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Les incidences de l’affaire Matthews en droit du travail québécois

L’auteur revient sur une affaire récente dans laquelle la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt phare relativement aux indemnités dues en matière de congédiement déguisé.

16 décembre 2020
Me Bruno-Pierre Allard, LL.B., CRIA,

Le 9 octobre 2020, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt phare[1] relativement aux indemnités qui sont dues en matière de congédiement déguisé. Plus spécifiquement, la Cour suprême a traité de l’obligation de l’employeur de fournir une indemnité compensatrice de préavis en vertu de la common law, de l’inclusion du régime d’intéressement dans cette indemnité et des dommages-intérêts qui peuvent être octroyés en cas de conduite malhonnête de l’employeur.

Cet arrêt permet de synthétiser et de clarifier certains principes jurisprudentiels bien établis en matière de fin d’emploi sans motif, si bien qu’il devient intéressant de s’attarder à la transposition de ces principes en droit du travail québécois. En effet, force est de constater que cet arrêt pourrait avoir une incidence à cet égard.

Le contexte factuel

Matthews était un chimiste expérimenté occupant un poste de direction (cadre supérieur) pour l’employeur depuis 1997[2]. Avec ce statut, et son immense dévouement pour l’entreprise, ses réalisations, et le succès qu’il a fait connaître à l’entreprise, cette dernière lui octroie un incitatif de rémunération globale, soit une participation à un régime d’intéressement[3]. Une introspection de l’employé en tant qu’individu a permis de démontrer qu’il attachait une importance particulière à la loyauté pour l’entreprise, et qu’en contrepartie, il s’attendait à une conduite honnête, intègre et respectueuse de cette dernière.

Toutefois, en 2007, l’employeur a embauché un nouveau directeur de l’exploitation qui a entamé une campagne de marginalisation de M. Matthews[4]. Cette situation a contribué à d’importants conflits qui ne se sont pas résolus. À cette situation se sont ajoutés des pourparlers visant la vente de l’entreprise, ce qui laissait présager que l’entreprise souhaiterait se départir de lui, sans qu’il soit toutefois formellement congédié ou licencié[5]. Cela laissait aussi présager le fait qu’il perdrait ses droits au régime d’intéressement.

À la suite de discussions avec le directeur des ressources humaines, aucune entente sur la fin d’emploi de M. Matthews n’est survenue, et ce dernier a décidé de quitter son emploi pour un nouvel employeur[6]. L’entreprise a finalement été vendue sans qu’il touche ses droits au régime d’intéressement[7].

Les procédures et décisions

Matthews a intenté une action, et le juge de première instance, s’appuyant sur les critères de l’arrêt Potter de la Cour suprême du Canada[8], a conclu qu’il avait subi un congédiement déguisé en raison de l’intention de l’employeur de ne plus être lié au contrat de travail en raison de son comportement intolérable envers le salarié[9]. Les ordonnances rendues ont été les suivantes :

  • Une indemnité compensatrice de quinze (15) mois de préavis;
  • Une indemnité compensatrice pour le régime d’intéressement.

Toutefois, le juge a refusé d’octroyer des dommages-intérêts pour abus, vu les ordonnances rendues précédemment, et a refusé d’octroyer des dommages-intérêts punitifs, car il n’était pas convaincu que l’employeur avait une intention spécifique de priver M. Matthews du régime d’intéressement.

Une majorité de la Cour d’appel a infirmé cette décision, ce qui a amené M. Matthews à s’adresser au plus haut tribunal du pays.

La méthode d’analyse établie par la Cour suprême

Le juge, au nom de la Cour, a accueilli le pourvoi de Matthews et a établi la méthode d’analyse suivante :

