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Agences de placement et de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, soyez avisées : de nouvelles règles s’appliqueront bientôt à vous1

Les auteures se penchent ici sur le projet de Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires visant l’instauration d’un nouveau régime de permis et créant de nouvelles obligations pour les entreprises ayant de telles activités.

5 juin 2019
Me Mélanie Morin, CRHA, et Me Valérie Leroux, CRHA

Dans le cadre des modifications apportées à la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») en 2018, le législateur a prévu des dispositions visant à encadrer les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (l’« Agence » ou collectivement les « Agences »), mais en a reporté l’entrée en vigueur jusqu’à l’adoption d’un règlement d’application. Parmi ces nouvelles dispositions, on retrouve :

  • L’obligation pour l’Agence de ne pas accorder à un salarié un taux de salaire moindre que celui des salariés de l’entreprise cliente uniquement en raison de son statut d’emploi;
  • L’exigence pour l’Agence de détenir un permis;
  • L’obligation pour l’employeur embauchant un travailleur étranger de consigner dans ses registres et de communiquer à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») certains renseignements;
  • La responsabilité solidaire de l’agence de placement de personnel et de l’entreprise cliente relativement aux obligations pécuniaires prévues à la LNT ou aux règlements[2].

Le 10 avril dernier, un projet de Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (le « Règlement ») a ainsi été publié. Aux termes d’une période de consultation de 45 jours, le gouvernement pourra l’édicter tel quel ou avec modifications. Nous en présentons ci-après les grandes lignes.

Champ d’application

L’agence de placement de personnel est définie comme étant une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une personne, société ou autre entité (« entreprise cliente ») afin de combler ses besoins en main-d’œuvre[3].

Quant à elle, l’agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires est définie comme étant une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de recrutement de travailleurs étrangers temporaires pour une entreprise cliente ou à l’assister dans ses démarches pour les recruter[4].

Permis

Au départ, il est prévu que les Agences disposeront de 45 jours à compter de l’adoption du Règlement pour déposer une demande de permis et pourront continuer d’exercer leurs activités jusqu’à la décision de la CNESST[5].

Pour obtenir un permis, l’Agence devra fournir une série de renseignements et de documents au moyen d’un formulaire en plus de :

  • Payer les droits exigibles de 1 780 $ en deux versements (une indexation des droits est à prévoir);
  • Ne pas avoir fait cession de ses biens ni être sous le coup d’une ordonnance de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;
  • Ne pas être en défaut de respecter une décision ou une ordonnance d’un tribunal en application de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles, la Loi sur l’équité salariale, la Loi sur la Fête nationale, la LNT et la Loi sur la santé et la sécurité du travail ou leurs règlements (collectivement les « Lois du travail ») (cette exigence s’applique aussi aux dirigeants de l’Agence);
  • Ne pas servir de prête-nom pour autrui (cette exigence s’applique aussi aux dirigeants);
  • Ne pas avoir faussement déclaré ou dénaturé des faits relatifs à une demande de permis ni omis de fournir un renseignement dans le but d’obtenir un tel permis;
  • Si le permis demandé l’est pour une agence de placement de personnel, fournir un cautionnement de 15 000 $ au moyen d’une police de cautionnement ou d’un chèque visé ou d’une traite afin de garantir l’exécution des obligations pécuniaires de l’Agence à l’endroit des salariés[6].

Même si une Agence satisfait à ces exigences, la CNESST pourrait tout de même refuser de délivrer un permis dans les cas suivants :

  • L’Agence a fait défaut d’acquitter une somme exigible en vertu des Lois du travail, à moins d’une entente de paiement qu’elle respecte;
  • Au cours des cinq années précédant la demande de permis, l’Agence a fait l’objet d’une condamnation en matière de discrimination, de harcèlement psychologique ou de représailles;
  • Au cours des cinq années précédant la demande de permis, l’Agence ou l’un de ses dirigeants a été déclaré coupable d’une infraction pénale ou criminelle au Canada ou à l’étranger relativement à l’exercice des activités visées par le permis;
  • Au cours des deux années précédant la demande, l’Agence ou l’un de ses dirigeants a été sous le coup d’une ordonnance de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou d’une ordonnance de mise en liquidation pour cause d’insolvabilité en vertu de la Loi sur les liquidations et les restructurations;
  • L’un des dirigeants de l’Agence a fait cession de ses biens ou est sous le coup d’une ordonnance de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité>[7]

Dans les cinq jours qui suivront la date où le permis est délivré pour la première fois, l’Agence devra en aviser toute entreprise cliente, de même que ses salariés qui y sont affectés, et leur remettre une copie des documents préparés à leur intention par la CNESST[8].

