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L’importance de l’enquête en milieu de travail

Cet article s’adresse à tous les gestionnaires responsables des relations de travail au sein d’une organisation. À ce titre, vous pourriez avoir à prendre des décisions relatives à un employé[2] à la suite d’une plainte de harcèlement psychologique ou encore dans le cadre de la gestion disciplinaire d’un dossier.

24 avril 2019
Élodie Brunet, CRHA<a href="#1" target="_self" class="anchor-link">[1]</a>

Vous savez qu’une enquête doit être effectuée, mais il est parfois difficile d’en cerner l’étendue nécessaire. Vous souhaitez faire preuve de diligence sans compromettre la qualité. Bien que vous deviez parfois écarter certains témoins ou documents qui ne sont pas pertinents, vous trouvez délicat de ne pas rencontrer certaines personnes ou de ne pas poser certaines questions. Et si vous passiez à côté de quelque chose?

Dans le présent article, nous abordons les conséquences d’une enquête qui pourrait être jugée insuffisante dans le cadre d’un litige faisant suite à ses conclusions. Nous résumons également les principaux avantages et les principales caractéristiques d’une enquête adéquate.

Pourquoi est-il important de procéder à une enquête en milieu de travail?

Au cours des dernières années, les tribunaux ont condamné des employeurs ayant pris des mesures à l’encontre d’employés sur le fondement d’une enquête inadéquate à verser des dommages moraux ou punitifs. Ce constat souligne l’importance pour un gestionnaire de documenter adéquatement toute enquête et de l’approfondir selon le degré requis par la nature d’un dossier particulier.

Exemples de cas où des dommages ont été accordés

Congédiement sur la base de faits non vérifiés et sans avoir obtenu la version du plaignant

Dans une décision rendue en 2017, la destitution d’un employé (« le plaignant ») a été annulée au motif que le congédiement a été « improvisé » et fondé sur une enquête « bâclée ». En plus de divers dommages visant à compenser la fin d’emploi, le Tribunal a accordé au plaignant une somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux. Le Tribunal a notamment considéré les faits suivants :

  • le plaignant a été congédié pour « son attitude imprévisible » et sa déloyauté;
  • lors de sa rencontre de congédiement, le plaignant a demandé des exemples d’« attitude imprévisible ». On lui a répondu que « ce n’était pas le moment » et que les motifs de son congédiement pourraient être précisés ultérieurement;
  • la décision rapporte que le congédiement est notamment fondé sur la lettre d’une ancienne employée qui s’est plainte du comportement du plaignant. Or, la véracité des propos tenus dans cette lettre n’a pas été vérifiée, et son contenu a été tenu pour acquis, et ce, même si elle provenait d’une personne « frustrée » de sa fin d’emploi et contenait une part importante de ouï-dire;
  • la version du plaignant concernant les événements qui lui étaient reprochés n’a pas été obtenue;
  • lors de l’enquête, une partie non représentative des personnes visées a été rencontrée; la valeur probante des résultats de l’enquête pouvait donc être mise en doute;
  • au moment du congédiement, l’employeur estimait être en possession d’environ 85 % de l’information. Or c’est avant le congédiement, et non après, que l’enquête devait être effectuée. Il aurait également été préférable de suspendre le plaignant aux fins d’enquête.

Congédiement fondé sur une enquête incomplète

Dans une sentence arbitrale rendue en 2004, un employeur a été condamné au paiement de 15 000 $ à titre de dommages moraux portant sur la manière dont un congédiement a été imposé :

  • l’employé, un préposé aux bénéficiaires, a été congédié à la suite d’allégations de brutalité formulées par un bénéficiaire;
  • le plaignant avait été immédiatement expulsé des lieux sans qu’on lui précise pourquoi. Il aurait cependant pu faire l’objet d’une suspension administrative pendant la durée de l’enquête;
  • le congédiement a été annulé, notamment parce que les déclarations du bénéficiaire ont été jugées non fiables, non corroborées et « fortement entachées de fabulations »;
  • le Tribunal a souligné que l’enquête présentait plusieurs lacunes, dont notamment :
    • la vraisemblance des déclarations du bénéficiaire n’a pas été évaluée (elles évoluaient pour être de plus en plus dramatiques au fil du temps);
    • le dossier médical du bénéficiaire n’a pas été consulté (le bénéficiaire avait des antécédents de problèmes de comportement et de déclarations mensongères);
    • l’omission de rencontrer un témoin de l’incident qui, ultérieurement, a confirmé la version du plaignant.

Le Tribunal a conclu qu’une enquête plus approfondie aurait permis de déduire que les accusations du bénéficiaire n’étaient pas vraisemblables.

