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Obligation d’accommodement – l’employé souffrant d’un handicap peut-il valablement réclamer un emploi avec une rémunération comparable à l’emploi d’origine?

Dans un récent arrêt , la Cour d’appel a reconnu qu’en vertu de son obligation d’accommodement, l’employeur doit, sauf contrainte excessive, tendre à offrir à l’employé affligé d’une incapacité liée à un handicap, sans toutefois les lui garantir, des conditions de travail similaires et des gains comparables à son emploi originel.

30 septembre 2020
Me David Lecours, CRIA et Me Émilie Thibault , Cain Lamarre avocats

La plaignante, une infirmière auxiliaire à l’urgence, était employée par un grand centre hospitalier depuis 2002. À compter du mois de décembre 2012, elle a commencé une période d’invalidité, laquelle s’est prolongée sans interruption jusqu’au 1er mai 2016. Au moment de s’absenter en invalidité, le salaire correspondant à son poste d’infirmière auxiliaire était de 27,30 $/h, en plus de lui donner accès à certaines primes.

En avril 2016, une entente d’accommodement est intervenue entre l’employeur, le syndicat et la plaignante en raison de son incapacité à occuper ses fonctions d’infirmière auxiliaire, en plus de toute autre fonction faisant partie de son unité de négociation.

Au terme de cette entente d’accommodement, la plaignante se voyait octroyer un poste d’agente administrative de classe 3. En outre, les parties reconnaissaient de façon spécifique que l’employeur avait rempli son devoir d’accommodement. L’entente d’accommodement était toutefois silencieuse, que ce soit au niveau du salaire applicable à son nouveau poste ou encore en ce qui a trait à la reconnaissance de l’expérience de la plaignante aux fins de son intégration dans l’échelle salariale dudit poste.

En application de cette entente, la plaignante a été confirmée dans son nouvel emploi puis a été intégrée au premier échelon de l’échelle salariale, dans le contexte où elle ne possédait pas d’expérience pertinente. Cette dernière classification entraînait une diminution de son salaire horaire de 9,73 $/h, passant ainsi de 27,30 $/h à 17,57 $/h. Au surplus, la plaignante ne serait plus admissible à des primes dont elle bénéficiait dans son ancien poste.

Dans ce contexte, la plaignante a déposé un grief afin de contester la décision de l’employeur de la classer au premier échelon de son nouvel emploi d’agente administrative plutôt qu’au dernier échelon qui lui aurait accordé une rémunération supérieure.

Sentence arbitrale

Dans un premier temps, l’arbitre a déterminé que la réclamation de la plaignante n’était pas couverte par l’entente d’accommodement. En effet, les parties n’avaient pas transigé sur la question de son classement de salaire ou encore de son expérience pertinente au sein de l’employeur. 

Dans un deuxième temps, l’arbitre devait décider de la prétention syndicale selon laquelle, malgré les mesures mises en place par l’entente, l’employeur n’avait pas assumé pleinement son obligation d’accommodement à l’égard de la plaignante. À cet égard, l’arbitre a conclu que l’entente comportait pour la plaignante des conséquences financières déraisonnables, si bien qu’il ne pouvait s’agir d’une mesure d’accommodement raisonnable. En effet, la plaignante se voyait imposer une diminution de l’ordre de 36 % par rapport à son salaire horaire antérieur. Selon l’arbitre, les réclamations financières recherchées par la plaignante n’occasionneraient pas à l’employeur un coût financier énorme pouvant constituer une contrainte excessive. Relativement à cette notion de contrainte excessive, l’arbitre a d’ailleurs relevé qu’avant la fusion des deux centres hospitaliers dont l’employeur était issu en 2012, l’un des centres avait pour pratique d’attribuer à son personnel l’échelon comportant le salaire le plus près de celui reçu par la personne visée par la mesure d’accommodement.

Par conséquent, l’arbitre a ordonné de modifier le classement de la plaignante afin de lui accorder l’échelon 7 au lieu de l’échelon 1, ce qui avait pour effet de lui octroyer une augmentation de son taux horaire de 2,69 $/h.

Pourvoi en contrôle judiciaire – Cour supérieure

Appliquant la norme de la décision correcte, la Cour supérieure a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la sentence arbitrale. Selon la Cour, l’arbitre a erré en attribuant à l’obligation d’accommodement de l’employeur la nécessité d’offrir une forme de garantie financière. À cet égard, la Cour rappelle que l’objectif principal sous-jacent au mécanisme d’accommodement est avant tout d’assurer le maintien au travail de l’employé chez son employeur malgré ses limitations. Or, prétendre que la mise en œuvre d’un tel exercice comporte des obligations financières – telles qu’assurer des conditions salariales similaires ou se rapprochant des conditions applicables avant le changement de poste – aurait pour effet de dénaturer l’essence même du contrat de travail. En effet, la rémunération s’établit en tenant compte, entre autres, de la nature du travail à accomplir et de l’expérience du travailleur en la matière. Par conséquent, il ne saurait être question d’attribuer des obligations d’ordre pécuniaires à l’employeur dans la mise en œuvre de son devoir d’accommodement.

Arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel détermine d’abord que la Cour supérieure a commis une erreur de droit dans la détermination de la norme de révision applicable et de façon incidente dans son application. En effet, « la question de l’interprétation de l’entente d’accommodement intervenue entre les parties ne s’inscrit dans aucune des exceptions prévues dans l’arrêt pour lesquelles la norme de la décision correcte s’applique »[1].

Ainsi, et sous le spectre de la norme de la décision raisonnable, la Cour d’appel souscrit plutôt au raisonnement de l’arbitre, concluant que l’obligation d’accommodement raisonnable ne se limite pas au maintien du salarié en emploi, « sans aucune considération des conditions de cet emploi »[2].

En fait, l’obligation d’accommodement raisonnable, qui commande tantôt souplesse et flexibilité de la part de l’employeur, entrevoit « de maintenir au travail en toute égalité la salariée incapable de reprendre son travail en raison d’un handicap en lui offrant un emploi auquel s’attachent des conditions de travail et des possibilités de gains comparables à celles de son emploi originel, sans imposer à l’employeur une contrainte excessive »[3].

En l’espèce, un accroc aux termes de la convention collective par l’octroi d’un échelon supérieur à celui qui correspond à l’expérience de la salariée dans son nouveau poste ne dénaturait pas le contrat de travail et n’imposait pas une contrainte excessive à l’employeur[4].

En somme, la sentence arbitrale était raisonnable, et le juge de la Cour supérieure a erré en accueillant le pourvoi en contrôle judiciaire.

Commentaires

Les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec — Université Laval devront sans aucun doute être considérés avec soin par tout employeur appelé à mener une démarche d’accommodement raisonnable.

Ainsi, afin de minimiser les effets préjudiciables du handicap, la recherche d’une solution d’accommodement raisonnable devrait tendre à définir un emploi comportant des conditions de travail et des possibilités de gains comparables à l’emploi que l’employé n’est plus en mesure d’occuper. La Cour d’appel prend toutefois soin de souligner qu’une telle obligation ne doit pas entraîner une contrainte excessive pour l’employeur.

Relativement à l’existence d’une telle contrainte excessive, il ne faudra pas perdre de vue que le devoir d’accommodement raisonnable constitue, par sa nature, un exercice individualisé qui doit tenir compte de la réalité de l’employeur. À cet effet, l’arrêt de la Cour d’appel ne modifie pas le cadre d’analyse élaboré par la Cour suprême du Canada selon lequel l’existence d’une contrainte excessive doit être analysée en fonction de critères tels que la taille de l’entreprise, le coût financier de la mesure d’accommodement, l’atteinte à la convention collective, les risques pour la sécurité ou encore l’effet que la mesure peut avoir sur le moral des employés en créant, par exemple, un sentiment d’iniquité.

Dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec — Université Laval, la preuve révélait l’existence d’une pratique passée selon laquelle l’employeur accordait un échelon plus élevé à des salariés faisant l’objet d’une mesure d’accommodement, le tout afin de leur assurer un salaire similaire à celui dont ils bénéficiaient à l’origine. La Cour d’appel relève le raisonnement de l’arbitre selon lequel cette pratique avait « été délaissée aux seules fins d’harmonisation administrative, et non pas parce qu’elle constituait une contrainte excessive »[5]. L’employeur pouvait donc difficilement démontrer qu’une mesure qu’il avait appliquée dans le passé lui imposait une contrainte excessive. La Cour d’appel souligne également qu’aucune preuve ne révélait que la mesure d’accommodement réclamée pouvait avoir un effet négatif sur les collègues de la plaignante, ceux-ci n’ayant pas témoigné. Notons également que la taille de l’employeur, un grand centre hospitalier, a sans doute favorisé une conclusion selon laquelle l’ajustement salarial recherché n’imposait pas une contrainte excessive à l’organisation.

En somme, si la Cour d’appel invite les employeurs à tendre vers la recherche d’un accommodement raisonnable permettant aux salariés visés de continuer à occuper un emploi comportant des possibilités de gains comparables à l’emploi d’origine, chaque situation devra être analysée au cas par cas afin de déterminer si la mesure d’accommodement, considérée dans son ensemble, impose une contrainte excessive à l’employeur. Il sera certes intéressant de suivre la manière dont les tribunaux appliqueront les enseignements de la Cour d’appel, notamment dans le contexte de plus petites organisations ayant des ressources financières plus limitées.


Me David Lecours, CRIA et Me Émilie Thibault , Cain Lamarre avocats

Source :

Source : VigieRT, septembre 2020.

1 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1108 c. CHU de Québec - Université Laval, 2020 QCCA 857.
2 Ibid. par. 99.
3 Ibid par. 36.
4 Ibid par. 81.
5 Ibid par. 83-84.