuelle. Les travaux de Kindlein, Forest et Thibault Landry (2013) avancent l’idée que vouloir « faire de l’argent » pour supporter la famille ou pour supporter des causes importantes a des conséquences positives sur la motivation. Par contre, vouloir « faire de l’argent » pour se comparer favorablement au marché ou socialement aurait des conséquences négatives sur la motivation et la satisfaction des besoins psychologiques.

Les échanges sociaux seront toujours au cœur des discussions entourant la rémunération. Ils prennent souvent plus d’importance que la valeur pécuniaire de l’échange économique. Voilà pourquoi la rémunération est bien plus qu’une question d’argent… C’est un sens que l’on donne aux comportements désirés.

Benoit Lamarche, CRHA, M. Sc., conseiller adjoint, Rémunération et performance, Normandin Beaudry, Geneviève Cloutier, CRHA, M. Sc., associée et chef de la pratique Rémunération et performance, Normandin Beaudry, et Jacques Forest, CRHA, Ph. D., psychologue, professeur-chercheur, ESG-UQAM et collaborateur chez Normandin Beaudry

Source : Effectif, volume 16, numéro 5, novembre/décembre 2013.

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