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L’embauche de personnes issues de l’immigration : un employeur peut-il faire de la discrimination positive?

En tant que citoyens, nous sommes tous touchés par les récits relatant l’arrivée et l’intégration des immigrants au Québec. De plus, le taux de chômage des personnes issues de l’immigration demeure plus élevé que celui de la population globale québécoise. Cette réalité prévalant, un employeur peut-il favoriser expressément l’embauche de personnes issues de l’immigration en faisant de la discrimination dite « positive »? La Cour suprême du Canada a d’ailleurs déterminé que des objectifs d’embauche précis était une tentative rationnelle d’imposer un correctif systémique à un problème de discrimination systémique[1].

19 décembre 2018
Me Anne-Marie Bertrand, CRIA, et Me Mona Kayal

Or, dans quelle mesure un employeur peut-il procéder à l’affichage d’un poste en explicitant sa volonté de recruter un employé provenant d’un groupe ethnique ou d’une minorité visible?

Si les articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (« Charte québécoise ») interdisent la discrimination à l’embauche fondée sur le motif de la race, l’article 18.1 permet, à certaines conditions, qu’un employeur fasse de la discrimination positive afin de favoriser le recrutement de personnes notamment issues de minorités visibles.

En effet, une telle discrimination à l’embauche peut être licite si elle s’exerce dans le cadre d’un programme d’accès à l’égalité, lequel a pour objet de corriger la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination dans l’emploi. Pour être réputé non discriminatoire, il importe toutefois que ce programme soit conforme à la Charte québécoise.

Ainsi, si certains employeurs, tels les organismes publics, se voient imposer par voie législative d’adopter des mesures de discrimination positive afin d’encourager et de faciliter l’accès à l’emploi à certaines personnes issues de groupes victimes de discrimination[3], des organismes ou des entreprises peuvent volontairement implanter un programme d’accès à l’égalité en vertu de la Charte québécoise.

Pour ce faire, l’employeur qui met volontairement en place un programme d’accès à l’égalité doit satisfaire les Lignes directrices concernant la validité des programmes d’accès à l’égalité établis volontairement dans le secteur de l’emploi[4] (ci-après « Lignes directrices ») émises par la Commission des droits de la personne afin de se conformer à la Charte québécoise[5]. Ces Lignes directrices indiquent clairement l’analyse qu’un employeur doit préalablement effectuer afin d’implanter des mesures de discrimination positive de façon volontaire. Cette analyse doit en premier lieu se fonder sur un diagnostic de la situation qui porte sur deux éléments essentiels, soit la sous-utilisation des membres du groupe cible et l’effet discriminatoire du système d’emploi chez l’employeur. De plus, l’analyse doit démontrer que les objectifs du programme d’accès à l’égalité sont proportionnels au problème constaté, que les mesures adoptées sont temporaires et qu’elles ne portent pas indûment atteinte aux intérêts de ceux qui n’appartiennent pas au groupe cible. Il ressort donc que ce programme d’accès à l’égalité doit être établi en fonction d’une analyse contextuelle propre à l’employeur désirant volontairement l’implanter.

Ainsi, au moment de l’embauche, les renseignements relatifs à l’origine ethnique d’un candidat ne peuvent être légitimement recueillis que lorsqu’ils sont utiles au programme d’accès à l’égalité[6].

Le rôle de la Commission dans l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité

Cette analyse préalable à l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité étant particulièrement ciblée, l’employeur qui souhaite le mettre en place peut demander à la Commission de lui prêter assistance[7]. Il est d’ailleurs fortement recommandé d’obtenir une telle assistance étant donné qu’un programme d’accès à l’égalité volontairement mis en place doit être conforme aux dispositions de la Charte québécoise pour être réputé non discriminatoire et que la Commission est l’organisme compétent pour surveiller l’application de ces programmes[8]. Une telle démarche maximisera la légalité du processus d’embauche associé à des mesures de discrimination positive et évitera qu’une éventuelle plainte en discrimination soit jugée fondée, sous réserve de l’examen de l’application du programme.

À l’opposé, si jamais un programme d’accès à l’égalité était implanté sans l’assistance de la Commission, il n’y aurait aucune garantie qu’il soit conforme à la Charte québécoise, laissant donc place à ce qu’une enquête de la Commission qualifie ces mesures à l’embauche comme discriminatoires.

Quelques considérations concrètes

Dans le cadre d’un processus d’embauche soutenu par un programme d’accès à l’égalité, les mesures de préférence absolue doivent être considérées avec circonspection. Il est préférable d’indiquer, lors de l’affichage d’un poste, l’existence d’un programme d’accès à l’égalité encourageant les personnes visées par ce programme à postuler. La formulation qui suit vous est fournie à titre d’exemple :

« L’employeur souscrit à un programme d’accès à l’égalité en emploi. De ce fait, il invite les femmes, les autochtones, les membres des minorités visibles, des minorités ethniques et les personnes en situation de handicap qui répondent aux exigences du poste à soumettre leur candidature. »

Notons également que lors d’une entrevue d’embauche s’inscrivant dans ce contexte, l’obtention de renseignements relatifs à l’origine ethnique d’un candidat doit être traitée de façon confidentielle [9]. L’employeur aura d’ailleurs tout intérêt à préciser que ces renseignements sont nécessaires à l’application d’un programme d’accès à l’égalité pour éviter toute mauvaise réaction du candidat.

En conclusion, la discrimination positive doit s’inscrire dans un cadre spécifique et conforme aux dispositions de la Charte québécoise. Ainsi, un employeur peut volontairement mettre en place un programme d’accès à l’égalité. Cependant, l’affichage d’un poste qui vise à recruter un membre d’une minorité visible ou d’un groupe ethnique doit résulter d’une analyse contextuelle de l’organisme respectant les Lignes directrices établies par la Commission.


Me Anne-Marie Bertrand, CRIA, et Me Mona Kayal

Source :

Source : VigieRT, décembre 2018.

1 CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114, p. 1145.
2 R.L.R.Q., c. C-12.
3 Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, RLRQ c A-2.01; Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, R.L.R.Q., c. E-20.1.
4 Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Lignes directrices concernant la validité des Programmes d’accès à l’égalité établis volontairement dans le secteur de l’emploi, 1986. En ligne : (consulté le 14 novembre 2018).
5 Il existe également le Règlement sur les programmes d’accès à l’égalité, R.L.R.Q., c. C-12, r 3. Cependant, il s’applique aux programmes d’accès à l’égalité implantés sur recommandation de la Commission ou ordonnés par un Tribunal en vertu de l’article 88 de la Charte québécoise.
6 Denis, Pascale L., Asselin, Sophie, Simard, Myriam, Paré, Frédéric, Benoit-Chabot, Gabrielle, « L’interdiction de la discrimination en emploi et les pratiques de recrutement et de sélection des PME assujetties au droit du travail québécois », La Revue du Barreau, (2015) 74 R. du B. 187, Montréal, Barreau du Québec.
7 Article 87, Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c. C-12.
8 Article 89, Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c. C-12.
9 Québec, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, L’application et l’interprétation de l’article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, 2011, en ligne : CDPDJ (consulté le 14 novembre 2018).