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Obligations parentales d’un employé : l’employeur a-t-il une obligation d’accommodement?

À la suite de l’augmentation du nombre de femmes sur le marché du travail, l’accommodement pour obligations parentales est un sujet qui fait inévitablement couler beaucoup d’encre. En 2013 et en 2014, nos tribunaux ont énoncé des balises qui faciliteront, sans doute, la tâche des partenaires d’affaires en gestion des ressources humaines. Toutefois, tel que nous le verrons, un défi d’application demeure en ce qu’il existe une différence importante entre le droit fédéral et le droit québécois.

20 janvier 2015
Anna Jankowska, CRHA, et Kseniya Veretelnik

À titre introductif, il est utile de rappeler qu’un employé est victime de discrimination seulement si la distinction dénoncée est basée sur l’un des motifs prohibés en vertu de la loi en matière de droits de la personne qui lui est applicable.

Au provincial
Les employés travaillant dans des entreprises privées de juridiction provinciale au Québec sont régis par la Charte des droits et liberté de la personne (la « Charte ») qui protège les droits et libertés de toute personne « sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. » Le motif prohibé « d’état civil » est celui qui a, maintes fois, fait l’objet d’interprétation afin de déterminer s’il incluait le fait d’être parent ainsi que toute obligation parentale y afférent.

En décembre 2013, la Cour d’appel a réaffirmé un principe énoncé dans une décision qu’elle avait rendue en 2010[1] selon laquelle la situation parentale n’entre pas dans le motif prohibé de discrimination basé sur l’état civil. Dans cette affaire, la plaignante, employée syndiquée à la Ville de Montréal, a un fils atteint de fibrose kystique. En raison de ses obligations parentales, elle n’était pas disponible pour travailler le soir et les fins de semaine. L’employeur et le syndicat ont signé une lettre d’entente établissant un mécanisme pour accélérer et faciliter la titularisation des salariés dans diverses postes. Cette lettre d’entente prévoyait une clause d’exclusion empêchant certains salariés nommés, dont la plaignante, de se prévaloir du mécanisme prévu en raison de restrictions ne leur permettant pas d’effectuer certaines fonctions.

La plaignante a, tout de même, tenté d’obtenir une titularisation aux termes de la lettre d’entente et à la suite du refus de l’employeur, a demandé au syndicat de déposer un grief afin d’obtenir un accommodement pour son horaire de travail en raison du handicap de son fils. Devant le refus du syndicat, elle a entrepris un recours pour défaut de représentation[2].

La Cour d’appel a indiqué que le handicap invoqué n’était pas le sien et que l’accommodement réclamé était plutôt lié à sa situation parentale. Or, comme indiqué par la Cour d’appel en 2010[3], la « situation parentale » n’est pas un motif de discrimination interdit par la Charte et ne fait pas partie du motif prohibé d’état civil. Selon la Cour, le fait d’être parent n’est, en soi, rien de plus que ce fait. Il ne s’agit ni d’un droit ni d’un état reconnu par quelque acte civil que ce soit.

Enfin, la Cour d’appel a conclu que la plaignante n’avait pas été exclue de l’entente entre l’employeur et le syndicat en raison de son état civil, mais plutôt en raison de sa non-disponibilité à occuper la fonction pendant tous les quarts de travail.

Au fédéral
Les employés d’une entreprise de juridiction fédérale, telle qu’une banque ou une entreprise de transport interprovincial, sont quant à eux régis par la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi ») qui protège toute personne contre la discrimination pour des motifs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

En mai 2014, la Cour d’appel fédérale a clarifié la portée de la protection contre la discrimination au motif de « situation de famille » en contexte de travail dans deux affaires[4]. Toutefois, les critères ont été établis dans l’affaire Johnstone. Dans cette décision, la plaignante et son mari, tous deux employés de l’Agence des services frontaliers du Canada, travaillaient selon un horaire de quarts de travail rotatifs. Afin de prendre soin de leurs enfants, la plaignante a demandé de pouvoir bénéficier d’un accommodement lui permettant de travailler selon un horaire avec des quarts de travail fixes. À la suite du refus de l’employeur, la plaignante a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant être victime de discrimination basée sur le motif prohibé de « situation de famille » prévu dans la Loi.

