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Le licenciement pour des motifs d’ordre économique ne constitue pas un congédiement déguisé

L’auteur commente cette décision du Tribunal administratif du travail dans laquelle le juge rejette une plainte de congédiement déguisé qui fait suite à un licenciement pour motif d’ordre économique.

4 décembre 2019
Me Mohamed Badreddine, CRHA

Introduction

Un employeur peut, pour des raisons économiques ou organisationnelles, prendre la décision de restructurer ou d’abolir des postes au sein de son entreprise, et ce, afin de répondre à ses besoins d’affaires. Une telle décision constitue une fin d’emploi due à un licenciement.

L’exercice de ce droit par l’employeur entraîne aussi l’application de certaines obligations. Parmi celles-ci, l’on retrouve celle de déterminer si un autre poste au sein de l’entreprise peut être offert à l’employé affecté par la décision d’abolir un poste. Cette obligation est modulée par plusieurs facteurs et ne constitue pas une obligation de résultat.

Il arrive parfois qu’un employé qui conteste l’abolition du poste qu’il occupe invoque que la décision de l’employeur repose plutôt sur un prétexte pour se départir ou se débarrasser de ses services. Dans cette perspective, un employé pourrait interpréter de l’offre d’un nouveau poste qui comporte des différences importantes un exemple additionnel de ce prétexte. À cet effet, l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[1] prévoit le droit, pour un employé qui justifie de deux ans de service continu au sein d’une même entreprise, de se plaindre s’il croit avoir été congédié sans cause juste et suffisante.

La décision Binette et 9103-7267 Québec inc.[2] est un exemple d’une décision qui s’inscrit dans ce contexte.

I– Les faits

L’employeur est une entreprise exploitant un resto-bar sous le nom de Bar Tapas Taza Flores. L’établissement compte environ 60 places. Les activités se divisent en deux catégories : la cuisine qui s’occupe des repas et la salle à manger pour le service aux clients.

Le propriétaire de l’entreprise y travaille plus de 60 heures par semaine et s’occupe principalement de la cuisine avec un cuisinier.

Le plaignant y travaille depuis le 14 juin 2010 à titre de serveur-gérant. Il reçoit un salaire horaire de 13 $ par heure. Le serveur-gérant et le cuisinier gagnent les plus hauts salaires dans l’entreprise.

Entre 2013 et 2017, les profits du resto-bar fondent drastiquement de sorte que le propriétaire décide d’abord de baisser son salaire, mais il en arrive au point où il ne peut même plus s’en payer un au risque de faire perdre de l’argent à l’entreprise.

Le vendredi 11 août 2017, à la suite de l’analyse de ses options et en raison de sa perte de rentabilité, l’employeur décide d’abolir le poste de serveur-gérant occupé par le plaignant. Cette décision représente la meilleure option pour l’entreprise puisqu’elle permet au propriétaire d’assumer les tâches de gestion relevant du poste.

L’employeur offre toutefois au plaignant de continuer à travailler dans un poste de serveur uniquement. Il s’agit du seul poste que l’employeur peut lui offrir. Cette offre implique que le salaire horaire du plaignant diminue à 9,50 $ par heure. Il s’agit du salaire horaire payé à tous les serveurs à l’époque. Le plaignant refuse cette offre et conteste le droit de l’employeur de lui retirer les fonctions de gérant qu’il occupe depuis près de sept ans.

Le samedi 12 août 2017, puisque le plaignant ne semble pas d’accord avec l’offre du poste de serveur, l’employeur prépare et remet au plaignant une lettre de fin d’emploi qui l’avise de son licenciement pour des motifs économiques. Le plaignant décide de ne plus se présenter au travail à la suite de la réception de ladite lettre, et ce, bien qu’il lui reste une semaine de travail à son horaire.

