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Le vol de temps à l’ère des nouvelles technologies

Différents types de comportements correspondent à du vol de temps, tels que s’absenter pour des raisons personnelles durant ses heures de travail, être en retard, partir plus tôt, prolonger sa période de repos ou de repas, falsifier ses feuilles de temps, etc.

23 juin 2015
Ann Sophie Del Vecchio

Or, avec l’arrivée des nouvelles technologies, les employeurs doivent faire face à de nouvelles situations de vol de temps, par exemple l’utilisation du cellulaire, d’un ordinateur portable ou d’une tablette électronique afin de naviguer sur Internet durant les heures de travail.

Dans ces cas précis, il est toujours question de vol de temps, mais la façon dont ce comportement se manifeste est différente. La problématique à laquelle fait face l’employeur demeure la même, bien qu’il existe certaines considérations particulières propres à l’utilisation de biens technologiques.

1. L’importance de la preuve à recueillir

L’utilisation d’outils technologiques appartenant à l’employeur
En matière de vol de temps lié à l’utilisation des nouvelles technologies, comme l’utilisation de l’ordinateur de l’employeur à d’autres fins que l’accomplissement des fonctions de l’employé durant ses heures de travail, la preuve doit être non équivoque et étoffée. À cet égard, notons qu’il est de plus en plus fréquent de voir des experts contester la preuve patronale présentée au sujet de ce type de vol de temps.

Qu’est-ce qu’une preuve étoffée? Celle administrée dans Syndicat des employés-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 c. Hydro Québec[1] en est un bon exemple.

Dans cette affaire, l’employeur a été informé qu’une salariée avait transmis à une personne non autorisée, par courriel, de l’information confidentielle appartenant à l’entreprise. Il a donc demandé qu’une enquête soit tenue par le service de l’audit interne, afin notamment de s’assurer qu’elle n’avait pas commis d’autres manquements de ce genre. S’est alors ensuivie une investigation poussée à l’intérieur de laquelle ses courriels et transactions sur Internet ont été vérifiés. L’information obtenue par le spécialiste en informatique a été classée, triée, analysée et épurée.

Durant l’enquête, le spécialiste en informatique a notamment tenu compte de l’horaire de la salariée, de ses journées de congé, de ses vacances, d’une liste des sites Internet qu’il était possible qu’elle consulte dans le cadre de son travail et de la liste de contacts clients avec qui elle était susceptible de communiquer.

Chaque fois qu’il avait un doute quant à savoir si les sites consultés ou les personnes à qui elle avait transmis certains courriels étaient justifiés dans le cadre de l’accomplissement de ses fonctions, il lui en accordait le bénéfice et ne comptabilisait pas ces données.

L’analyse effectuée par le spécialiste en informatique interne a pris de nombreuses heures, ce dernier ayant détaillé dans un tableau Excel, en ordre chronologique, les allées et venues sur Internet et les courriels de la salariée durant ses heures de travail. La preuve présentée a permis à l’employeur de se décharger de son fardeau de preuve et de prouver un véritable vol de temps.

Notons que chez Hydro-Québec, l’utilisation des outils informatiques est réglementée dans un Code de conduite. L’employeur permet une utilisation de l’ordinateur et du courriel à des fins personnelles, pourvu qu’elle soit raisonnable et appropriée. Dans cette affaire, l’arbitre a conclu qu’une heure par jour d’utilisation personnelle d’Internet et de gestion des courriels personnels n’entrait pas dans la définition d’« utilisation raisonnable ».

Dans une autre affaire impliquant Hydro-Québec (Hydro-Québec c. Le Syndicat des Spécialistes et Professionnels d’Hydro-Québec, SCFP, section locale 4250 [FTQ])[2], l’arbitre a souligné que la preuve présentée par l’employeur, ayant sanctionné un salarié pour vol de temps, souffrait « d’indiscutables faiblesses », en ce qu’elle ne permettait pas de déterminer à quelle heure le plaignant commençait et terminait sa journée de travail, ni quand avaient lieu ses pauses ou la prise de ses repas.

Ces éléments de preuve sont importants, car en dehors des heures de travail, on ne peut pas qualifier l’utilisation d’Internet par un salarié de « vol de temps ».

La preuve recueillie par les spécialistes en informatique, dans un tel contexte, ne peut l’être à la légère. Les moindres détails doivent être pris en considération et analysés, sans quoi il sera difficile de faire la preuve d’un réel vol de temps.

L’utilisation d’outils technologiques appartenant au salarié
Lorsqu’une telle utilisation est faite à partir d’outils technologiques appartenant au salarié, une difficulté supplémentaire entre en jeu : les relevés d’utilisation des appareils ne se trouvent pas entre les mains de l’employeur. Ne pouvant démontrer l’ampleur de l’utilisation du cellulaire ou de la tablette électronique durant les heures de travail, comment peut-il faire la preuve d’une utilisation excessive et d’un vol de temps?

Dans un tel cas, l’employeur aura beaucoup de difficulté à quantifier la perte de temps, donc à qualifier celle-ci de « vol de temps ».

Nous conseillons donc de gérer ces utilisations par la mise en place et l’application stricte d’une politique claire concernant l’utilisation du cellulaire et des autres outils technologiques au travail, laquelle prévoira des sanctions advenant une violation de cette politique.

