Le cas en litige met en cause une secrétaire-réceptionniste au cabinet de la mairie d’une ville dont le conjoint effectuait une étape de la production de cannabis dans une pièce camouflée du sous-sol de la résidence du couple. Un matin de janvier 2013, les policiers sont intervenus et ont arrêté le conjoint et madame. Suivant cette arrestation, la Ville a suspendu avec solde, puis congédié la salariée. La preuve au dossier révèle essentiellement qu’elle a toujours nié quelque implication que ce soit dans les actes reprochés à son conjoint, bien qu’elle en ait eu la connaissance. Dès lors, suivant l’enregistrement de la réponse en accusation du conjoint, les accusations portées contre la salariée tombent, « le Ministère public déclare n’avoir aucune preuve à offrir »[2].
Malgré l’acquittement de la salariée, la Ville a maintenu son congédiement alléguant être en mesure de prouver, par prépondérance de preuve les éléments justifiant le congédiement initial soit un abus de confiance en raison de la connaissance et de la participation même passive de la salariée aux infractions criminelles reprochées à son conjoint.
Dans cette affaire, il est important de situer l’implication de la salariée dans les infractions criminelles de son conjoint, car l’enquêteur « s’est déclaré d’accord pour dire que l’enquête n’avait pas révélé la participation de la salariée aux activités visées par la perquisition ni qu’elle avait ouvert sa porte à qui que ce soit. De plus, aucune preuve ne permettait de croire qu’elle avait vendu de la drogue »[3].
L’arbitre avait confirmé le congédiement en concluant « que l’employeur n’a pas seulement invoqué les accusations criminelles portées contre elle pour justifier son congédiement, il a également démontré la participation de celle-ci à des activités criminelles de production et de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic »[4].
La décision de la Cour supérieure
Il est à noter que l’appréciation de la preuve et de la jurisprudence faite par l’arbitre n’a pas été contestée. La révision judiciaire a porté essentiellement sur l’analyse juridique et l’appréciation du droit que l’arbitre avait élaborées.
D’entrée de jeu, le juge, appliquant la norme de la décision raisonnable, a rappelé les règles de preuve lors de l’arbitrage de grief. En effet, bien qu’il s’agisse d’accusations criminelles, nous sommes ici en présence d’un litige civil où l’employeur devait démontrer par prépondérance les motifs du congédiement de la salariée.
Puisque l’employeur a principalement invoqué les accusations criminelles de la plaignante et sa participation, même passive, aux infractions commises par son conjoint, ce n’est que dans le droit criminel que l’on retrouvera les éléments constitutifs des fautes justifiant son congédiement. L’arbitre devait donc évaluer l’actusreus (l’acte reproché) et la mens rea (l’intention coupable) pour déterminer, par prépondérance de preuve, si la salariée a commis ou non les gestes reprochés.
L’examen des faits par le juge s’est fait dans un premier temps au regard de la notion de possession selon le droit criminel. Énonçant les critères de la possession de stupéfiant, le juge de la Cour supérieure a rappelé que pour être accusé de possession de drogues, il faut en avoir un certain degré de contrôle[5]. Néanmoins, il ressort clairement de la preuve que madame avait connaissance de l’activité de son conjoint, mais qu’elle n’y consentait pas. En fait, il est aussi constant dans la preuve qu’elle ne voulait rien savoir de ses activités. Ainsi, le juge est parvenu à la conclusion que « la simple connaissance est insuffisante pour fonder la possession au sens du droit criminel »[6]. Dès lors, il y avait là, selon lui, erreur révisable puisque la décision arbitrale n’a pas permis de déterminer le degré de contrôle que madame avait sur les matières illicites.
L’arbitre a aussi considéré la participation de la salariée aux activités de son conjoint puisqu’en omettant de prévenir la police, madame aurait aidé son conjoint dans ses activités illégales. Cependant, le juge, exposant la jurisprudence et la doctrine en droit criminel sur la participation à une activité illégale, a démontré que le fait de ne pas dénoncer ne saurait constituer l’actusreus de la participation à la production et à la possession de marijuana, ni d’ailleurs la mens rea ou l’intention d’aider[7]. « Il faut que la preuve démontre que son défaut d’agir avait pour but d’aider le contrevenant à commettre son crime »[8], ce qui dans les faits n’était pas le cas. Ainsi, les reproches adressés à la salariée dans le cas à l’étude sont sa présence sur les lieux, sa connaissance des activités illégales et sa passivité ce qui est, pour le juge, insuffisant pour conclure à sa participation criminelle.
Ainsi, la Cour supérieure en est venue à la conclusion qu’il est déraisonnable de conclure à la responsabilité criminelle de la salariée quant à la preuve soumise. Puisque le ratio de cette décision arbitrale est la participation de la salariée aux infractions criminelles alléguées, les conclusions de l’arbitre n’appartenaient pas aux issues possibles du grief. Pour cette raison, la Cour a cassé la décision arbitrable et a ordonné la réintégration de la salariée.
Le 11 mars 2015, la Cour d’appel du Québec a accordé à l’employeur la permission d’en appeler de la décision de la Cour supérieure. D’ailleurs, à la suite des représentations du procureur syndical, la Cour d’appel se prononcera également sur la norme de contrôle applicable dans ce dossier.
Source : VigieRT, avril 2015.
1 | Syndicat des fonctionnaires municipaux et professionnels de la Ville de Sherbrooke (Cols blancs) (FISA) c. Blais, 2015 QCCS 51 (CanLII). |
2 | Par. 14 de la décision. |
3 | Par. 24 de la décision. |
4 | Par. 43 de la décision. |
5 | Par. 61 de la décision. |
6 | Par. 59 de la décision. |
7 | Par. 69 de la décision. |
8 | Par. 70 de la décision. |