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L’utilisation des réseaux sociaux : à encadrer absolument!

Les réseaux sociaux ont connu ces dernières années un fulgurant développement. À titre d’exemple, en septembre 2014, plus de 150 000 entreprises canadiennes avaient des pages actives sur le réseau LinkedIn (Gillian Livingston, Globe and Mail, 30 octobre 2014). Celles-ci utilisent les réseaux sociaux notamment pour recruter des candidats, faire de la promotion, etc. Ce développement des médias sociaux pose d’importants défis à la gestion des ressources humaines. Il suffit de penser aux commentaires désobligeants parfois tenus par un salarié envers un collègue ou l’organisation, à l’utilisation des appareils mobiles sur les lieux du travail, etc.

12 mars 2015
Rhéaume Perreault, CRIA, et Mohamed Badreddine

La jurisprudence québécoise a eu l’occasion de se prononcer sur plusieurs questions en lien avec les défis inhérents aux réseaux sociaux et à la gestion des ressources humaines. La question la plus fréquente sur laquelle les tribunaux ont eu à se prononcer était liée aux agissements fautifs des employés sur les réseaux sociaux. À cet égard, la décision ArcelorMittal (Exploitation minière Canada senc) et Syndicat des métallos, section locale 5778 (Frédéric Landry), 2014 QCTA 351, 23 avril 2014, AZ-51071796 en est un bon exemple. Dans cette affaire, un salarié a écrit sur Facebook des propos diffamatoires au sujet d’un collègue de travail. Après enquête, l’employeur l’a congédié. Compte tenu de plusieurs circonstances atténuantes, l’arbitre a décidé de substituer au congédiement du salarié une suspension sans solde jusqu’à sa réintégration et ordonné celle-ci dans les trente jours de sa décision. Le salarié avait écrit sur Facebook ce qui suit :

« Ouep! On est traité come des criss de voleurs, pis quand on est un boute sans se plaindre, on nous enlève peu à peu les acquis! On a parlé avec les gérants de Domco sur notre shift et les directives viennent de la grosse « vache » à Vicky Jones! J’ai déjà eu du respect pour elle mais c’t’une criss d’hypocrite qui est supposer nous représenter! Si elle se mettait à la ration comme elle nous met, elle serait surement un peu plus svelte! Faudrait peut-être commencer à songer à faire une pétition pour qu’elle lève les pattes, elles commenceraient peu être à se bouger le cul et travailler davantage pour nos intérêts! » (sic)

Outre des différends liés à des propos abusifs tenus sur les réseaux sociaux ou à la gestion de dossiers d’absentéisme, on constate ces dernières années la naissance de litiges liés à la création et à l’utilisation des comptes des entreprises sur les réseaux sociaux. Plus particulièrement, les entreprises se fient bien évidemment aux employés pour gérer leur compte d’affaires sur les médias sociaux, afficher du contenu, etc. La question est alors de savoir à qui appartiennent les contacts et la propriété des comptes. La jurisprudence sur ce point n’est pas encore très développée au Québec, mais la situation est différente aux États-Unis où les tribunaux ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce genre de question. Par contre, il ne semble pas y avoir un consensus clair sur le sujet. Il est néanmoins intéressant d’en faire un bref survol.

Ainsi, dans l’affaire Eagle v. Morgan, (Décision N° 11-4303, E.D.Pa, 12 mars 2013), Linda Eagle, fondatrice de la compagnie Edcomm, avait créé un compte LinkedIn à son nom, mais en utilisant l’adresse électronique de sa compagnie Edcomm. Quelques années plus tard, Edcomm fut achetée par une autre compagnie, Sawabeh. Linda Eagle demeura à l’emploi de Sawabeh durant un certain temps avant d’être licenciée. Au moment de la fin d’emploi de madame Eagle, Sawabeh prit le contrôle du compte LinkedIn de Eagle et changea la photo du profil ainsi que le mot de passe. Quelques jours plus tard, par l’entremise de LinkedIn, Linda Eagle reprit le contrôle de son compte et intenta une poursuite contre son ancien employeur pour vol d’identité. Sabaweh déposa, pour sa part, une demande reconventionnelle contre madame Eagle pour détournement du compte et concurrence déloyale.

Le juge donna raison à Linda Eagle et rejeta la demande reconventionnelle de Sawabeh, à savoir que les « connections » associées au compte LinkedIn étaient la propriété de l’employeur. Le juge a motivé sa décision en soulignant que l’employeur n’avait aucune politique obligeant les employés à détenir un compte LinkedIn. Compte tenu de l’absence totale de directive interne concernant l’utilisation des comptes LinkedIn, le juge a conclu que l’employeur n’avait aucun droit de regard sur le compte LinkedIn de Linda Eagle. Ce faisant, l’employeur ne pouvait réclamer la propriété du compte ou des informations qu’il contenait.

Par contre, dans la décision Ardis Health v. Nankivell, (2011 WL 4965172, S.D.N.Y., 19 octobre 2011), madame Nankivell était chargée par son employeur de créer et d’administrer des comptes pour certains réseaux sociaux, notamment afin de faire la promotion des produits de l’employeur. Pour différents motifs, l’employeur congédia madame Nankivell en juin 2011 et lui demanda de rendre les informations concernant les noms d’utilisateur et les mots de passe des comptes qu’elle administrait. L’employée refusa et l’employeur déposa une requête pour injonction provisoire pour forcer celle-ci à lui rendre les informations recherchées.

Le juge donna raison à l’employeur en ce qui concerne les noms d’utilisateur et les mots de passe que détenait l’employée. L’employeur n’eut visiblement aucune difficulté à prouver qu’il souffrirait d’un préjudice irréparable si l’injonction demandée n’était pas accordée. Le juge retint que l’incapacité pour l’employeur d’accéder à ses comptes sur les médias sociaux l’empêchait de mettre à jour son profil et de réagir promptement aux évènements en ligne (online trends), ce qui pouvait à terme affecter sa réputation et sa compétitivité. Bien que le juge ne le mentionne pas dans ses motifs, il est important de souligner que l’employée avait également signé une entente stipulant que toute création faite par elle dans le cours de son travail appartenait à l’employeur (Work Products Agreement).

Bref, à l’ère des médias sociaux, les services des ressources humaines doivent adéquatement gérer l’utilisation des réseaux sociaux par les employés ainsi que l’image de l’organisation. Une politique ou une directive interne doit exister pour encadrer l’utilisation des médias sociaux à tous les niveaux. Des règles claires doivent être connues et diffusées à l’interne concernant l’utilisation des médias sociaux et les obligations des parties. Par exemple, la propriété des comptes ou des listes de contacts sur les médias sociaux devrait faire l’objet d’une mention dans une politique ou le contrat d’emploi. Il serait aussi approprié de prévoir, entre autres, que les employés doivent modifier au moment de leur terminaison d’emploi leur profil sur les réseaux sociaux afin d’illustrer qu’ils ne sont plus à l'emploi de l'entreprise. Les recommandations sont multiples!

Me Rhéaume Perreault, CRIA, avocat en droit du travail et de l’emploi, associé, Fasken Martineau DuMoulin, s.e.n.c.r.l., srl
Me Mohamed Badreddine, avocat en droit du travail, Fasken Martineau DuMoulin, s.e.n.c.r.l., srl

Source : Effectif, volume 18, numéro 1, janvier/février/mars 2015.


Rhéaume Perreault, CRIA, et Mohamed Badreddine