Le mardi 15 août 2017, dans un échange de messages textes, le propriétaire demande au plaignant s’il doit insinuer de son absence au travail une démission ou s’il a réfléchi à l’option d’accepter un poste de serveur. Le plaignant répond qu’il ne démissionne pas, qu’il n’accepte pas le poste de serveur et qu’il considère qu’il n’a plus à se présenter au travail en raison de son licenciement.

Le 12 septembre 2017, le plaignant dépose une plainte de congédiement sans cause juste et suffisante en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail et conteste le droit de l’employeur de l’avoir licencié.

L’employeur conteste la plainte de son employé et plaide plutôt que le plaignant a démissionné de son emploi.

II– La décision

Le Tribunal administratif du travail a rejeté la plainte de congédiement fait sans cause juste et suffisante du plaignant. Il a décidé que le plaignant a fait l’objet d’un licenciement pour des motifs économiques et qu’il n’a pas démissionné.

Le Tribunal a entrepris son analyse avec la prétention de l’employeur selon laquelle le plaignant aurait démissionné. Le juge a rejeté cet argument de l’employeur. Il a décidé que la décision du plaignant de refuser le poste de serveur offert par l’employeur et de ne pas se présenter au travail à la suite de son licenciement ne constituait pas une démission. D’ailleurs, la preuve écrite démontre que le plaignant a explicitement indiqué dans les échanges de messages texte qu’il ne démissionnait pas. Ainsi, le Tribunal a retenu qu’il n’existait aucune indication voulant que le plaignant ait eu l’intention de démissionner. À ce sujet, le Tribunal a rappelé ce que constitue une « démission » et écrit ce qui suit :

« [31] L’employeur soutient que le plaignant a démissionné. Selon la jurisprudence [référence omise], une démission est un acte unilatéral du salarié qui doit être libre et volontaire. La démission comporte un élément subjectif qui est l’intention de démissionner et un élément objectif qui est des gestes concrets qui confirment l’intention de quitter l’emploi. »

(Nos soulignés)

En ce qui a trait à la plainte de congédiement fait sans cause juste et suffisante du plaignant, le Tribunal l’a rejetée. Le juge a décidé que le plaignant a perdu son emploi à la suite d’un licenciement pour des motifs économiques. À cet effet, il a repris les enseignements de l’affaire Selivanov c. ABPTS inc.[3] et a rappelé l’état du droit sur le licenciement comme suit :

« [36] […]
[27] En somme, en matière de licenciement, l’employeur doit prouver, par prépondérance des probabilités, que les motifs d’ordre économique ou organisationnel sont réels. Il doit aussi établir que la fin d’emploi du salarié découle nécessairement de ces motifs. Ces derniers ne peuvent pas servir de prétexte pour camoufler un congédiement déguisé et l’employeur doit établir des critères de sélection du salarié licencié qui sont raisonnables, c’est-à-dire objectifs, impartiaux et non inspirés d’éléments subjectifs propres au salarié. Le cas échéant, il appartient au salarié de faire la preuve que les motifs économiques ou organisationnels ne sont pas fondés ou, qu’à son égard, les critères de sélection de l’employeur sont partiaux, illicites ou déraisonnables. À tout le moins, le salarié doit démontrer des indices ou des éléments révélant que le licenciement constitue un prétexte visant à camoufler un congédiement déguisé. »

Le juge a conclu que l’employeur a fait une preuve convaincante que de réels motifs économiques ont justifié sa décision. En effet, la preuve soumise par l’employeur a démontré une baisse importante de la marge bénéficiaire et des profits de l’entreprise. Une décision était nécessaire afin de permettre de sauver l’entreprise. Le poste de serveur-gérant, étant donné la présence à temps plein du propriétaire dans le resto-bar, n’était plus requis, d’autant plus que, outre le poste de cuisinier, il s’agissait du poste qui recevait le plus haut salaire. À cet effet, le Tribunal a écrit ce qui suit :

« [40] Le propriétaire ne peut supprimer le poste du cuisinier ayant le plus haut salaire, car cela impliquerait qu’il devrait prendre sa place et travailler davantage en cuisine.