  1. La common law permet à un employeur de procéder à un congédiement sans motif, même s’il est déguisé.
  2. Toutefois, en contrepartie, il a l’obligation de donner un préavis raisonnable (ou une indemnité compensatrice en tenant lieu), et ce, sans égard à sa bonne ou mauvaise foi.
  3. Sur la question de l’inclusion de primes dans l’indemnité compensatrice :
    1. Le tribunal doit prendre en considération l’ensemble des droits (avantages de rémunération globale) dont dispose la personne salariée et vérifier si, n’eût été le congédiement, elle aurait eu droit à la prime ou à l’avantage en question durant la période du préavis.
    2. Le tribunal doit aussi prendre en considération l’existence de modalités dans le contrat de travail ou du régime de primes qui auraient pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit. Ces modalités ne doivent toutefois pas référer au statut actif ou inactif de l’employé, ou au fait qu’il n’est plus à l’emploi, car cela reviendrait à permettre à un employeur d’utiliser un congédiement sans motif pour s’esquiver du paiement de la prime en question. De plus, le contrat de travail n’est considéré comme résilié qu’à l’expiration de la durée du préavis.
  4. Si la mauvaise foi est invoquée par la personne salariée, il s’agira d’une violation contractuelle distincte et indépendante à celle de donner un préavis raisonnable. Il s’agit donc d’une cause d’action distincte. Ainsi, un employeur qui s’est acquitté de son obligation de fournir un préavis raisonnable pourrait être poursuivi en dommages-intérêts pour son manquement à l’obligation d’agir de bonne foi et le préjudice moral qui en découle.

À notre avis, la démarche d’analyse détaillée précédemment correspond au cadre juridique applicable aux congédiements sans cause (déguisés ou non) en droit civil québécois (sans considérer les droits et recours applicables aux lois du travail, notamment l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[10]).

Cette affaire nous permet notamment de réitérer la distinction entre la durée du préavis et la valeur des dommages pécuniaires qui en découlent puisqu’en l’espèce, M. Matthews s’est vu octroyer un préavis de quinze (15) mois, même s’il avait quitté son emploi pour une autre entreprise. L’obtention d’un nouvel emploi n’est pas un élément déterminant de la durée du préavis, mais plutôt de la valeur des dommages-intérêts, car le salaire gagné à l’occasion d’un autre emploi durant la période du préavis doit être déduit de la réclamation de dommages-intérêts.

Cependant, la Cour suprême pousse un peu plus loin la notion de manquement aux obligations contractuelles de bonne foi et à la cause d’action spécifique à ce sujet. Cette analyse est intéressante et pourrait amener des nuances dans le droit civil québécois. Plus précisément, le droit civil québécois prévoit que la notion de bonne foi ou de mauvaise foi n’a d’incidence que dans la durée du préavis raisonnable (la mauvaise foi de l’employeur ne se compensant que par une augmentation de la durée du préavis raisonnable). Pour qu’il y ait des dommages moraux additionnels qui soient octroyés suivant une fin d’emploi en droit civil québécois, il est nécessaire de démontrer des agissements abusifs concrets posés par l’employeur lors de la fin d’emploi (notamment le comportement humiliant ou intimidant de l’employeur).

Or, dans Matthews, la Cour suprême nous enseigne que la réclamation du préavis est distincte de la réclamation pour mauvaise foi. De plus, la preuve de mauvaise foi dans cette affaire découlait d’un continuum d’événements survenus depuis 2007 qui, s’ils avaient été appréciés comme des actes distincts fautifs et indemnisables, auraient sans doute été prescrits si des dommages-intérêts avaient été réclamés en droit québécois.

La Cour suprême ouvre donc la porte à la possibilité d’une réclamation pour un ensemble d’événements qui constituera une conduite malhonnête de l’employeur.

Bien que cette affaire découle de règles de common law, il y a fort à parier que certains salariés, dans le futur, souhaiteront prendre appui sur un droit d’action distinct sur la conduite malhonnête de l’employeur, surtout dans une situation où il y a un congédiement déguisé, sans perte pécuniaire, le salarié visé ayant tout avantage à ne pas faire sa réclamation sur la base d’une augmentation de la durée du préavis et plutôt réclamer des dommages moraux.

En somme, cette illustration hautement juridique amène à retenir une obligation essentielle en saine gestion des ressources humaines, soit celle de s’assurer que les représentants de l’organisation agissent de façon honnête, respectueuse et de bonne foi avec l’ensemble des salariés, sans distinction.


Me Bruno-Pierre Allard, LL.B., CRIA,

Source :

Source : VigieRT, décembre 2020.

1 Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd, 2020 CSC 26 (jugement rendu par l’honorable Nicholas Kasirer, au nom de la Cour).
2 Id., paragraphe 9.
3 Id., paragraphes 9 et 10.
4 Id., paragraphes 11 et 12.
5 Id., paragraphes 15 et 16.
6 Id., paragraphe 17.
7 Id., paragraphe 18.
8 Potter  c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10 (motifs de l’honorable Richard Wagner, alors juge puîné).
9 Matthews, précité, paragraphe 20.
10 RLRQ, c. N-1.1. (ci-après : LNT).