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Les antécédents judiciaires d’un employé qui ont un lien avec ses fonctions peuvent justifier un congédiement

L’auteur commente une décision de la Cour Supérieure du Québec dans laquelle la juge confirme la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de deux chauffeurs d’autobus scolaires en raison d’antécédents judiciaires reliés à la conduite d’un véhicule à moteur avec facultés affaiblies.

12 février 2020
Me Mohamed Badreddine, CRHA

Introduction

L’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (ci-après la « Charte ») protège les candidats à l’emploi et les employés des conséquences qu’une infraction pénale ou criminelle pourrait avoir sur un processus d’embauche ou leur emploi. Cet article est rédigé comme suit :

« 18.2 Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »

L’analyse du lien entre l’infraction pénale ou criminelle et l’emploi n’est pas toujours aussi évidente qu’on pourrait le penser. Dans tous les cas, elle repose essentiellement sur une analyse contextuelle. La situation d’un contrôleur financier et des infractions criminelles de fraude ou de vol est souvent utilisée comme exemple d’un tel lien.

Notons que l’article 18.2 de la Charte fait référence au fait que l’infraction « […] n’a aucun lien avec l’emploi […] ». En d’autres mots, l’existence d’un lien entre l’infraction pénale ou criminelle et l’emploi ferait perdre le bénéfice de la protection de l’article 18.2 de la Charte.

Certaines lois prévoient des exigences et des conditions particulières sur les antécédents judiciaires. C’est le cas dans le milieu scolaire. Par exemple, l’article 261.0.2 de la Loi sur l’instruction publique[2] prévoit que :

« 261.0.2 À la demande de la commission scolaire, les personnes qui œuvrent auprès de ses élèves mineurs et celles régulièrement en contact avec eux doivent lui transmettre une déclaration qui porte sur leurs antécédents judiciaires afin que la commission scolaire s’assure qu’elles n’ont pas d’antécédents judiciaires en lien avec leurs fonctions au sein de cette commission scolaire.

À cette fin, la commission scolaire peut agir sur la foi de cette déclaration ou encore elle peut vérifier ou faire vérifier cette déclaration. »

La décision Autobus Yamaska inc. c. Alain Cléroux et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Autobus Yamaska inc. – CSN[3] est un exemple d’une décision où deux chauffeurs d’autobus scolaires avec des antécédents judiciaires ont été congédiés en raison du lien entre leurs infractions criminelles et leurs fonctions au travail.

I – Les faits

L’entreprise Autobus Yamaska inc. (ci-après « l’employeur ») est une entreprise qui fournit des services de transport scolaire. Les plaignants sont des employés qui travaillaient comme chauffeurs d’autobus scolaires.

Le premier plaignant travaillait pour l’entreprise depuis près de 23 ans. Le 4 décembre 2013, il est arrêté pour avoir conduit son véhicule à moteur personnel avec les facultés affaiblies par l’alcool. Il perd alors son permis de conduire pendant une période de trois mois durant laquelle l’employeur le suspend de ses fonctions de chauffeur d’autobus. À l’issue de cette période, il reprend son travail.

Le 27 juin 2016, le plaignant est déclaré coupable d’avoir conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait les facultés affaiblies par l’alcool le 4 décembre 2013. Il perd alors son permis de conduire pour une période d’un an.

Au mois de juillet 2016, il déclare ses antécédents judiciaires à l’employeur. Il sera relevé administrativement de ses fonctions, sans salaire, durant cette même période et en raison de la suspension de son permis de conduire. Il reprendra son travail le 30 août 2017.

Le 6 octobre 2017, le journal local La Voix de l’Est publie un article concernant le dossier criminel du plaignant et son travail de conducteur d’autobus scolaire. Le même jour, l’employeur le suspend temporairement de son travail pour enquête. Le 30 octobre 2017, il est congédié en raison du lien entre ses antécédents criminels et ses fonctions.

Le second plaignant travaillait pour l’entreprise depuis décembre 2004. Le 30 avril 2017, il a un accident avec son véhicule personnel et, à la suite d’une analyse de sang, il est accusé d’avoir conduit son véhicule avec les facultés affaiblies par l’alcool.

Le 11 juillet 2017, il déclare ses antécédents judiciaires à l’employeur. Le 13 octobre 2017, l’employeur le suspend temporairement avec solde aux fins d’enquête. Le 30 octobre 2017, il est congédié en raison du lien entre son accusation criminelle et ses fonctions, et ce, même s’il n’a pas encore été reconnu coupable. Il sera finalement reconnu coupable d’avoir conduit un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies le 20 mars 2018.

L’employeur a justifié sa décision de congédier les plaignants en application de la Loi sur l’instruction publique et du lien qui existait entre les infractions criminelles et les fonctions des plaignants. L’employeur a écrit ce qui suit dans les lettres de congédiement des plaignants :

« Comme vous le savez déjà, la Loi de l’Instruction Publique (sic) prévoient (sic) “que toute personne œuvrant auprès d’élèves mineurs ou étant régulièrement en contact avec eux n’a pas d’antécédents judiciaires, en lien avec (sic) les fonctions exercées”. De plus, antécédents judiciaires se définit comme suit : aux fins de vérification, constituent des antécédent (sic) judiciaires : une déclaration de culpabilité pour une infraction criminelle ou pénale commise au Canada ou à l’étranger, sauf si un pardon a été obtenu pour cette infraction, une accusation encore pendante pour une infraction criminelle ou pénale commise au Canada ou à l’étranger et une ordonnance judiciaire qui subsiste contre une personne au Canada ou à l’étranger. »

Le 9 novembre 2017, les plaignants déposent des griefs pour contester leurs congédiements.

