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Identité et expression de genre : petit guide pour les employeurs

Depuis plus de deux ans, les organisations constatent que leurs obligations sont explicitement identifiées à l’égard des personnes trans[1]. Dès lors, les gestionnaires RH ont l’obligation d’évaluer leurs politiques et les mesures autrement requises afin de permettre l’intégration de ces personnes sans discrimination dans le milieu de travail.

30 janvier 2019
Me Véronique Morin, CRIA et médiatrice accréditée

Les balises et les outils ne diffèrent pas beaucoup de ceux déjà connus et utilisés en cas d’allégations de discrimination découlant d’un motif interdit par nos chartes et nos lois protégeant les libertés individuelles (ex. : sexe, langue, grossesse, handicap). Comme dans ces autres cas, le gestionnaire RH aura avantage à bien comprendre les situations pouvant se présenter afin d’identifier les moyens et les pratiques à réviser et à expliquer dans le milieu.

Au Québec

Depuis le 10 juin 2016, l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne interdit explicitement toute discrimination fondée sur l’« identité ou l’expression de genre »[2].

Suivant la Charte, tout harcèlement motivé par l’identité ou l’expression de genre est également proscrit, de même que la discrimination dans le recrutement, l’octroi et l’application des conditions de travail[3].

Au fédéral

En juin 2017, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été modifiée afin de prohiber la discrimination fondée sur l’identité ou l’expression de genre[4].

Au même moment, le gouvernement a amendé le Code criminel afin d’étendre la protection contre la propagande haineuse.

« Identité ou expression de genre » : interprétation et portée des obligations

De façon générale, ces termes réfèrent à l’idée que se fait une personne de son genre et de la manière dont elle choisit de l’exprimer[5].

Suivant le Ministère de la Justice du Canada, l’identité de genre est « l’expression intérieure et personnelle que chaque personne a de son genre. Il s’agit du sentiment d’être une femme, un homme, les deux, ni l’un ni l’autre, ou d’être à un autre point dans le continuum des genres. L’identité de genre d’une personne peut correspondre ou non au sexe qui lui a été assigné à la naissance. Pour certaines personnes, leur identité de genre est différente du genre généralement associé au sexe qui leur a été assigné à la naissance; c’est souvent ce que l’on appelle une personne transgenre ».

Ce même ministère définit l’expression de genre comme « la manière dont une personne exprime ouvertement son genre. Cela peut inclure ses comportements et son apparence, comme ses choix vestimentaires, sa coiffure, le port de maquillage, son langage corporel et sa voix ».

Avant les amendements décrits précédemment, les tribunaux intervenaient sur la base de la discrimination interdite lorsqu’elle était fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle de la personne plaignante. Notamment, ils ont annulé son congédiement devant l’absence de mesures prises par un employeur afin de permettre le maintien en emploi d’un travailleur de rue dans un organisme communautaire alors que celui-ci était en processus de transformation[6].

Dans Vanderputten v. Seydaco Packaging Corp.[7], le Tribunal des droits de la personne a conclu que l’employeur aurait dû permettre à une employée en processus de transition d’utiliser le vestiaire des femmes alors qu’elle avait indiqué qu’il s’agissait de l’endroit dans lequel elle se sentait le plus à l’aise. Par ailleurs, elle alléguait être harcelée dans le vestiaire des hommes en raison de l’identité qu’elle avait choisie.

Ce Tribunal a ainsi reconnu l’obligation d’accommodement de l’employeur alors que la personne plaignante n’avait pas complété le processus de changement de sexe.

La même approche fut reprise dans Lewis v. Sugar Daddys Nightclub[8] et dans Salsman v. London Sales Arena Corp.[9] pour affirmer qu’une personne trans doit être reconnue et traitée selon le sexe sous lequel elle s’identifie, peu importe l’étape du processus de transition dans laquelle elle se trouve.