Conclusion erronée à la suite d’une plainte de harcèlement psychologique

Dans une décision rendue en 2010, un employeur a été condamné au paiement de 10 000 $ à titre de dommages moraux et de 5 000 $ à titre de dommages punitifs, notamment parce qu’il n’a pas respecté ses obligations légales en matière de harcèlement psychologique. Le Tribunal a retenu que l’employeur avait erronément conclu à l’absence de harcèlement psychologique à la suite d’une « enquête superficielle ». La plaignante avait dénoncé le comportement de sa supérieure, et l’employeur avait jugé qu’il s’agissait d’un conflit de travail ou de personnalités, de « malentendus » ou de perceptions non fondées. Bien que l’employeur ait eu une politique contre le harcèlement, il devait être prêt à faire face à cette éventualité et intervenir de façon objective, impartiale et confidentielle en cas de plainte, peu importe le statut hiérarchique du prétendu harceleur.

De manière plus spécifique, le Tribunal a noté que :

  • l’employeur avait fait une « courte enquête superficielle » à la suite de la dénonciation de la plaignante;
  • deux employées avaient été interrogées, mais le contexte, soit une enquête au sujet d’une allégation de harcèlement psychologique qui se devait confidentielle, impartiale et objective, ne leur a pas été expliqué. Il est donc compréhensible que l’information pertinente n’ait pas été reçue;
  • la mise en cause (supérieure hiérarchique de la plaignante) a été rencontrée, mais l’employeur s’est fié à sa parole, sans autre vérification.

C’est donc à la lumière de cette enquête incomplète que l’employeur a conclu à l’absence de harcèlement psychologique, conclusion avec laquelle le Tribunal a ultimement exprimé son désaccord.

Les avantages et les caractéristiques d’une bonne enquête en milieu de travail

Les exemples jurisprudentiels précédemment mentionnés illustrent sans doute l’importance de bien connaître les rouages d’une enquête adéquate en milieu de travail. Il est généralement reconnu qu’une telle enquête présente, entre autres, les avantages suivants :

  • elle permet de comprendre ce qui s’est réellement passé;
  • lorsqu’il est question de plainte de harcèlement psychologique, elle permet de mieux protéger l’intégrité physique et/ou psychologique de la victime ainsi que les autres employés d’un climat de travail malsain;
  • elle permet de démontrer l’engagement de l’organisation en ce qui concerne le maintien d’un bon climat de travail;
  • elle réduit les risques d’un litige découlant d’une plainte;
  • elle peut servir de moyen de défense ou limiter la responsabilité de l’employeur en cas de litige ou de plainte.

Plus précisément, les principales caractéristiques d’une enquête adéquate en milieu de travail peuvent se résumer ainsi :

  • impartiale : l’employeur doit faire preuve d’équité et de crédibilité. S’il le faut, il doit évaluer la possibilité de retenir les services d’un enquêteur externe si les personnes responsables des ressources humaines ne possèdent pas l’expérience ni le détachement nécessaire pour procéder à l’enquête à l’interne;
  • rapide : l’employeur doit faire preuve de diligence et limiter les conséquences de l’enquête pour les personnes impliquées ainsi que recueillir les témoignages et les documents pertinents pendant que les événements sont « frais » à la mémoire des personnes en cause;
  • documentée : la personne qui procède à l’enquête doit être prête à toute éventualité. Elle ne sait jamais quand les conclusions qu’elle tirera donneront lieu à un litige qui pourrait durer plusieurs années;
  • objective : l’enquêteur doit s’assurer de connaître « les deux côtés de la médaille » et la version de toutes les personnes ou tous les témoins en cause;
  • approfondie : elle doit faire la lumière sur tous les faits pertinents. La vérité n’est pas toujours celle qui nous est présentée en premier lieu, et un bon enquêteur doit être en mesure de vérifier les allégations et de poser les bonnes questions afin de la faire ressortir.

En conclusion

Le processus d’enquête en milieu de travail est souvent crucial. Il faut garder en tête qu’en cas de litige, il sera examiné en profondeur par les tribunaux. Il ne faut donc pas hésiter à prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer de son caractère adéquat et suffisant. Au besoin, les services d’experts peuvent être requis. Bien que de telles démarches puissent avoir pour effet de ralentir le processus décisionnel, cela vaut mieux que de risquer de tirer des conclusions qui pourraient être ultérieurement considérées comme hâtives ou erronées. Un gestionnaire averti en vaut deux!


Pour aller plus loin…

  • CHSLD Champlain-Manoir de Verdun et Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôpital Champlain (CSN), A.A.S. 2004A-94;
  • Cadieux et Dollarama s.e.c., 2010 QCCRT 0124;
  • Vallière et Ville de Val d’Or, 2017 QCTAT 215.

Élodie Brunet, CRHA[1]

Source :

Source : VigieRT, avril2019.

1 L’auteure remercie Me Guy Lemay, CRIA, associé, et Mme Constance Baccanale, stagiaire en droit, tous deux chez Lavery Avocats, pour leur collaboration au présent article.
2 Afin d’alléger le texte, le masculin inclut le féminin.