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Une enquête de harcèlement au travail confiée à un consultant : combien ça coûte?

Récemment, les situations alléguées de harcèlement au travail se sont multipliées et, à tort ou à raison, les cas sont de plus en plus médiatisés. Mais qu’en est-il des coûts liés à une enquête? Comment peut-on estimer ces coûts?

21 octobre 2020
Me Isabelle Cantin, CRHA

Une enquête de harcèlement au travail confiée à un consultant : combien ça coûte?

En matière de harcèlement au travail, les employeurs au Québec ont le devoir de prendre les moyens nécessaires pour le prévenir et le cas échéant, le faire cesser. L’une des approches adoptées en présence d’allégations consiste à faire ou faire faire une enquête. Selon les circonstances, l’enquête est confiée à quelqu’un de l’interne, la plupart du temps issu des ressources humaines, ou externalisée chez un consultant spécialisé en enquêtes (enquêteur).

Récemment, les situations alléguées de harcèlement au travail se sont multipliées et, à tort ou à raison, les cas sont de plus en plus médiatisés. Mais qu’en est-il des coûts liés à une enquête? Comment peut-on estimer ces coûts ?

Le but de ce billet est d’examiner les différentes composantes d’une estimation[1] afin de vous donner une idée des éléments à considérer pour évaluer combien peut coûter une enquête en matière de harcèlement au travail lorsque celle-ci est confiée à un consultant. Il va sans dire que les réflexions proposées ci-dessous sont à titre indicatif puisqu’il est difficile d’évaluer les cas de manière définitive en raison des impondérables qui peuvent survenir.

Étape 1 : contacts préliminaires avec le client et examen des informations obtenues

La première étape consiste à obtenir du client (celui qui octroie le mandat d’enquête) des informations au sujet de la plainte notamment pour avoir une idée de l’ampleur du problème, savoir qui sont les personnes impliquées, combien de témoins seront susceptibles d’être rencontrés et permettre au consultant de s’assurer qu’il peut effectivement accepter le mandat[2].

Lors de ces premiers contacts, il est pertinent qu’il y ait des discussions entre le client et le consultant au sujet du taux horaire du consultant, du budget du client et des modalités particulières dont il faudra tenir compte lors de la préparation de l’estimation. Il ne faut pas non plus oublier de déterminer si le mandat consiste à faire l’enquête, ce qui comprend la rédaction et la remise d’un rapport d’enquête ou s’il comprend, en plus de ce qui précède, la préparation d’une synthèse et des recommandations destinées à guider le client au terme de l’enquête.

Il est aussi de mise de demander au client qui s’occupera de communiquer avec les parties, leurs accompagnateurs, le cas échéant, et les témoins et qui veillera à la logistique de réservation de salles pour les rencontres individuelles[3]. Certains consultants préfèrent que ces tâches ou qu’une partie de celles-ci soient assumées par une ressource interne. Il est en effet plus simple, pour une personne-ressource désignée sur place, d’effectuer ces démarches à la demande du consultant ou, à tout le moins, de l’assister, au besoin. 

Les informations usuelles à connaître pour évaluer les coûts afférents au mandat comprennent une copie de la plainte, une copie des documents qui, le cas échéant, auraient été annexés au soutien de la plainte, une copie de la politique en vigueur au sujet du harcèlement en milieu de travail et, éventuellement, une copie des articles pertinents contenus dans une convention collective qui pourrait être applicable au cas faisant l'objet de l'enquête si les personnes concernées sont syndiquées.

L’examen des informations obtenues permet de déterminer combien de personnes sont susceptibles d’être rencontrées (parties et témoins), combien d’allégations sont formulées et sur quelle période elles s’étendent.

Par exemple, il peut y avoir une partie plaignante qui formule des reproches à une autre partie (la partie mise en cause). Une partie plaignante peut aussi viser plus qu’une partie mise en cause, ce qui évidemment aura un effet direct sur l’étendue du mandat. Il peut enfin y avoir des plaintes croisées, c’est-à-dire lorsque la partie mise en cause se plaint à son tour du comportement de la partie plaignante.

