ressources / relations-travail

Le secret professionnel des CRHA

Dans cet article, l’auteur revient sur la notion de secret professionnel et apporte des illustrations jurisprudentielles relatives au CRHA en s’appuyant sur des affaires récentes.

18 mars 2020
Me Mélanie Sauriol de BCF

Considérant qu’il fait partie d’un ordre professionnel, le conseiller en ressources humaines agréé (« CRHA ») ou conseiller en relations industrielles agréé (« CRIA ») est tenu au secret professionnel et doit donc assurer la confidentialité des renseignements de ses clients. Dans certaines situations, il pourrait même refuser de répondre à des questions lorsqu’il est appelé à témoigner devant un tribunal.

Le secret professionnel, un droit d’ordre public

Le secret professionnel est un droit personnel qui permet aux personnes se confiant aux membres de certains corps de métier de leur imposer de garder le silence et de faire de même devant les tribunaux, dans la mesure prévue par la loi[1].

Le secret professionnel de l’avocat est celui qui est le plus régulièrement invoqué. Il offre une protection plus large et libérale[2] que celui des autres professionnels en raison notamment du rôle fondamental de l’avocat au sein du système de justice.

Or, il n’en demeure pas moins que le secret professionnel des autres professionnels, dont les CRHA, relève de l’ordre public de protection. En effet, l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte québécoise ») élève le secret professionnel au rang de droit fondamental de la personne et lui confère une protection quasi constitutionnelle :

« 9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.

 

Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. »

C’est l’article 60.4 du Code de professions qui impose le respect du secret professionnel aux membres de tous les ordres professionnels :

« 60.4. Le professionnel doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession.

 

Il ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse. [...] »

L’article 284 du Code de procédure civile exige que le tribunal assure d’office le respect du secret professionnel :

« 284. Le témoin ne peut être contraint si son témoignage porte atteinte au secret professionnel, sauf dans la mesure prévue à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12). Le tribunal assure d’office le respect de ce secret. »

Les dispositions de la Section IX du Code de déontologie de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec visent à préserver le secret quant aux renseignements de nature confidentielle qui viennent à la connaissance du membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (l’« Ordre ») dans l’exercice de sa profession.

Trois conditions sont requises pour pouvoir invoquer le secret professionnel de l’article 9 de la Charte québécoise :

  1. la personne consultée doit être tenue au secret professionnel, par exemple un membre de l’Ordre;
  2. il doit s’agir d’un renseignement de nature confidentielle révélé par le client; et
  3. la communication doit avoir lieu dans le cadre d’une relation professionnelle.

Une fois ces conditions remplies, les renseignements communiqués sont protégés par le secret professionnel. Seul le client peut y renoncer, puisque le secret professionnel existe pour son bénéfice[3].

Illustrations jurisprudentielles : le secret professionnel du CRHA devant les tribunaux

À quelques reprises, les tribunaux ont eu à se prononcer sur des situations où un CRHA devait rendre un témoignage et invoquait son secret professionnel.

Dans l’affaire Audet c. Raymond Chabot Grant Thornton[4], le Tribunal administratif du travail (le « Tribunal ») a été saisi d’une plainte à l’encontre de deux congédiements. L’employeur s’opposait à la production d’un compte-rendu d’une rencontre préparée par la conseillère en ressources humaines de l’entreprise :

« [81] Il n’est pas contesté que madame Maclure, à titre de membre de l’ordre professionnel des CRHA, soit tenue au secret professionnel. L’article 60.4 du Code des professions le prévoit expressément.

 

[82] Le fait que le document contesté soit préparé dans le cadre de son travail de conseillère en ressources humaines ne fait pas de doute non plus, l’objectif étant de conseiller les gestionnaires qui doivent prendre une décision relativement à une fin d’emploi. Ce document s’inscrit dans une relation professionnelle client, si bien que la présomption de confidentialité s’applique. Il revient donc à la demanderesse de démontrer que sa divulgation est néanmoins possible. »

Le Tribunal poursuit plus loin en indiquant le rôle du conseiller en ressources humaines :

« [85] Cette conclusion s’impose ici. Le rôle du conseiller en ressources humaines ne se limite pas à recevoir des renseignements confidentiels, mais aussi à analyser les problématiques concernant la gestion du personnel, à chercher des solutions et à faire des recommandations à son client, en l’occurrence, aux gestionnaires. Ces consultations doivent également bénéficier de la confidentialité. »