Une fois octroyé, le permis est valide pour deux ans et peut être renouvelé pour des périodes additionnelles de deux ans, essentiellement aux mêmes conditions. En cours de validité, le permis peut cependant faire l’objet d’une suspension ou d’une révocation lorsque les conditions ne sont plus remplies ou que l’Agence ne respecte pas ses obligations prévues au Règlement[9].

Si la CNESST prévoit refuser de délivrer un permis ou de le renouveler, ou encore si elle compte suspendre ou révoquer un permis en vigueur, elle doit d’abord en aviser l’Agence qui peut présenter des observations. La CNESST rend ensuite une décision écrite motivée qui précise, le cas échéant, la date où le permis cesse d’avoir effet[10].

L’Agence qui se voit refuser un permis initial à la suite de l’entrée en vigueur du Règlement ou qui reçoit une décision de refus de renouvellement, de suspension ou de révocation doit en aviser les salariés affectés chez les entreprises clientes[11]. En outre, l’Agence ne pourra soumettre de nouvelle demande pendant deux ans suivant la décision défavorable, à moins de présenter des faits nouveaux susceptibles de justifier une décision différente[12].

Par ailleurs, le refus de renouveler un permis, ou sa suspension ou sa révocation, a pour conséquence de rendre sans effet toutes mesures restrictives qui empêcheraient les salariés affectés d’être embauchés par l’entreprise cliente[13].

Obligations du titulaire de permis

Le Règlement prévoit des obligations communes à tous les titulaires de permis :

  • Aviser sans délai la CNESST de toute modification à sa situation;
  • Répondre à toute demande de renseignement de la CNESST;
  • Afficher son permis, ou une copie, dans chacun de ses établissements;
  • Indiquer le numéro du permis sur tout document utilisé couramment dans le cadre de ses activités ou pour fins publicitaires (factures, contrats, site Internet, etc.);
  • Remettre au salarié affecté ou au travailleur étranger un document décrivant ses conditions de travail et les documents d’information rendus disponibles par la CNESST concernant les droits des salariés et les obligations des employeurs en matière de travail;
  • Conserver pendant au moins six ans les contrats conclus avec les entreprises clientes, les factures afférentes et les renseignements prescrits relatifs aux salariés affectés ou aux travailleurs étrangers recrutés[14].

En plus des obligations communes, l’agence de placement de personnel doit rappeler aux entreprises clientes auprès de qui elle affecte du personnel ses obligations en matière de santé et sécurité du travail[15]. En outre, elle ne peut exiger des salariés des frais relativement à leur affectation ou pour toute assistance relative à des entrevues d’embauche. Elle ne peut pas non plus leur imposer des mesures restrictives qui les empêcheraient d’être embauchés par l’entreprise cliente au-delà d’une période de six mois suivant le début de l’affectation[16].

En plus des obligations communes, l’agence de recrutement de travailleurs étrangers ne peut exiger de ceux-ci qu’ils lui confient la garde de documents personnels ou de biens leur appartenant (passeport original, permis de travail, etc.). Elle ne peut pas non plus leur exiger des frais autres que ceux autorisés en vertu d’un programme gouvernemental canadien[17]. Des obligations similaires seront aussi imposées aux employeurs qui les embaucheront[18].

Conclusion

Bien que nous ignorons la forme définitive que prendra le Règlement et sa date d’entrée en vigueur, il nous apparaît que le cadre fixé par le Règlement est là pour rester. Il convient donc dès à présent, pour les Agences et les entreprises clientes, d’être conscientes des nouvelles obligations qui leur seront imposées en vertu de ce nouveau régime.


Me Mélanie Morin, CRHA, et Me Valérie Leroux, CRHA

Source :

Source : VigieRT, juin 2019.

1 Au moment de publier le présent article, la période de consultation est terminée. Toutefois, compte tenu des nombreux commentaires déposés, il est possible que le Règlement final diffère du projet publié le 10 avril 2019 et présenté ci-après. En outre, considérant le temps qui sera requis pour analyser ces commentaires, il est impossible de savoir quand le Règlement entrera en vigueur.
2 Articles 41.2, 92.5, 92.6, 92.9 et 95 al. 2 de la LNT.
3 Article 1 du Règlement.
4 Article 1 du Règlement.
5 Article 54 de la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, L.Q. 2018, c. 21.
6 Articles 4, 7, 8, 16 et 24 à 33 du Règlement.
7 Article 9 du Règlement.
8 Articles 41 et 43 du Règlement.
9 Articles 10, 12, 13 et 34 du Règlement.
10 Articles 11, 14 et 35 du Règlement.
11 Articles 14, 35 et 42 du Règlement.
12 Articles 15, 36 et 37 du Règlement.
13 Articles 14 et 40 du Règlement.
14 Articles 18, 19, 21 et 23 du Règlement.
15 Article 19 du Règlement.
16 Article 20 du Règlement.
17 Article 22 du Règlement.
18 Articles 92.11 et 92.12 de la LNT.