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Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas : l’année 2018 en revue

Dans l’affaire Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron[1], la Cour suprême du Canada est venue statuer que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnable en faveur d’un employé invalide s’appliquait également aux travailleurs subissant une invalidité à leur lieu de travail, et ce, bien que la LATMP n’impose pas expressément l’obligation de les accommoder.

9 janvier 2019
Paul Côté-Lépine, CRIA et Valérie Gareau-Dalpé

L’obligation d’accommodement d’un employeur n’est pas limitée par les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP)

Pour la petite histoire, dans cette affaire, le travailleur avait subi une lésion professionnelle le rendant incapable de reprendre l’emploi qu’il occupait auparavant. La CSST[2] l’avait informé qu’aucun autre emploi convenable au sens de la LATMP n’était offert chez son employeur et que, dans ce contexte, elle chercherait des solutions ailleurs. Le travailleur a fait valoir que cette décision était prématurée et que le processus de réadaptation devrait se poursuivre auprès de son employeur afin d’assurer l’application des protections contre la discrimination garanties par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, y compris l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnable à son endroit.

Au terme de son examen, la CSST a conclu que l’obligation d’accommodement découlant de la Charte ne s’appliquait pas à la LATMP. La Commission des lésions professionnelles a donc rejeté la contestation du travailleur au motif que les prestations prévues par les dispositions législatives pertinentes de la LATMP représentaient la pleine étendue de l’obligation d’accommodement qui incombe aux employeurs, et qu’aucune autre mesure d’accommodement ne pouvait lui être imposée.

La Cour supérieure a annulé cette décision et a ordonné le réexamen de l’affaire conformément à l’obligation d’accommodement imposée à l’employeur par la Charte. La Cour d’appel s’est dite du même avis.

Saisie de cette épineuse question, la Cour suprême en est venue à la conclusion que la LATMP constituait une mesure législative visant à empêcher que les victimes d’accidents du travail soient traitées injustement en raison de leur invalidité. À l’instar de toutes les autres lois québécoises, la LATMP doit être interprétée conformément à la Charte québécoise. L’obligation de prendre des mesures d’accommodement raisonnable en faveur des employés invalides est un précepte fondamental du droit du travail canadien, et plus particulièrement du droit du travail québécois. Or, selon la Cour, il n’existe aucune raison de priver quelqu’un qui devient invalide à la suite d’un accident du travail des principes applicables à toutes les personnes invalides, notamment du droit à des mesures d’accommodement raisonnable.

Dans ce contexte, l’affaire a été renvoyée au Tribunal administratif du travail (l’institution qui a succédé à la CLP) pour qu’il la réexamine en tenant compte de l’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur.

L’octroi de conditions de travail distinctes aux travailleurs étudiants peut s’avérer discriminatoire

Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc.[3], le Tribunal des droits de la personne du Québec est venu statuer que le statut d’étudiant et le fait que ces derniers travaillent durant l’été pour payer leurs études devaient être assimilés à une « condition sociale » protégée par l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Dans cette affaire, le syndicat avait dénoncé à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse le fait que les conditions salariales prévues à la convention collective et applicables aux étudiants employés par l’Aluminerie de Bécancour étaient discriminatoires, puisque moindres que celles applicables aux autres employés de l’entreprise qui effectuaient le même travail.

Or, selon le Tribunal, la preuve présentée devant lui a effectivement démontré que ce qui distinguait les étudiants des salariés « occasionnels » ou « réguliers » était le fait qu’ils soient des étudiants à temps plein en dehors des périodes d’emploi prévues aux conventions collectives. Pour le Tribunal, cette distinction heurtait la condition sociale des étudiants en ce qu’elle visait leur niveau d’instruction, leur statut d’étudiant leur revenu ainsi que les perceptions et les représentations qui se rattachent à ces données objectives. Mais au surplus, les chiffres présentés devant le Tribunal ont révélé que les étudiants étaient plus jeunes que la majorité des salariés « occasionnels » à l’embauche.

À ce sujet, nous rappelons que cette discrimination présumée aurait toutefois pu être écartée en présence d’une preuve justifiant l’existence d’une telle distinction entre les conditions de travail octroyées aux différentes catégories d’employés. Cette preuve n’a malheureusement pas été retenue par le Tribunal dans cette affaire. Il est également à noter que la demande pour permission d’appeler de cette décision a été accueillie par la Cour d’appel du Québec en septembre dernier.

La liberté d’expression des employés a ses limites

Dans l’affaire Digital Shape Technologies inc. c. Walker[4], l’entreprise et son président ont poursuivi une ex-employée en raison de commentaires négatifs publiés anonymement sur le site RateMyEmployer.ca. Ils ont notamment invoqué l’obligation de loyauté de cette dernière, de même que les clauses de confidentialité et de non dénigrement convenues à la fin de son emploi. Ils ont allégué que les propos diffamatoires ont porté atteinte à leurs réputations et ont réclamé des dommages compensatoires et punitifs de 75 000 $ pour chacun.

L’employée a reconnu être l’auteure de deux des commentaires reprochés qui représentaient, selon elle, l’expression de sa compréhension et de sa perception de la situation chez son employeur à l’époque de son emploi. Elle a toutefois estimé que la poursuite était abusive étant donné qu’elle avait retiré les commentaires au moment même de la signification de la mise en demeure, mais sans admission de sa part.

