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Deux nouveaux congés payés… pour les salariés syndiqués?

L’ajout de deux nouveaux congés payés a soulevé un important questionnement dans les milieux syndiqués : s’agit-il de deux nouveaux congés pour des salariés syndiqués bénéficiant déjà de banques de congés payés prévues dans des conventions collectives? Cet article apporte des éléments de réponse appuyés par des affaires récentes.

20 novembre 2019
Me Robert E. Boyd, CRIA, associé en droit du travail <br/>Me Silvia Ortan, avocate en droit du travail, Cain Lamarre, SENCRL

Depuis le 1er janvier 2019, la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) prévoit que le salarié justifiant de trois mois de service continu a droit annuellement à la rémunération des deux premières journées de congé prises pour l’un ou l’autre des motifs relatifs à la maladie ou à des obligations familiales[1].

L’ajout de ces deux congés payés aux normes minimales du travail a soulevé un sérieux questionnement dans les milieux syndiqués. En effet, plusieurs se sont demandé si le législateur venait alors d’accorder deux nouveaux congés à des salariés syndiqués bénéficiant déjà de banques de congés payés prévues dans des conventions collectives.

Comme on le sait, les normes minimales du travail sont d’ordre public, et une convention collective ne peut y déroger[2]. Elle peut toutefois accorder une condition de travail plus avantageuse que la norme minimale[3]. À cet égard, afin de déterminer si c’est le cas, les tribunaux ont établi qu’il faut comparer des pommes avec des pommes :

  • « toute comparaison entre les conditions de travail de la convention collective et les normes prévues par la loi doit se faire disposition par disposition afin de déterminer si l’une est plus avantageuse que l’autre et non l’une avec l’ensemble des dispositions de l’autre »[4].
  • « La condition conventionnelle plus avantageuse doit porter sur le même objet et viser la même fin si l’on veut pouvoir appliquer la règle “le plus contient le moins” »[5].

Qu’en est-il alors de la norme minimale relative aux deux congés payés pour l’un ou l’autre des motifs relatifs à la maladie ou à des obligations familiales, en vigueur depuis le 1er janvier 2019? L’ajout de cette nouvelle norme commande nécessairement une analyse minutieuse des congés prévus à la convention collective afin de déterminer si les salariés syndiqués bénéficient déjà d’une norme équivalente ou plus avantageuse.

À cet égard, lorsque la convention collective accorde aux salariés une banque de congés mobiles payés qu’ils peuvent prendre à leur discrétion, pour quelque motif que ce soit, des syndicats ont déjà revendiqué qu’en vertu des récentes modifications à la L.N.T., ces salariés devraient bénéficier de deux congés additionnels pour des motifs de maladie ou d’obligations familiales. Des employeurs ont également manifesté qu’en modifiant la L.N.T., l’intention du législateur ne pouvait certainement pas être d’accorder deux nouveaux congés payés à des salariés syndiqués bénéficiant déjà de banques de congés mobiles généreuses, et ce, même si ces congés mobiles peuvent être pris pour des motifs personnels.

Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la L.N.T. relatives aux deux congés payés pour motifs de maladie ou d’obligations familiales, nous avons répertorié trois sentences arbitrales disposant de griefs revendiquant l’ajout de ces deux congés. Les arbitres apportent un certain éclairage sur la façon d’appliquer ces nouvelles dispositions en milieu syndiqué.

JURISPRUDENCE RÉCENTE

  • Union des employés et employées de services, section locale 800 et Canmec Industriel inc., 2019 QCTA 411 (Gabriel-M. Côté)

En se fondant sur les récentes modifications à la L.N.T., le syndicat réclamait pour le compte des salariés l’octroi de deux congés payés additionnels, en plus des congés mobiles rémunérés déjà prévus à la convention collective.

