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Congédiement déguisé ou démission – démêler le vrai du faux

L’auteur nous propose un tour d’horizon de l’état actuel du droit relativement au congédiement déguisé et aux incidences qu’il peut avoir. Quels sont les critères et les facteurs pour le prouver? Quelles sont les différentes formes de congédiement déguisé? Il aborde aussi le test de la personne raisonnable et de la mitigation de dommages.

11 décembre 2019
Me Philippe Desrosiers, CRIA

Beaucoup d’encre a coulé depuis que la Cour Suprême du Canada s’est prononcée dans le cadre de l’arrêt Farber[1] en 1997. Or, il est toujours cité abondamment par les tribunaux canadiens et demeure à ce jour l’arrêt de principe en matière de congédiement déguisé.

En effet, si la notion de congédiement déguisé est méconnue pour plusieurs, les tribunaux sont tout de même souvent appelés à trancher cette question.

Il existe en ce sens plusieurs recours à la disposition des employés prévoyant chacun des remèdes, allant de la réintégration à l’octroi d’un délai de congé raisonnable et même, à certains égards, à l’octroi de dommages moraux.

Il importe donc de faire une revue de l’état actuel du droit relativement à ce concept et aux impacts qu’il peut avoir pour les employeurs qui le sous-estiment.

Les critères

Afin qu’un décideur en vienne à la conclusion qu’un employé a fait l’objet d’un congédiement déguisé, les quatre critères suivants doivent être prouvés :

  1. Une modification unilatérale du contrat de travail : Il faut que la modification ait eu lieu en l’absence du consentement de l’employé en cause. Ainsi, un employé qui a convenu d’un contrat de travail permettant certaines modifications à son employeur pourrait avoir consenti à une modification d’apparence unilatérale de ses conditions de travail.

  2. Une modification substantielle aux conditions essentielles de travail de l’employé : Bien que l’analyse de la modification se fasse au cas par cas, soit en fonction des circonstances particulières de chaque affaire, le changement doit être objectivement important, voire majeur.

    Il doit permettre d’inférer que l’employeur envisage de ne plus être lié par le contrat de travail. La modification doit en outre placer l’employé dans une position où il ne peut que démissionner.

  3. Contestation de cette modification en temps utile par l’employé : La contestation de l’employé doit avoir lieu dans un délai raisonnable. Le fait pour l’employé d’omettre d’informer clairement son employeur et de continuer son emploi comme si aucun changement n’était survenu constitue une présomption d’acceptation tacite des modifications.

  4. Démission effective de l’employé à la suite de la modification contestée : L’employé a l’obligation de quitter son emploi s’il entend se plaindre et invoquer son congédiement déguisé.

    Toutefois, l’employé qui négocie avec son employeur après avoir contesté les modifications apportées à ses conditions de travail n’est pas présumé avoir accepté tacitement ces modifications. Il doit cependant démissionner en cas d’échec définitif de ces négociations.

En plus de ces quatre critères, le tribunal chargé de trancher sur des allégations de congédiement déguisé doit également considérer les facteurs suivants :

  • Les termes du contrat et les droits de direction de l’employeur : L’analyse du contrat de travail est essentielle afin d’établir l’existence d’un congédiement déguisé.

    Or, il faut également garder en mémoire que l’employeur dispose de larges pouvoirs de direction dans le cadre des opérations de son entreprise. Des modifications justifiées par ces droits de direction peuvent donc être interprétées comme étant des applications du contrat de travail, lequel n’est pas stagnant et peut évoluer en fonction des aléas de l’entreprise.

  • La présence d’un motif sérieux justifiant la modification contestée : Si la décision de l’employeur de modifier les conditions de travail d’un employé est justifiée, soit par un motif sérieux ou une cause juste et suffisante, cet employeur peut invoquer ce motif afin de faire échec au recours en congédiement déguisé.

  • La conduite malveillante, abusive et intentionnelle de l’employeur : La conduite de l’employeur dans le cadre de la modification des conditions de travail d’un employé ne constitue pas un critère essentiel du congédiement déguisé. Néanmoins, la preuve d’une telle conduite de la part d’un employeur peut justifier l’octroi de dommages moraux et punitifs au profit de l’employé.

Le test de la personne raisonnable

En plus d’établir les critères du congédiement déguisé, l’arrêt Farber a établi le test applicable en matière d’analyse d’une situation alléguée de congédiement déguisé. Le décideur doit donc « se demander si, au moment où l’offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail[2] ».

Bien que ce test soit dit « objectif », il laisse place à une grande discrétion des décideurs, qui peuvent avoir une vision différente du caractère substantiel des diverses modifications aux conditions de travail d’un employé. L’abondante jurisprudence permet toutefois de faire ressortir certaines tendances afin de guider ces décideurs dans leur appréciation de chaque cas.