La Cour Supérieure s’est dite d’avis que l’employée avait commis une faute à la fois contractuelle et extracontractuelle. D’une part, elle était liée par une clause de confidentialité à laquelle elle a dérogé. Elle a également contrevenu à son engagement de non dénigrement dont la signature avait entraîné une renonciation à sa liberté d’expression. D’autre part, ses propos ont constitué de la diffamation en ce qu’ils étaient faux ou exagérés. Voici les propos de la Cour : « Même si certains éléments qui les composent s’avèrent isolément véridiques, l’ensemble des propos divulgue un message opposé à la réalité. Il suscite objectivement des sentiments défavorables et désagréables envers l’entreprise. » Dans ce contexte, l’employée a été condamnée à verser 10 000 $ de dommages compensatoires et 1 000 $ de dommages exemplaires à l’entreprise.

Les cadres de premier niveau ne peuvent plus se syndiquer

En 2009, l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ACSCQ) a déposé une requête en accréditation fondée sur le Code du travail auprès de la Commission des relations du travail afin de représenter les cadres de premier niveau.

En 2016, le Tribunal administratif du travail (TAT) a déclaré inopérante l’exclusion du Code visant les « gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec les salariés », au motif que cette exclusion entravait la liberté d’association des cadres.

Le 5 novembre 2018, la juge de la Cour supérieure[5] a renversé la décision du TAT au motif que l’objectif sous-jacent à l’exclusion prévue au Code n’était pas de porter atteinte à la liberté d’association des cadres, mais bien « de protéger la communauté d’intérêts des salariés non-cadres et ainsi de faciliter la défense de leurs intérêts auprès de l’employeur tout en assurant ce dernier que ses représentants ne se placeront pas en conflit d’intérêts ».

Selon la Cour, le TAT s’est trompé en utilisant les différentes garanties prévues au Code comme étant le prisme d’analyse que doit utiliser le tribunal. Au contraire, la liberté d’association ne garantit pas un régime de négociation précis et encore moins un résultat garanti. Elle a ainsi conclu que si tant est qu’il y ait eu entrave, celle-ci ne découle pas du législateur, mais bien de l’employeur dans le dossier à l’étude.

De façon surprenante, la Cour a toutefois achevé son analyse en affirmant que les cadres ayant effectivement droit à la liberté d’association, il en découle, selon les enseignements de la Cour suprême, que ces mêmes cadres peuvent exercer un droit de grève.

La modification de la Loi sur les normes du travail et la légalisation du cannabis

Finalement, nous ne pouvons clore notre revue de l’année 2018 sans rappeler les modifications apportées à la Loi sur les normes du travail. Parmi ces dernières et sans diminuer l’importance des autres modifications, nous vous rappelons notamment que :

  • Les salaires peuvent maintenant être payés par virement bancaire sans avoir à spécifier dans un contrat qu’ils peuvent être payés de cette manière;
  • Les agences de placement ne peuvent rémunérer des salariés à un taux de salaire inférieur à celui accordé aux salariés de l’entreprise cliente qui effectuent les mêmes tâches, dans le même établissement, uniquement en raison de leur statut d’emploi;
  • Les employeurs ne peuvent désormais rémunérer des employés à un taux de salaire inférieur à celui accordé aux autres employés qui effectuent les mêmes tâches pour la seule raison de leur statut d’emploi, et ce, peu importe le taux de salaire de ceux-ci;
  • Un salarié peut refuser de travailler plus de deux heures après les heures de travail normales (au lieu de quatre heures tel qu’antérieurement prévu par la Loi). Un salarié peut également refuser de travailler « lorsqu’il n’a pas été informé au moins cinq jours à l’avance qu’il serait requis de travailler », sauf exceptions prévues par la Loi;
  • Les salariés ayant trois ans de service continu au sein d’une entreprise ont désormais droit à trois semaines de vacances;
  • Les salariés qui possèdent trois mois de service continu au sein d’une entreprise ont droit à une rémunération de leurs deux premiers jours de congé pour obligations familiales ou maladie;
  • Les salariés bénéficient désormais d’un délai de deux ans pour déposer une plainte de harcèlement psychologique, ce qui est largement supérieur à l’ancien délai de 90 jours que nous connaissions. À compter du 1er janvier 2019, les employeurs ont également l’obligation d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes.

En terminant, nous vous rappelons qu’il vous est possible d’interdire la consommation et la possession de cannabis en milieu de travail malgré sa légalisation en octobre dernier. Tout comme pour l’alcool, il est possible pour un employeur d’établir des règles strictes à ce sujet, et nous vous recommandons donc fortement d’ajuster vos politiques en conséquence.

Bonne et heureuse année 2019!


Paul Côté-Lépine, CRIA et Valérie Gareau-Dalpé

Source :

Source : VigieRT, janvier 2019.

1 Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron.
2 Les auteurs précisent qu’au moment des faits en cause, la fusion entre la Commission des normes du travail et la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas encore survenue.
3 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc., 2018 QCTDP 12.
4 Digital Shape Technologies inc. c. Walker, 2018 QCCS 4374.
5 Société des casinos du Québec inc. c. Tribunal administratif du travail, 2018 QCCS 4781.