La convention collective prévoyait déjà que les salariés avaient droit, à certaines conditions, à une banque de congés mobiles pouvant aller jusqu’à un maximum de six congés payés par année. Bien que la convention collective exigeait que le salarié avise l’employeur au moins 24 heures à l’avance avant de prendre un congé mobile, la preuve a révélé que l’employeur n’appliquait pas cette condition de manière rigoureuse. Par ailleurs, elle a indiqué que l’employeur ne se préoccupait pas du motif de l’absence et que le salarié pouvait utiliser le congé mobile notamment pour des motifs de maladie ou d’obligations familiales.

L’arbitre a conclu que les congés mobiles prévus à la convention collective sont assimilables aux congés de maladie ou aux congés pour obligations familiales prévus à la L.N.T. La banque existante de congés mobiles décharge donc l’employeur de la nouvelle obligation légale de consentir deux congés payés dans les situations prévues par la L.N.T.[6].

  • Syndicat des travailleurs spécialisés de Sintra (CSD) et Sintra inc., 1er octobre 2019 (Richard Marcheterre)

La convention collective prévoyait que les salariés avaient droit à un congé mobile payé après 10 ans de service, à 2 congés mobiles payés après 15 ans de service et à 4 congés après 20 ans de service, sans toutefois préciser les motifs pour lesquels ces congés pouvaient être pris. Le syndicat contestait la position de l’employeur selon laquelle les salariés ayant 15 ans de service ou plus ne pouvaient bénéficier de « l’ajout » de deux congés payés pour motifs de maladie ou d’obligations familiales désormais prévus à la L.N.T. puisqu’ils pouvaient déjà utiliser leurs congés mobiles afin de s’absenter pour de tels motifs.

L’arbitre a rejeté le grief et a conclu que la L.N.T. n’attribue pas de nouveaux congés payés aux salariés qui bénéficient déjà de deux congés mobiles ou plus en vertu de la convention collective. Puisque la convention ne prévoyait pas les motifs permettant d’utiliser des congés mobiles, l’arbitre a conclu que ceux-ci pouvaient inclure les absences médicales et celles liées aux obligations familiales. L’arbitre a estimé que les amendements apportés à la L.N.T. modifient uniquement le contenu de la convention collective à l’égard des salariés qui ne bénéficiaient pas déjà de deux jours de congé mobile ou plus.

  • Syndicat des fonctionnaires municipaux de la Ville de Sherbrooke (FISA) et Ville de Sherbrooke, 12 juillet 2019 (Jean-François La Forge)

La convention collective prévoyait deux régimes distincts de congés. Une première clause accordait aux salariés, à certaines conditions, un congé pour « urgence familiale ».

Afin de bénéficier de ce congé payé, un salarié devait donc obtenir l’autorisation d’un directeur, démontrer qu’il s’agissait d’une urgence et être la seule personne en mesure de s’occuper du membre de la famille visé. Dans la mesure où les conditions d’application étaient remplies, les absences d’urgence familiale étaient rémunérées et n’étaient sujettes à aucune limite quant au nombre de jours d’absence pouvant être accordés.

Une deuxième clause de la convention reprenait le texte antérieur de la L.N.T. accordant dix jours d’absence par année pour s’acquitter d’obligations familiales. Ces absences n’étaient pas rémunérées.

À la suite des modifications récentes à la L.N.T., l’employeur considérait qu’en se prévalant d’un congé pour urgence familiale en vertu de la clause 15.11a), un salarié utilisait dès lors l’un des deux congés payés accordés par la L.N.T. Le syndicat prétendait plutôt que le congé pour urgence familiale prévu à la convention collective constituait un régime distinct qui ne pouvait être assimilé aux deux congés payés pour motifs de maladie ou d’obligations familiales prévus à la L.N.T.

L’arbitre a retenu la position syndicale et a accueilli le grief. Selon lui, le congé pour urgence familiale constitue un régime distinct qui ne peut être assimilé aux congés payés de la L.N.T. pour maladie ou obligations familiales[7].

