Vous lisez : Les déterminants du succès d’un projet en rémunération

Gilles est directeur de la rémunération dans une entreprise manufacturière d’envergure nationale. Sa supérieure lui a confié un gros mandat : agir comme maître d’œuvre d’un exercice complet de comparaison de la rémunération avec le marché. Plus communément appelé benchmarking, cet exercice permet de valider le positionnement de la rémunération offerte par rapport au marché. Selon les conclusions de l’exercice, Gilles devra réviser ou repenser les structures salariales actuelles pour intégrer tous les employés, peu importe leur division, dans une seule et même structure salariale, afin de mieux aligner la stratégie de rémunération sur la nouvelle réalité de l’entreprise.

Gilles fait appel à des consultants externes à qui il décrit le contexte dans lequel s’insère ce mandat; il leur fait aussi part des objectifs et de l’échéancier plus que serré! Les résultats de l’étude sont rapidement disponibles et viennent confirmer l’impression de Gilles selon laquelle les écarts par rapport au marché sont importants et même, dans certains cas, très importants.

Ces conclusions devraient donc justifier la mise en branle d’un gros chantier, soit l’établissement d’une nouvelle structure salariale pour l’ensemble de l’organisation. Beaucoup de temps et d’énergie sont investis afin d’assurer l’intégrité des données qui seront utilisées pour évaluer l’incidence des changements recommandés.

Quelques scénarios de structure salariale prennent forme sur papier. La supérieure de Gilles trouve les coûts d’implantation extrêmement élevés et difficiles à vendre au président et au comité des ressources humaines du conseil d’administration. Le temps passant, elle commence à questionner Gilles et à être impatiente de livrer LA solution qui règlera pour de bon les insatisfactions.

En principe, il ne reste qu’à retenir un scénario, à établir le plan de rattrapage, à faire approuver les budgets, puis à communiquer les bonnes nouvelles. Or, l’entreprise ne dispose pas de l’argent nécessaire pour faire les rajustements proposés, ni à court ni à moyen termes. Le conseil d’administration ne peut pas approuver les budgets requis. Voici l’entreprise dans un cul-de-sac.

De telles situations, où tant les consultants que les professionnels de la gestion des ressources humaines accomplissent énormément de travail pour aboutir à des changements mineurs qui auraient dû requérir une fraction des efforts investis, sont fréquentes. Il y a quelques bonnes leçons à tirer de ces expériences.

Première leçon : délimiter le projet
Les spécialistes en rémunération sont souvent si emballés par leur projet de changement qu’ils oublient ou négligent d’en bien comprendre les limites. Il faut d’abord déterminer le besoin, comprendre les incidences potentielles et saisir jusqu’à quel point la direction est prête à changer. Pour cela, il faut avoir l’audace de valider des idées, dès le départ, pour fixer le plus précisément possible la marge de manœuvre disponible.

En fait, il faut revenir à la base, c’est-à-dire à l’alignement sur la stratégie d’affaires et sur celle du service des ressources humaines ainsi qu’aux défis devant lesquels se trouve l’organisation. Habituellement, quand des changements majeurs sont à prévoir, la haute direction est toujours la locomotive du projet, jamais à sa remorque. De plus, il est clair que les incidences potentielles doivent faire l’objet d’une discussion transparente et proactive.

Deuxième leçon : entretenir de bonnes relations avec les décideurs
La qualité des relations avec les personnes qui jouissent du pouvoir décisionnel dans le cadre de votre projet est cruciale. Meilleures seront ces relations, plus faciles seront les discussions pour établir les limites du mandat, connaître la volonté des décideurs à cet égard, le contexte dans lequel s’intègre le projet et, surtout, les vrais enjeux qui le sous-tendent.

Ces relations de qualité vous permettront, au moment opportun, de conseiller et, ultimement, d’influencer les décideurs, notamment lorsque vous serez devant différentes options ou lorsque les conclusions ou les recommandations divergeront des attentes.

Sans relations de qualité, accompagnées d’une grande crédibilité, même un mandat bien défini comporte des risques.

Troisième leçon : exiger et présenter des rapports d’étape
En tant que maître d’œuvre d’un projet d’envergure, exigez des rapports d’étape de la part de vos consultants et assurez-vous d’avoir le temps de les présenter aux personnes qui ont le véritable pouvoir décisionnel.

Souvent, expertise et échéancier serré peuvent mener à des conclusions et à des recommandations qui vous sont présentées d’un seul coup. Cela peut surprendre et surtout ne pas répondre à toutes les préoccupations. La théorie des petits pas aide parfois à assimiler le changement et à le gérer graduellement.

De plus, les rapports d’étape permettent d’apprécier la complexité du processus dans lequel on s’est engagé et de s’assurer de régler les problèmes rencontrées en cours de projet à la satisfaction de tous.

Quatrième leçon : plus de réflexion = moins d’exécution et plus de valeur ajoutée
Avec la technologie et les systèmes d’information, il est beaucoup plus facile qu’il y a seulement quinze ans de simuler différents scénarios comportant plusieurs hypothèses pour quelques milliers d’employés. Toutefois, malgré cette facilité relative, cela requiert du temps, donc de l’argent. Parfois, une part importante des ressources consacrées à un projet de rémunération est consacrée à des simulations qui ajoutent bien peu de valeur.

Pour que les simulations comportent une valeur ajoutée, elles doivent être associées à un plan d’action qui fait l’objet d’un engagement sérieux. Notre expérience pratique nous a démontré que, très souvent, une estimation rapide (que certains qualifieraient de grossière) suffit à démontrer que le scénario n’est pas viable. Il n’est donc pas nécessaire de passer des jours et des nuits à simuler différents scénarios avec trois chiffres après la virgule!

Passez donc plus de temps à réfléchir à des scénarios réalistes, en lien avec un plan d’action vous permettant d’atteindre vos objectifs, puis simulez ce qui est réaliste.

En conclusion, si vous souhaitez exercer une influence, il vous faut exécuter les projets rapidement, avec efficacité et en répondant aux attentes. Quoi de mieux que de bien définir le projet, d’entretenir de bonnes relations avec les décideurs, de suivre l’évolution du projet de près et, enfin, de passer les commandes appropriées?

Christine Potvin, M. Sc., CRHA, est conseillère en rémunération chez PCI - Perrault Conseil inc.1


1 L’auteure tient à remercier Marc Chartrand, associé chez PCI - Perrault Conseil inc., pour sa contribution à cet article.

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