En ce qui a trait aux allégations, elles peuvent être plus ou moins bien définies dans la plainte. La plainte peut référer à un événement ou à plusieurs allégations. Les allégations peuvent être précises ou générales, s’étaler sur une courte ou plus longue période et faire référence à des témoins et possiblement à de la documentation (courriels, relevés, photos, etc.). Encore une fois, cela aura un impact sur le temps d’enquête, étant entendu que chaque allégation doit être validée et traitée.

Un examen préliminaire de ces informations est essentiel pour préparer une estimation des heures de travail requises pour accomplir le mandat d’enquête.

Étape 2 : la rédaction de l’estimation[4]

La seconde étape consiste à estimer le temps qui devra être alloué pour chacune des activités figurant dans le tableau ci-dessous et à multiplier par le ou les taux horaires du consultant.

Tâches

Commentaires

Temps estimé

Contacts préliminaires avec le client et suivis ponctuels lorsque requis

Ceci peut se faire en personne, par téléphone ou visioconférence, par courriel confidentiel et sécurisé.

Examen de la documentation reçue

Le temps consacré dépend de l’ampleur des informations.

Préparation de l’entrevue avec la partie plaignante

Le consultant doit bien se préparer pour être en mesure de valider chacune des allégations avec la personne interrogée.

Communications (verbales/écrites) avec la partie plaignante et son accompagnateur, le cas échéant pour fixer l’entrevue

Ces communications sont cruciales et doivent être empreintes du plus grand respect possible. Elles permettent à la partie plaignante de savoir pourquoi elle est convoquée, comment la rencontre se déroulera et combien de temps elle durera, le tout étant réabordé le jour de la rencontre.  

Rencontre individuelle avec la partie plaignante et son accompagnateur, le cas échéant et prise en note de la déclaration

Le temps consacré dépend du nombre d’allégations. Il est possible que plus d’une rencontre soit nécessaire.

Déplacement

Le temps requis pour se rendre et revenir de l’endroit choisi pour tenir la rencontre.

Examen des informations obtenues de la partie plaignante et préparation de l’entrevue individuelle avec la partie mise en cause

Ceci fait partie intégrante de la préparation requise pour pouvoir rédiger un sommaire et le remettre à la partie mise en cause afin qu’elle sache ce qui lui est reproché et se prépare avant sa rencontre et son interrogatoire sur chacune des allégations.

Communications (verbales/écrites) avec la partie mise en cause et son accompagnateur, le cas échéant pour fixer l’entrevue

Ces communications sont cruciales et doivent être empreintes du plus grand respect possible. Elles permettent à la partie mise en cause de savoir pourquoi elle est convoquée, comment la rencontre se déroulera et combien de temps elle durera, le tout étant réabordé le jour de la rencontre.

Rencontre individuelle avec la partie mise en cause et son accompagnateur, le cas échéant et prise en note de la déclaration

Le temps consacré dépend du nombre d’allégations. Il est possible que plus d’une rencontre soit nécessaire.

Déplacement

Le temps requis pour se rendre et revenir de l’endroit choisi pour tenir la rencontre.

Examen des informations obtenues de la partie mise en cause, préparation des rencontres individuelles avec les témoins et convocations de ces derniers

Ceci fait partie intégrante de la préparation requise pour pouvoir évaluer la position de la partie mise en cause en lien avec celle de la partie plaignante et déterminer qui doit être rencontré à titre de témoins et sur quelles allégations. Les témoins sont convoqués individuellement et se font expliquer pourquoi et comment la rencontre se déroulera et combien de temps elle durera, le tout étant réabordé le jour de la rencontre.

Rencontres individuelles avec les témoins et prises en note des déclarations

Le nombre de témoins dépend des circonstances, de l’ensemble de la preuve recueillie et des allégations. Il est possible que plus d’une rencontre soit nécessaire.

Déplacement

Le temps requis pour se rendre et revenir de l’endroit choisi pour tenir les rencontres individuelles.

Analyse de l’ensemble des informations, recherches (le cas échéant) et rédaction du rapport d’enquête

Cette portion du mandat est importante pour déterminer, selon la preuve recueillie dans son ensemble, s’il y a eu ou non harcèlement au travail. Certaines recherches ponctuelles peuvent être nécessaires. Le temps requis dépend entre autres de l’ampleur des informations recueillies et du nombre d’allégations.