Dans une décision rendue le 5 décembre 2018, l’arbitre accueille les griefs des plaignants, annule les congédiements et ordonne la réintégration des plaignants. L’arbitre conclut que l’employeur n’avait pas réussi à prouver l’existence d’un lien entre les antécédents judiciaires des plaignants et l’emploi de chauffeur d’autobus.

L’employeur se pourvoit en contrôle judiciaire auprès de la Cour supérieure du Québec. 

Le nœud du débat est de déterminer s’il existe un lien entre les antécédents judiciaires reliés à la conduite avec les facultés affaiblies d’un véhicule à moteur personnel et l’emploi de chauffeur d’autobus scolaire.

II – La décision de la cour supérieure

La Cour supérieure a accueilli la demande en contrôle judiciaire de l’employeur, annulé la sentence arbitrale et confirmé la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi des plaignants.

La Cour supérieure conclut qu’il existe, à la face même du dossier, un lien entre les infractions commises par les plaignants et les fonctions qu’ils occupaient à titre de chauffeurs d’autobus scolaires.

La Cour rappelle que les plaignants sont visés par l’article 261.0.2 de la Loi sur l’instruction publique qui prévoit qu’ils doivent dénoncer leurs antécédents judiciaires.

La juge rappelle que la détermination du lien entre les antécédents et les fonctions est essentiellement une analyse contextuelle. Elle décide qu’il n’y a pas de distinction entre la conduite d’un véhicule à moteur personnel et un autobus scolaire. Dans les deux cas, la Cour rappelle qu’il s’agit d’un véhicule à moteur. À ce sujet, la juge écrit notamment ce qui suit :

« [62] En l’instance, l’infraction commise est celle de facultés affaiblies dans la conduite d’un véhicule moteur, en l’occurrence, un véhicule personnel. La fonction des employés congédiés est la conduite d’un véhicule moteur, en l’occurrence, un autobus scolaire. Ces éléments factuels sont bel et bien en preuve.

[63] Dans les deux cas, il s’agit de la conduite d’un véhicule moteur. Le fait que la fonction des employés implique un autobus scolaire avec la présence d’élèves à son bord ne constitue certainement pas une différence qui permet d’écarter l’existence d’une similarité d’un lien, bien au contraire.

[64] À n’en pas douter, le degré d’intégrité et de confiance à l’égard du chauffeur d’autobus scolaire est élevé. Il est l’intermédiaire entre l’école et la maison. Durant son trajet, il est responsable de tous les élèves dans son autobus. Les parents s’attendent légitimement à ce que leurs enfants soient transportés de façon fiable et sécuritaire, tout comme la commission scolaire, d’où l’encadrement rigoureux édicté dans la Loi sur l’instruction publique. La conduite avec facultés affaiblies suppose implicitement une certaine insouciance de la conduite d’un véhicule moteur ce qui est indiscutable. »

III – Conclusion

La décision de la Cour supérieure rappelle que les employés aux prises avec des antécédents judiciaires concernant les fonctions ne bénéficient pas de la protection de l’article 18.2 de la Charte.

La décision d’un employeur de congédier un employé dont les antécédents criminels ont un lien démontré avec les fonctions exercées au travail est légitime et ne contrevient pas à la Charte.

Au même effet, le refus d’embaucher un candidat dont les antécédents judiciaires ont un lien avec les fonctions qu’il pourrait occuper ne constitue pas une discrimination au sens de la Charte.

Dans tous les cas, il faut se retenir de sauter rapidement aux conclusions et, avant de prendre en compte les antécédents judiciaires d’un employé ou d’un candidat à l’emploi dans n’importe quelle décision, l’employeur doit s’assurer de faire une analyse détaillée de la situation. Chaque cas est un cas d’espèce.

La décision de la Cour supérieure a été portée en appel auprès de la Cour d’appel du Québec. Il faudra patienter pour la décision de la Cour d’appel afin de connaître le fin mot de l’histoire.


Author
Me Mohamed Badreddine, CRHA Avocat Badreddine Avocat Ltée

Mohamed Badreddine est avocat, médiateur accrédité et membre CRHA. Il exerce sa pratique au sein de son étude Badreddine avocat. Il a acquis plus de 10 ans d'expérience en droit du travail, de l'emploi et de l'immigration. Il fournit ses services auprès d’entreprises et d’organismes œuvrant dans les secteurs public et privé dont certaines font partie des entreprises du Fortune 500.

Sa pratique du droit du travail et de l’emploi englobe l’ensemble des aspects de ce domaine, notamment la représentation devant les divers tribunaux. Il assiste ses clients dans la gestion et la prise de décisions en ce qui a trait aux ressources humaines et fournit des conseils juridiques afin de gérer le capital humain en entreprise.

Mohamed Badreddine pratique aussi le droit de l’immigration. Par exemple, il prépare des demandes de permis de travail et représente des employeurs qui souhaitent embaucher des travailleurs étrangers ou transférer de la main d'œuvre au Canada. Son expertise en droit du travail et de l’emploi lui permet ensuite de conseiller sa clientèle sur la gestion des travailleurs étrangers.

Il a donné plus d'une soixantaine de conférences et rédigé autant d’articles en droit du travail et de l’emploi ont l'objectif sert à l'avancement des meilleures pratiques en droit du travail et de l'emploi.


Source :

Source : VigieRT, février 2020.

1 RLRQ., c. C-12.
2 RLRQ., c. I-13.3.
3 2019 QCCS 5432. Requête pour permission d’appeler et déclaration d’appel, 2020-01-22 (C.A.) 500-09—28808-202.