Sur le plan pratique

Comme dans toute situation pour laquelle le gestionnaire RH doit évaluer la teneur et la portée de son obligation d’accommodement pour ainsi identifier concrètement les moyens à mettre en place, rappelons les démarches essentielles :

  • La vérification des politiques et des pratiques existantes afin d’exclure les éléments pouvant apparaître discriminatoires sur la base de l’identité ou de l’expression de genre;
  • La validation des exigences inhérentes aux postes dans l’organisation ou du milieu de travail afin d’identifier les aspects pouvant devenir discriminatoires à l’égard d’une personne employée trans (ex. : uniformes, code vestimentaire, carte d’identité, toilettes, vestiaires, salles de repos, existence de toilettes non genrées, absences pour suivis médicaux);
  • La sensibilisation et la diffusion d’information et des politiques de l’organisation dans un objectif de prévention du harcèlement ou de la discrimination fondés sur l’identité ou l’expression de genre avant toute situation requérant l’intervention du gestionnaire RH à l’égard d’une personne employée trans;
  • Une bonne compréhension de la situation qui sera présentée et vécue par une personne employée trans;
  • L’évaluation objective et raisonnable des impacts en milieu de travail et, notamment, compte tenu d’un profil particulier de la clientèle (ex. : soins intimes en centre d’hébergement et préférences raisonnables et généralement exprimées par les usagers);
  • L’implication du gestionnaire opérationnel afin d’identifier les mesures à prendre en vue ou dans le cadre d’un processus de transition pour la personne employée trans;
  • La participation de la personne trans dans la détermination de ce plan de transition au sein du milieu de travail ainsi que de ses représentants syndicaux, le cas échéant (il faut noter qu’un syndicat est également tenu d’agir sans discrimination envers un de ses membres sur la base de son identité ou de son expression de genre, ceci pouvant également exiger de ce syndicat qu’il intervienne auprès de ses autres membres afin de les sensibiliser et d’obtenir leur collaboration dans la recherche et l’implantation des mesures d’accommodement);
  • La confirmation des mesures d’accommodement raisonnable sans contrainte excessive aux fins de la prestation de travail de la personne employée trans et de ses absences pour motif médical ainsi que le suivi des accommodements ultérieurement nécessaires pendant le processus de transition;
  • L’intervention diligente afin de prévenir et de faire cesser toute situation de harcèlement ou de discrimination fondés sur l’identité ou l’expression de genre qui serait portée à son attention;
  • Au besoin, faire appel à des ressources externes afin de soutenir les personnes impliquées et apporter des solutions à des incompréhensions ou à des différends apparaissant autrement sans issue;
  • Prévoir des activités inclusives permettant le rassemblement professionnel ou social des employés de l’organisation afin de favoriser les rencontres et les échanges entre tous, une meilleure connaissance entre collègues ainsi que des relations fluides et respectueuses.
  • Ce que les gestionnaires et les professionnels RH devraient privilégier

    Par leur expertise et leur connaissance des milieux de travail, de leurs particularités, mais aussi de leurs possibilités, les gestionnaires et les professionnels RH se trouvent dans une position privilégiée. Ils peuvent en effet informer tous les intervenants dans l’organisation, encourager une meilleure compréhension des moyens d’intégration de tout employé, sans discrimination ni harcèlement, et permettre la mise en place de ces moyens.

    En matière d’identité ou d’expression de genre, leur défi est de se montrer particulièrement proactifs afin que l’organisation soit prête, ouverte et outillée avant qu’une situation ne requière une intervention. Sans oublier que cette démarche passe par une préparation des individus constituant cette organisation à tous les niveaux.


Me Véronique Morin, CRIA et médiatrice accréditée

Source :

Source : VigieRT, janvier 2019.

1 Suivant l’Office québécois de la langue française (2018), le terme « trans » désigne une personne qui a une identité de genre différente de son genre assigné à la naissance, qu’elle modifie ou non son expression de genre pour la faire concorder avec cette identité. L’Office inclut cette note : « Une personne trans peut notamment être une personne transgenre, une personne transsexuelle, une personne allosexuelle, une personne agenre ou une personne non binaire. » : personne trans.
2 Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, 2016, chapitre 19.
3 Articles 10.1, 16 et 18 de la Charte des droits et libertés de la personne.
4 LRC, chapitre H-6.
5 Résumé législatif du projet de loi visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne.
6 CDPDJ c. Maison des jeunes A., AZ-98171022, 2 juillet 1998 (T.D.P.D.J.). Voir également Montreuil c. Banque Nationale du Canada, 2004 TCDP 7 et Montreuil c. Comité des griefs des Forces canadiennes du Canada, 2007 TCDP 7.
7 Vanderputten v. Seydaco Packaging Corp., 2012 HRTO 1977.
8 Lewis v. Sugar Daddys Nightclub, 2016 HRTO 347.
9 Salsman v. London Sales Arena Corp., 2014 HRTO 775.