Remise du rapport d’enquête et communications avec le client

Ceci se fait habituellement par courriel confidentiel et sécurisé ou par un service de messagerie.

Synthèse et/ou recommandations

Si cela est demandé par le client. Ceci se fait habituellement sous pli distinct, par courriel confidentiel et sécurisé ou par un service de messagerie.

Déboursés

Il s’agit ici de dépenses raisonnables (par exemple, transport, photocopies, livraison par service de messagerie).

Taxes

Il s’agit des taxes en vigueur (TVQ et TPS)

Lorsque les situations requièrent une enquête interne, notamment lorsque d’autres options, comme la médiation, ne peuvent pas être envisagées, il est important qu’une fois l’analyse de recevabilité effectuée, de la déclencher sans tarder.

Il va sans dire que les honoraires professionnels de ceux qui se voient confier des mandats d’enquête doivent être justes et raisonnables[5], les coûts étant assujettis à une combinaison de facteurs, dont le tarif horaire du consultant et le nombre d’heures travaillées. Selon les cas, il faut en effet envisager un budget pouvant varier entre 9 000 $ et 40 000 $ par dossier (taxes et débours en sus). À ces montants, d’autres coûts indirects sont à la charge du client comme, pour ne donner qu’un exemple, le temps durant lequel les parties et témoins sont libérés de leurs tâches pour les rencontres fixées par le consultant.

Pour éviter de mauvaises surprises, mieux vaut donc choisir la bonne personne pour enquêter : ce processus est exigeant, génère du stress chez les personnes impliquées et l’investissement n’est pas négligeable. Rien n’empêche non plus qu’une organisation obtienne deux estimations afin de comparer.

L’important est de s’assurer que le consultant est crédible, objectif, impartial, indépendant et qu’il a les connaissances, l’expérience ainsi que la disponibilité pour mener à bien l’enquête[6]. Une approche respectueuse et professionnelle ne peut qu’avoir un impact positif tout comme d’ailleurs les efforts consacrés à la prévention peuvent être bénéfiques. Les enjeux sont de taille.

Isabelle Cantin, avocate, CRHA est consultante.


Me Isabelle Cantin, CRHA Avocate Isabelle Cantin

Source :

Source : VigieRT, octobre 2020.

1 Dans ce contexte, il est important de comprendre qu’une estimation est une appréciation générale. Il est possible qu’en cours de mandat surviennent des incidents ayant un impact sur l’estimation initiale. Selon les termes du mandat, le client et le consultant pourront s’entendre sur les modalités plus ou moins restrictives sur le plan du temps à consacrer, de la structure des tarifs (par exemple, le taux horaire pour le temps de déplacement pourrait être moindre que celui pour le temps travaillé) et de la fréquence des paiements sur production des états de compte.
2 Le consultant avisé et expérimenté s’assure en particulier qu’il ne se trouve pas dans une situation de conflit d’intérêts et qu’il aura la compétence et la disponibilité requises pour faire le travail.
3 Il y aura lieu de prévoir d’autres solutions si, en raison de la pandémie, les rencontres ne peuvent pas avoir lieu en personne.
4 Il est prudent de mettre une note réitérant qu’il s’agit d’une estimation et qu’advenant des circonstances imprévues, le consultant avisera le client pour procéder à une révision de l’estimation.
5 Voir notamment le Code de déontologie des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, ch. C-26, r.81, articles 23 à 30, le Code de déontologie des avocats, ch. B-1, r.3.1, articles 99 à 100, le Guide d’encadrement- Pratique professionnelle en matière d’enquête à la suite d’une plainte pour harcèlement au travail, CRHA, et le Guide des meilleures pratiques à l’intention des avocats effectuant des enquêtes sur des plaintes de harcèlement psychologique en milieu du travail, Barreau du Québec, 2017, à la page 8.
6 Voir à ce sujet Cantin, Isabelle et Cantin, Jean-Maurice, Politiques contre le harcèlement au travail et réflexions sur le harcèlement psychologique, Yvon Blais, 2e édition, 2006, pages 126 à 130.