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La qualification de la véritable nature d’un contrat de travail

La dernière année a permis de lever le voile sur la question de droit entourant la qualification de la nature d’un contrat de travail.

30 septembre 2015
Philippe Desrosiers, CRIA

En effet, la Cour d’appel du Québec a confirmé à deux reprises qu'une succession de contrats de travail à durée déterminée peut, dans certaines circonstances, être considérée comme une relation de travail à durée indéterminée[1].

Atwater Badminton and Squash Club inc. c. Morgan[2]
La Cour d’appel a confirmé, dans cet arrêt, l’interprétation de la juge de la Cour supérieure en concluant qu’une succession de contrats de travail à durée déterminée peut attester l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Dans cette affaire, le plaignant, un professeur de badminton, a été au service d’un centre sportif de 1993 à 2010, soit pendant dix-sept ans sans interruption. Au cours de l’emploi, les parties ont signé divers contrats à durée déterminée s’échelonnant de neuf mois à trois ans. Le plaignant a aussi travaillé, de 1998 à 2002, sans contrat de travail écrit. En janvier 2010, à l’échéance de son contrat, son employeur lui a indiqué qu’il ne le renouvellerait pas.

Dans son jugement, la juge de première instance explique que la nature véritable d’une relation de travail doit s’analyser selon ses circonstances particulières, le comportement des parties ainsi que leurs intentions.

En l’espèce, les contrats de travail à durée déterminée se succédaient et contenaient sensiblement les mêmes clauses. Les discussions des parties entourant le renouvellement de ces contrats ont toujours été brèves et informelles. D’ailleurs, certaines d’entre elles ont été tenues après l’échéance des contrats de travail sans qu’il y ait d’interruption de la prestation de travail, exposant ainsi l’intention des parties de poursuivre leur relation, et ce, malgré le terme.

Considérant l’ensemble des faits, la Cour a conclu que la relation de travail entre le plaignant et le centre sportif s’apparentait à un contrat de travail à durée indéterminée.

Commission des normes du travail c. IEC Holden inc.[3]
Quelques mois plus tard, la Cour d’appel s’est penchée de nouveau sur cette même question dans l’affaire IEC Holden inc.

Il s’agissait d’un pourvoi à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté l’action intentée par la Commission des normes du travail (la Commission) dans le but de réclamer les indemnités qui auraient dû être versées aux salariés licenciés par la compagnie.

Pour la Commission, le contrat de travail des salariés n’avait que l’apparence d’un contrat à durée déterminée, mais en réalité, il s’agissait plutôt d’une relation de travail à durée indéterminée. L’entreprise devait donc se soumettre aux dispositions de la Loi sur les normes du travail (la Loi) concernant l’avis de la cessation d’emploi et l’avis de licenciement collectif. Quant à l’employeur, celui-ci prétendait que tous les contrats octroyés étaient à durée déterminée et qu’ils n’avaient simplement pas été renouvelés à leur terme.

Dès lors, il importe de préciser la nature de la relation contractuelle entre les parties, puisque la Loi, en présence d’un contrat à durée déterminée, dispense l’employeur de donner un avis de cessation d’emploi et de licenciement collectif.

Une fois de plus, la Cour d’appel, en accueillant le pourvoi, retient l’interprétation selon laquelle une succession de contrats à durée déterminée peut correspondre à une relation de travail à durée indéterminée.

En l’espèce, l’entreprise en cause œuvre « exclusivement en sous-traitance pour quelques clients, dont l’un lui fournit 80 % de ses commandes[4]. » Il va sans dire que l’entreprise est dépendante des affaires de ce client. Selon la fluctuation de ses activités et l’achalandage, elle octroie des contrats à durée déterminée pour une période d’emploi variant d’un à six mois.

Bien que la production de l’entreprise ne soit pas toujours optimale, certains employés ont accumulé plus de quatre ans de service continu.

À la suite d’une baisse d’affaires importante, l’entreprise n’a pas renouvelé plusieurs contrats qui arrivaient à leur terme, dont ceux des employés ayant le plus d’ancienneté.

De prime abord, pour le plus haut tribunal du Québec, il est impératif d’éviter de confondre le concept de contrat de travail à durée indéterminée avec la notion de « service continu » défini au 12e paragraphe de l’article 1 de la Loi :

« Le législateur calcule le service continu sans égard à la nature du contrat. Ce qui compte, c’est la durée de la période durant laquelle le salarié est, sans interruption, lié à l’employeur, que ce soit en vertu d’un contrat à durée indéterminée, d’un contrat à durée déterminée ou même, dans ce dernier cas, d’une succession de contrats à durée déterminée[5]. »

Cette distinction implique donc que des contrats à durée déterminée peuvent se suivre sans interruption et sans se transformer en un contrat de travail à durée indéterminée. Les renouvellements successifs et répétés de ce type de contrat n’engendrent donc pas nécessairement une relation contractuelle à durée indéterminée.