Le Tribunal indique ensuite ce qui suit :

« [96] Rappelons d’abord que l’employeur n’a pas invoqué, ni de près ni de loin, ce document au soutien de ses prétentions en regard des plaintes de la demanderesse. Il est effectivement le fruit de démarches préalables à la prise d’une décision, mais ce n’est pas l’assise de celle-ci. Les avis qu’il contient quant à la légalité des différents scénarios soulevés ne sont que des recommandations qui peuvent ou non être suivies par les gestionnaires. C’est en vain qu’on y cherche un fait que l’employeur aurait invoqué au soutien de sa position ou pour contrer la plainte de la demanderesse. [...]

 

[102] Le compte rendu préparé par la conseillère en ressources humaines est protégé par le secret professionnel et il ne peut être reçu en preuve. Dès lors, il est inutile de se prononcer sur le devoir de loyauté de madame Labbé. »

Le Tribunal a donc refusé le dépôt en preuve du compte-rendu en soulignant que l’employeur était en droit de s’enquérir, par exemple, du fardeau de preuve qui sera le sien s’il y avait une fin d’emploi, ou encore de s’interroger sur son obligation d’octroyer un préavis de fin d’emploi.

Dans l’affaire Landry et ITR Accoustique inc.[5], l’employeur avait assigné à comparaître devant la Commission des lésions professionnelles (maintenant le Tribunal administratif du travail) l’ancien représentant du travailleur qui était un CRIA. Le travailleur s’y était opposé en raison du secret professionnel. Encore une fois, le Tribunal a reconnu que le témoin était soumis au secret professionnel. À cet effet, il mentionne ceci :

« [14] L’objection de la représentante du travailleur est admise et aucune question ne peut être administrée au témoin portant sur des confidences, renseignements ou informations qui lui furent divulgués dans le contexte de sa relation professionnelle avec son client, dispositions couvertes par la notion du secret professionnel.

 

[15] D’autre part, le tribunal conclut que le témoin demeure contraignable sur toute autre question qui serait exclue du champ du secret professionnel, soit par la nature de ces questions ou par toute autre exception qui lui serait démontrée, cas par cas. »

Ainsi, advenant une audience où le témoin est un CRHA, les questions portant sur des confidences ou des renseignements divulgués dans le contexte de sa relation professionnelle avec son client pourraient donner lieu à une objection sur la base du secret professionnel.

D’ailleurs, le caractère confidentiel d’un document peut découler du contexte dans lequel il est rédigé et de sa finalité, et pas seulement des faits qu’il relate. En d’autres mots, le fait qu’un avis ne repose pas uniquement sur des renseignements confidentiels concernant un client n’est pas pertinent. Ce qui est protégé, c’est le droit de consulter, en toute confidentialité, le professionnel[6]. Les consultations, analyses et recommandations professionnelles bénéficient également de la confidentialité.

Cependant, il est à noter que la Cour d’appel a rendu deux jugements en 2016 mentionnant le « caractère restrictif du secret professionnel dans les professions autres que celles des avocats et des notaires »[7]. En effet, la Cour d’appel précise que lorsque le tribunal doit décider de la transmission d’un document protégé par le secret professionnel dans un contexte judiciaire, il lui faut concilier le secret professionnel et les principes de justice fondamentale tels que la contraignabilité des témoins, la divulgation de faits substantiels, le droit à une défense pleine et entière des parties ainsi que la recherche de la vérité.

En conclusion, la responsabilité des membres de l’Ordre quant au secret professionnel mérite une attention particulière. Il est prudent d’évaluer les sujets qui pourraient être problématiques avant de livrer un témoignage afin de prévoir les objections.


Me Mélanie Sauriol de BCF

Source :

Source : VigieRT, mars 2020.

1 « Secret professionnel », JCQ Droit civil – Preuve et prescription – Fascicule 11 Secret professionnel et communications privilégiées (JPEP 11.3), para. 67.
2 Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336, 2016 CSC 20, par. 28.
3 Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336, 2016 CSC 20, par. 45.
4 2017 QCTAT 601.
5 2011 QCCLP 6488.
6 Audet et Raymond Chabot Grant Thornton, 2017 QCTAT 601.
6 Pagé c. Henley (Succession de), 2016 QCCA 964, par. 41; Nazzari c. Nazzari, 2016 QCCA 1334, par. 23 à 26.