Ce programme a permis à de nombreuses femmes de recourir à la fécondation in vitro dans le but de devenir enceintes en leur donnant les moyens financiers pour le faire.
Il est bien acquis dans la société québécoise que les lois du travail protègent les femmes enceintes afin d’éviter qu’elles perdent leur emploi ou qu’elles soient victimes de toute autre mesure discriminatoire en raison de leur état. On pense notamment aux mesures de protection tel que le recours pour pratique interdite prévu à la Loi sur les normes du travail[1] ou le recours à l’encontre d’une pratique discriminatoire prévu à la Charte des droits et libertés de la personne[2].
De même, la Loi sur les normes du travail prévoit spécifiquement des congés autorisés en ce qui concerne les examens reliés à la grossesse[3], en présence d’un danger d’interruption de grossesse ou pour la santé de la mère ou de l’enfant à naître[4], de même que le congé en cas d’interruption de grossesse[5] et le congé de maternité[6] ou parental[7].
Or, la procréation assistée intervient avant même ces occurrences qui donnent ouverture à l’application des différents recours qui existent et la Loi sur les normes du travail ne prévoit aucune absence particulière autorisée ou protégée à ce sujet.
Absentéisme lié aux traitements
Qu’en est-il donc lorsqu’une employée tente de devenir enceinte au moyen de la procréation assistée et, de ce fait, subit de nombreux traitements, puis en conséquence, s’absente à de nombreuses reprises du travail? De quelle façon l’employeur doit-il alors traiter ces absences?
La question de savoir si l’absence liée au traitement de fécondation in vitro peut être considérée comme une absence pour cause de maladie se pose, car l’employée pourrait ainsi bénéficier de la période d’absence protégée par la Loi sur les normes du travail en vertu de l’article 79.1. Cet article protège en effet les salariés justifiant 3 mois de service continu pour une absence d’au plus 26 semaines sur une période de 12 mois, laquelle absence serait justifiée par une maladie ou un accident.
À première vue, il semblerait que cet article soit inapplicable pour une absence en lien avec la fécondation assistée, puisque cette activité, à défaut d’un meilleur terme, ne constitue pas une maladie en soi et que, bien évidemment, il ne s’agit pas d’un accident.
À notre connaissance, il n’y a pas de jurisprudence portant sur ce sujet, mais il faut rappeler que le Tribunal du travail a déjà statué que le simple fait de ne pas se sentir bien ne saurait constituer une maladie[8].
De la même façon, il est peu probable que le fait d’être absente du travail pour subir des traitements de fécondation assistée puisse constituer un moyen de pallier un handicap au sens de la Charte et engendrer l’obligation d’accommodement auquel l’employeur serait normalement tenu jusqu’à ce que cet accommodement devienne une contrainte excessive. Encore là, aucune jurisprudence à ce sujet n’a été répertoriée.
Toutefois, la jurisprudence existante démontre que la notion de handicap réfère à une pathologie ou à des problèmes de nature psychique ou psychologique qui limitent physiquement, mentalement ou psychologiquement la personne ainsi affligée. Les motifs de recourir à la fécondation in vitro sont multiples, mais même dans le cas où ils résulteraient d’une infertilité, laquelle pourrait être considérée comme un handicap selon les circonstances propres à chaque cas, il n’est pas certain que les absences du travail pour cause de traitements de fécondation assistée puissent pour autant constituer un moyen d’y pallier. Advenant le cas où l’obligation d’accommodement entrerait effectivement en jeu, il faudra cependant se demander jusqu’où l’obligation d’accommodement de l’employeur doit aller.
Décision de la CRT
La seule décision répertoriée en droit du travail concernant la fécondation assistée est celle dans l’affaire Labrecque c. Résidence C. Grenon inc., 2015 QCCRT 0168[9], dans laquelle la Commission des relations du travail a rejeté la plainte de la salariée pour pratique interdite en vertu de l’article 122 de la Loi sur les normes du travail.
Cette affaire se résume comme suit : la salariée a allégué que son employeur lui avait demandé, au moment de son embauche, si elle voulait d’autres enfants, puisqu’une préposée aux bénéficiaires enceinte doit automatiquement être mise en retrait préventif. À ce moment, la plaignante n’était pas enceinte, mais avait entrepris le processus de procréation assistée, ce qui entraîne de nombreux rendez-vous à la clinique.
Donc, subséquemment à son embauche, la salariée a dû s’absenter à de nombreuses occasions pour ses rendez-vous médicaux. Chaque fois, elle informait simplement son employeur qu’elle n’entrait pas travailler ou qu’elle quittait le travail plus tôt, sans plus de précisions. La salariée a affirmé qu’elle parlait ouvertement de ses démarches de procréation assistée dans son milieu de travail et que l’ensemble du personnel était donc au courant.
Alors que la plaignante a remis un billet médical indiquant une incapacité de travailler pour « raisons de santé » à son employeur, il a mis fin à son emploi en raison, entre autres, de ses absences répétées.
La salariée a entrepris un recours en alléguant la pratique interdite au motif qu’elle était enceinte. L’employeur a plaidé que la plaignante n’était pas enceinte au moment du congédiement, puisque dans un cas de fécondation assistée, la grossesse est confirmée seulement plusieurs jours après l’intervention.
La Commission a noté qu’elle n’avait pas reçu de preuve médicale ou scientifique confirmant que la plaignante était enceinte au moment du congédiement, mais en dépit de cela, elle a considéré que l’employeur avait rempli son fardeau consistant à démontrer des motifs sérieux pour avoir congédié la salariée.
Conclusions
Cette décision, la seule répertoriée à ce sujet, démontre en quelque sorte que les absences de l’employée doivent dès lors être traitées de la même façon que dans tout dossier régulier d’absentéisme. En d’autres termes, les absences se doivent d’être justifiées et soutenues par un billet médical.
La salariée a l’obligation d’être présente au travail et de prendre tous les moyens nécessaires pour y assurer sa présence. En cas d’absence, elle a l’obligation d’aviser son employeur, à moins de circonstances particulières l’empêchant de transmettre cet avis.
Comme la salariée peut bénéficier du recours pour congédiement sans cause juste et suffisante si elle justifie deux ans de service continu, il appartiendra à l’employeur, dans un tel contexte, de faire la preuve que la cause l’est vraiment.
Enfin, advenant le cas où l’obligation d’accommodement entrerait en jeu, l’employeur devra démontrer qu’il a accommodé la salariée jusqu’à ce que cela devienne une contrainte excessive.
Source : VigieRT, juin 2015.