Or, le législateur n’exclut pas pour autant la possibilité qu’une succession de contrats à durée déterminée puisse révéler une relation de travail d’un autre ordre, ou encore, transformer la relation contractuelle en une relation à durée indéterminée ponctuée de moments où les parties se rencontrent pour se positionner sur leurs obligations respectives.

Ici encore, pour la Cour, afin de déterminer la véritable nature de la relation de travail, il est primordial de considérer les circonstances particulières de la relation, le comportement et l’intention des parties à la conclusion du contrat de même que tout au long de son application.

En l’espèce, les employés étaient dans « l’expectative réelle d’une relation continue et indéterminée dans le temps[6] » tout comme l’employeur s’attendait à ce qu’ils demeurent en poste, et ce, malgré l’arrivée du terme. La Cour insiste aussi sur les avantages que l’employeur offrait à ses employés, par exemple un régime d’assurance collective, des congés de maladie ainsi que des vacances annuelles, qui permettent de traduire une véritable intention d’engagement à long terme.

Les juges ont aussi pris en considération le renouvellement des contrats qui s’effectuait de façon informelle sans négociation ni modification des conditions de travail. Il s’agissait dans les faits d’une simple formalité administrative. En l’espèce, l’employeur n’avait jamais fait mention d’une durée déterminée bien qu’un terme figure au contrat.

Par ailleurs, le renouvellement de certains contrats a eu lieu plus de cinq jours après le terme sans qu’il y ait d’interruption de la prestation de travail, donnant ainsi ouverture à l’application de l’article 2090 du Code civil du Québec. La relation de travail avait alors été reconduite pour une durée indéterminée de telle sorte que chaque partie pouvait y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé raisonnable.

Enfin, les contrats contenaient une disposition permettant à l’employeur de procéder à des mises à pied, ce qui est incompatible avec le concept de contrat à durée déterminée, lequel, par nature, devrait lier les parties jusqu’à son échéance.

Ainsi, unanimement, la Cour conclut que l’employeur entretenait une relation de travail à durée indéterminée avec ses employés fondée sur une série d’actes ayant la forme de contrats à durée déterminée.

Pour les juges, la mention d’un terme précis dans un contrat ne permet pas d’en établir à elle seule la nature. La qualification de la nature du contrat est une question de fond plutôt que de forme.

Que retenir?
Dans ces arrêts, la Cour d’appel a confirmé l’importance de dépasser la matérialité ou la forme du contrat de travail lors de la qualification de sa véritable nature.

Il faut s’intéresser davantage à l’intention réelle des parties. Autrement dit, il faut prendre en considération l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat ainsi que l’évolution de la relation de travail.

Rappelons que les tribunaux tiennent aussi compte du libellé des clauses contenues dans le contrat de travail ainsi que la présence de certains avantages accessoires dont peut se prévaloir l’employé puisque ce sont des éléments déterminants.

Suivant ce qui précède, les employeurs doivent rédiger leurs contrats de façon claire et précise, ne laissant aucune place à l’ambiguïté. La clarté est de mise afin d’éviter tout malentendu sur la durée réelle de la relation contractuelle, et ce, à plus forte raison lorsqu’ils désirent conclure un contrat de travail à durée déterminée.

L’employeur devrait ainsi éviter d’inclure dans le contrat de travail à durée déterminée des dispositions lui permettant de procéder à des mises à pied ou de mettre fin unilatéralement, sans préavis, au contrat puisqu’il s’agit de concepts incompatibles avec la nature de ce contrat.

Bref, il faut faire preuve de rigueur et avoir le souci du détail lors de la rédaction de contrat de travail, car la Cour d’appel a précisé certains points quant à la qualification de sa nature.

Source : VigieRT, septembre 2015.


1 Société d’électrolyse et de chimie Alcan ltée c. Québec (Commission des normes du travail) REJB 1995-56890 (CA); Cie Montreal Trust c. Moore, [1998] R.J.Q. 2339 (C.A.); Atwater Badminton and Squash Club inc. c. Morgan, 2014 QCCA 998.
2 2014 QCCA 998.
3 2014 QCCA 1538.
4 Id.
5 Id.
6 Id.

Philippe Desrosiers, CRIA