Les différentes formes de congédiement déguisé

  • La rémunération : Les modifications à la rémunération constituent l’une des principales causes de congédiement déguisé. Elles peuvent notamment prendre la forme d’une diminution du salaire, d’une diminution de la valeur d’un boni, d’un changement du mode de rémunération ou encore d’une réduction du nombre d’heures de travail.

    Bien qu’aucun seuil universel n’existe afin de convenir d’un congédiement déguisé dans une telle situation, il découle de la jurisprudence qu’une réduction de 10 % ou plus de la rémunération est susceptible d’être considérée comme une modification substantielle des conditions de travail.

  • Tâches et responsabilités : Il s’agit de cas où une rétrogradation ou une diminution des tâches et des responsabilités entraînent une perte de prestige et une atteinte à la dignité d’un employé. De telles modifications sont souvent accompagnées d’une diminution concordante de la rémunération de l’employé.

  • Déplacement ou transfert : L’ampleur du déplacement sera toujours un facteur important afin de conclure ou non à la présence d’un congédiement déguisé.

    Le contrat de travail de l’employé doit également être analysé, puisqu’un contrat qui contient une clause de mobilité peut mettre en échec le recours d’un employé qui a été déplacé ou transféré à une distance jugée raisonnable de son ancien lieu de travail.

  • Comportement incompatible de l’employeur : Il s’agit des cas où l’employeur pose des actions qui laissent croire qu’il ne souhaite plus être lié par le contrat de travail avec l’employé. Ces actions peuvent varier et vont du harcèlement psychologique à la situation d’un employeur qui suspend son employé sans solde, et ce, sans qu’il n’ait aucun motif pour ce faire.

  • Mise à pied et suspension : Un salarié mis à pied ou suspendu par son employeur pourrait contester ce fait sur la base que son employeur ne respecte pas son obligation de lui fournir du travail et de lui donner la rémunération fixée au contrat.

    Cela dit, il est plutôt rare qu’un employé intente un recours dans une telle situation, notamment en raison des coûts impliqués et du fait qu’il doit démissionner et se chercher un nouvel emploi afin de mitiger ses dommages.

  • La mitigation de dommages

    Lorsque le recours d’un employé est accueilli, le décideur doit se prononcer sur la question de la mitigation de dommages, laquelle tire sa source de l’article 1479 du Code civil du Québec[3].

    Il s’agit d’une obligation de moyens qui incombe à l’employé, mais dont le fardeau de preuve repose sur l’employeur. Cette obligation comporte deux volets, soit :

    • La nécessité pour l’employé de faire des efforts raisonnables afin de se retrouver un emploi dans le même domaine d’activités ou un domaine connexe;

    • L’absence de refus d’offres d’emploi pour des motifs subjectifs ou déraisonnables par l’employé.

    À cet égard, la jurisprudence regorge de cas où l’employeur a reproché à son ancien employé d’avoir refusé une offre d’emploi équivalente qu’il lui a faite. La Cour Suprême du Canada a donc finalement dû trancher cette question en 2008 dans l’arrêt Evans[4]. Elle s’est exprimée de la façon suivante :

    « L’élément essentiel, c’est que l’employé ne doit pas être obligé, pour limiter son préjudice, de travailler dans un climat d’hostilité, de gêne ou d’humiliation, et c’est en fonction de ce facteur avant tout qu’il faut déterminer ce qui est raisonnable. »
    (Nos soulignements)

    Malgré cette décision, les décideurs québécois ressentent parfois un malaise à imposer à un employé d’accepter l’offre d’emploi de l’employeur qui a lui-même rompu le contrat, et ce, puisqu’une telle situation est généralement peu propice à l’établissement d’un climat de compréhension et de respect mutuel.

    Conclusion

    Compte tenu de ce qui précède, les employeurs doivent toujours analyser le contrat de travail de leurs employés avant de modifier unilatéralement leurs conditions de travail, et ce, afin d’éviter le dépôt de recours à l’encontre d’un congédiement déguisé.

    En effet, même si le contexte d’une telle modification est justifié, un tribunal pourrait conclure qu’il s’agit tout de même d’un congédiement déguisé et accorder un délai de congé raisonnable, ou même une réintégration dans certains cas.

    Enfin, avec l’augmentation du plafond aux petites créances à 15 000 $, il est probable que plusieurs employés croyant faire l’objet d’un congédiement déguisé se retourneront vers ce forum afin de réclamer un délai de congé raisonnable.


Author
Me Philippe Desrosiers, CRIA Avocat et conseiller en relations du travail Étude légale Philippe Desrosiers Inc.

Source :

Source : VigieRT, décembre 2019.

1 Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 RCS 846.
2 Id., par. 26.
3 « La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter ».
4 Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20.