L’arbitre a souligné que les conditions pour se prévaloir du congé pour urgence familiale prévu à la convention collective sont beaucoup plus exigeantes que ce que prévoit la L.N.T. relativement aux congés pour maladie ou obligations familiales. Retenir la position patronale équivaudrait ici à modifier le libellé de la clause 15.11a) de la convention collective relativement au congé pour urgence familiale.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Comme l’illustrent ces trois affaires, la question de savoir si les récentes modifications à la L.N.T. accordent aux salariés syndiqués deux congés payés pour maladie ou obligations familiales, en sus des congés déjà prévus à la convention collective, est intrinsèquement liée aux dispositions pertinentes de chaque convention collective.

La jurisprudence arbitrale récente permet néanmoins de tirer certains enseignements :

  • Si ce n’est pas déjà fait, les employeurs dont les conventions collectives comportent des banques de congés payés devraient s’interroger quant à l’impact potentiel des nouvelles dispositions de la L.N.T. relativement aux deux congés payés pour maladie ou obligations familiales;
  • Ces employeurs devraient également se questionner quant à l’occasion de se positionner au sujet de l’application de ces nouvelles dispositions. Il est possible que ces dispositions n’affectent aucunement l’application des congés prévus à la convention collective. Toutefois, si la situation est moins claire, la pratique adoptée par l’employeur relativement au traitement des congés pour maladie ou obligations familiales à la suite de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la L.N.T. pourrait, en certaines circonstances, être prise en compte par un arbitre dans le cadre d’une contestation du syndicat. Il convient donc d’adopter rapidement une approche cohérente et constante qui reflète le positionnement de l’employeur;
  • L’application stricte ou laxiste des conditions d’éligibilité aux congés mobiles prévus à une convention collective pourrait, en certaines circonstances, être prise en compte par un arbitre afin de déterminer si les salariés bénéficient de congés équivalents aux congés pour maladie ou obligations familiales prévus à la L.N.T.;
  • Afin d’éviter toute ambiguïté pour les salariés, plusieurs employeurs et syndicats auront intérêt, lors de leur prochaine négociation, à apporter certains ajustements aux textes des conventions collectives négociées avant l’adoption des modifications à la L.N.T. relativement aux deux congés payés pour maladie ou obligations familiales.

En terminant, rappelons que l’exercice de comparaison entre les congés pour maladie ou obligations familiales de la L.N.T. et les congés mobiles prévus à la convention collective devrait prendre en considération la nature et l’objet de ces derniers congés. Dans la mesure où les salariés bénéficient de congés prévus à la convention collective leur permettant de s’absenter avec rémunération, pour les motifs de maladie ou d’obligations familiales prévus à la L.N.T., à des conditions équivalentes ou plus généreuses, il ne faudrait pas conclure à l’ajout de deux « nouveaux » congés. L’intention du législateur n’était certes pas d’accorder de nouveaux congés à des salariés syndiqués bénéficiant déjà du droit de s’absenter avec rémunération au moins deux jours par année pour des motifs de maladie ou d’obligations familiales.


Me Robert E. Boyd, CRIA, associé en droit du travail
Me Silvia Ortan, avocate en droit du travail, Cain Lamarre, SENCRL

Source :

Source : VigieRT, novembre 2019.

1 Art. 79.1, 79.7, 79.16 L.N.T.
2 Art. 93 L.N.T.
3 Art. 94 L.N.T.
4 Baribeau & fils inc. c. Québec (Commission des normes du travail), 1996 CanLII 5704 (QC CA).
5 Montreal Standard c. Middleton, 1989 CanLII 418 (QC CA).
6 Union des employés et employées de services, section locale 800 et Canmec Industriel inc., 2019 QCTA 411, para. 66-67.
7 Syndicat des fonctionnaires municipaux de la Ville de Sherbrooke (FISA) et Ville de Sherbrooke, 12 juillet 2019 (Jean-François La Forge), para. 38.