[41] Le seul autre poste qu’il peut raisonnablement supprimer est celui de serveur-gérant du plaignant. Ce dernier est donc licencié et, par conséquent, il n’a plus à se présenter au travail. La différence entre l’emploi de serveur gérant du plaignant et celui de serveur est significative. Il ne s’agit plus du même emploi. Le plaignant pouvait refuser l’offre d’agir comme serveur et ce refus n’est pas une démission.

[42] Ainsi, l’employeur établit que les motifs d’ordre économique sont réels et l’abolition du poste du plaignant découle de ces motifs. Le choix du plaignant est justifié par le fait qu’il n’y a plus besoin d’un poste de serveur-gérant, considérant la présence du propriétaire au bar-restaurant. »

Par conséquent, le Tribunal a conclu que la décision de l’employeur constituait un licenciement pour des motifs économiques et non pas un congédiement déguisé. Étant donné l’absence de congédiement, il a rejeté la plainte de l’employé.

III– Commentaire et conclusion

La décision du Tribunal nous rappelle qu’un employeur aux prises avec des difficultés économiques est en droit de réorganiser ou d’abolir un poste de travail pour lui permettre de faire face à la situation et protéger les intérêts ainsi que la rentabilité de l’entreprise.

La décision d’un employeur d’abolir le poste d’un employé en raison de motifs d’ordre économique constitue un licenciement et non, à moins de preuves qu’un employeur a usé d’un prétexte pour se départir d’un employé, un congédiement déguisé. En effet, la décision d’abolir le poste d’un employé ne doit toutefois pas constituer un prétexte pour se départir des services d’un employé. L’employeur a le fardeau de démontrer les motifs au soutien de sa décision.

Dans ce contexte, l’employeur a la responsabilité de déterminer si un autre poste au sein de son entreprise peut être offert à l’employé qui est affecté par une abolition de poste.

L’employé n’a pas une obligation d’accepter l’offre du nouveau poste qui comporte des différences importantes avec son poste aboli. Lorsqu’il existe des modifications significatives dans les fonctions et/ou le salaire, le refus de l’employé d’accepter le nouveau poste ne constitue pas, à moins de preuves à l’effet contraire, une démission.


Author
Me Mohamed Badreddine, CRHA Avocat Badreddine Avocat Ltée

Mohamed Badreddine est avocat, médiateur accrédité et membre CRHA. Il exerce sa pratique au sein de son étude Badreddine avocat. Il a acquis plus de 10 ans d'expérience en droit du travail, de l'emploi et de l'immigration. Il fournit ses services auprès d’entreprises et d’organismes œuvrant dans les secteurs public et privé dont certaines font partie des entreprises du Fortune 500.

Sa pratique du droit du travail et de l’emploi englobe l’ensemble des aspects de ce domaine, notamment la représentation devant les divers tribunaux. Il assiste ses clients dans la gestion et la prise de décisions en ce qui a trait aux ressources humaines et fournit des conseils juridiques afin de gérer le capital humain en entreprise.

Mohamed Badreddine pratique aussi le droit de l’immigration. Par exemple, il prépare des demandes de permis de travail et représente des employeurs qui souhaitent embaucher des travailleurs étrangers ou transférer de la main d'œuvre au Canada. Son expertise en droit du travail et de l’emploi lui permet ensuite de conseiller sa clientèle sur la gestion des travailleurs étrangers.

Il a donné plus d'une soixantaine de conférences et rédigé autant d’articles en droit du travail et de l’emploi ont l'objectif sert à l'avancement des meilleures pratiques en droit du travail et de l'emploi.


Source :

Source : VigieRT, décembre 2019.

1 RLRQ., c. N-1.1.
2 2019 QCTAT 3686.
3 2010 QCCRT 0138.