Par exemple, il pourrait être interdit d’avoir en sa possession son cellulaire personnel ou sa tablette durant les heures de travail. Tout manquement à cette règle serait alors sanctionné, sans toutefois avoir à « prouver » un vol de temps. L’imposition de la mesure serait alors fondée sur une contravention à une directive claire, plutôt que sur un vol de temps. De cette façon, plusieurs contraventions à cette politique pourraient donner lieu à une gradation dans les sanctions, pouvant ultimement aller jusqu’au congédiement[3].

À titre d’illustration, dans Pattison c. Cemar Electro inc.[4], où l’utilisation du cellulaire et de la tablette personnelle pendant les heures de travail avait été observée, l’employeur, suivant l’imposition d’avis verbaux et écrits à un salarié, a pris la décision de le congédier en raison de ses multiples contraventions aux directives.

Dans cette affaire, le salarié invoquait qu’il avait des motifs raisonnables d’utiliser ses appareils électroniques. Le tribunal a rejeté cet argument. Il est plutôt d’avis que si le salarié a une « excuse raisonnable » à présenter, il en est de sa responsabilité d’aviser immédiatement l’employeur à ce sujet. L’employeur n’a pas à s’informer auprès du salarié pour connaître les motifs qui l’ont incité à utiliser ses appareils électroniques : c’est au salarié d’en aviser l’employeur au moment opportun, s’il a une raison à faire valoir.

La simple affirmation du salarié selon laquelle il n’a pas utilisé ses appareils électroniques pendant ses heures de travail n’est pas suffisante. Il « aurait pu produire un relevé des appels effectués durant [la période visée] » [5], ce qu’il n’a pas cru pertinent de faire.

L’utilisation d’outils électroniques pendant les heures de travail mérite donc d’être sanctionnée : il appartient au salarié qui souhaite prouver le contraire, ou apporter une justification à cette utilisation, de présenter une preuve à cet effet.

2. Une politique efficace
En 2015, utiliser un ordinateur ou un cellulaire au travail devient quasi incontournable. Afin de prévenir les abus, il est primordial que les employeurs adoptent une politique relative à l’utilisation d’outils technologiques en milieu de travail. Cette politique doit notamment servir à informer les salariés de l’impact que leur utilisation peut avoir sur l’image, l’intégrité et la réputation de l’entreprise, de même que sur leurs obligations.

La politique mise en place doit être claire et détaillée. À titre d’exemple, certains éléments pertinents, lesquels découlent de la jurisprudence récente, méritent d’être ajoutés :

  • Le peu de travail, le manque de travail ou l’ennui ne constitue pas une justification au vol de temps[6]. Un salarié se trouvant dans l’une ou l’autre de ces situations devra d’abord s’assurer auprès de son superviseur qu’il peut utiliser Internet à des fins personnelles avant de le faire;
  • Le bon rendement au travail d’un employé n’empêche pas que le comportement puisse être sanctionné et qualifié de vol de temps;
  • Il devrait être précisé que l’utilisation d’appareils personnels durant les heures de travail doit être limitée aux cas d’urgence ou de nécessité.

L’employeur devrait prévoir une formation de ses superviseurs afin d’optimiser l’application de la politique adoptée. En effet, selon la taille de l’entreprise, il est plus que souhaitable que cette politique soit appliquée de façon uniforme par l’ensemble des cadres.

Les salariés devraient également suivre une formation sur l’application de la politique : de cette façon, ils connaîtront la portée qu’entend lui donner l’employeur.

Finalement, l’employeur devrait rappeler de manière fréquente à ses salariés l’existence de celle-ci. Ils ne seront jamais « trop » avertis.

Conclusion
Non seulement le vol de temps est-il un manquement grave et répréhensible, mais il est aussi très coûteux pour les entreprises. À ce sujet, mentionnons les conclusions d’une étude réalisée aux États-Unis : il en coûte aux employeurs plus de 400 milliards de dollars par année en matière de productivité[7], un employé moyen volant environ 4 heures 5 minutes par semaine[8]! Il ne faut donc pas banaliser la situation : l’impact est énorme sur vos organisations.

Source : VigieRT, juin 2015.


1 Syndicat des employés-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 c. Hydro Québec, préc. note 4, par. 54 et ss.
2 Hydro-Québec c. Le Syndicat des Spécialistes et Professionnels d’Hydro-Québec, SCFP, section locale 4250 (FTQ), 2011 CanLII 50098 (QCSAT), par. 52 et ss.
3 Pattison c. Cemar Electro inc., préc. note 2, par. 46.
4 Id., par. 42 et 43.
5 Id., par. 51. Dans l’affaire Auto Gouverneur Nissan et TCA Canada, section locale 4511 (Pietro Della Serra), préc. note 2, par. 128., le plaignant prétendait que son appel personnel avait été de courte durée. L’arbitre énonce qu’il aurait pu lui-même mettre en preuve son relevé de cellulaire (l’arbitre ajoute qu’il s’agit d’une procédure simple), ce qu’il n’a pas fait. L’arbitre ne peut uniquement se baser sur l’affirmation du salarié.
6 Teamsters Québec, section locale 931 et Location Brossard inc. (Gaétan Lambert), préc. note 3, par. 48 citant Syndicat de la fonction publique, section locale 4140 et Les centres jeunesse de l’Outaouais – 2005 AZ-50338981.
7 The Kentucky CPA Journal, automne 2007, Biting the Hand that Feeds: The Employee Theft Epidemic” par Terrance Daryl Shulman, JD, LMSW, ACSW, CAC, CPC.
8 www.americanpayroll.org

Ann Sophie Del Vecchio