La Cour d’appel fédérale indique, tout d’abord, que la notion de « situation de famille » doit bénéficier d’une interprétation large et libérale qui englobe les obligations familiales et favorise la participation des parents aux occasions d’emploi sur le marché du travail. Cependant, la Cour précise que cette protection ne s’étend qu’aux obligations qu’un parent ne peut négliger sans entraîner sa responsabilité légale, comme la surveillance d’un enfant. La Loi n’assure donc pas un accommodement pour les choix parentaux personnels, tels que la participation de l’enfant à des cours de danse ou à des activités sportives.

Suivant les enseignements de la Cour d’appel fédérale, le parent qui allègue avoir subi de la discrimination en milieu de travail au motif de sa « situation de famille » en raison des obligations liées à la garde de son enfant devra faire la preuve des éléments suivants :

  1. Un enfant se trouve sous sa garde et sa surveillance;
  2. Les obligations liées à la garde de l’enfant sont de nature à engager sa responsabilité légale;
  3. Le parent a fait des efforts raisonnables pour tenter de satisfaire aux obligations liées à la garde de l’enfant au moyen de solutions de rechange raisonnables, et aucune de celles-ci ne lui est raisonnablement accessible;
  4. La règle ou la décision contestée de l’employeur empêche le parent de satisfaire à ses obligations liées à la garde de l’enfant d’une manière substantielle et non négligeable.

En l’espèce, la plaignante était responsable de ses deux enfants et ne pouvait légalement les laisser sans supervision pendant son quart de travail. Par ailleurs, la plaignante avait pris toutes les mesures raisonnables pour satisfaire aux obligations liées à la garde de ses enfants, en sollicitant tant des services de garderie situés près de son travail et de sa maison que des membres de sa famille, mais sans succès. Enfin, l’horaire de travail qui lui était imposé l’empêchait de manière non négligeable de satisfaire à ses obligations. Pour toutes ces raisons, la Cour a conclu que la plaignante avait subi de la discrimination au motif de la « situation de famille » et que l’employeur était tenu de l’accommoder.

Conclusion
En présence d’une demande d’accommodement de la part d’un employé en raison d’obligations parentales, il est primordial de déterminer de quelle juridiction (provinciale ou fédérale) relève l’employeur visé.

Un employeur de juridiction provinciale n’a pas de devoir d’accommodement envers un employé pour des motifs ayant trait à ses obligations parentales. Toutefois, n’oublions pas qu’un tel employé peut, tout de même, bénéficier de l’article 79.7 de la Loi sur les normes du travail autorisant un congé sans solde de 10 journées par année pour remplir les obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation de son enfant ou de l’enfant de son conjoint. Il peut également bénéficier de toute condition de travail ayant trait à cet aspect prévue dans son contrat de travail ou dans une convention collective s’il est syndiqué.

L’employeur de juridiction fédérale qui reçoit une telle demande doit s’assurer de discuter de la source des difficultés rencontrées par l’employé afin d’évaluer si l’accommodement demandé découle d’obligations qu’un parent ne peut négliger sans entraîner sa responsabilité légale.

Par ailleurs, afin d’évaluer son obligation d’accommodement, l’employeur de juridiction fédérale devrait également s’assurer de discuter des solutions de rechange et des moyens raisonnables à la disposition de l’employé pour limiter soit les absences soit la récurrence de retards ou d’autres types de problème. Il est à noter que la jurisprudence reconnait qu’un employeur n’est pas obligé d’endosser les conséquences de la volonté arrêtée et inflexible d’un employé de ne considérer aucune autre solution de rechange généralement utilisée dans notre société pour la garde de ses enfants[5].

Source : VigieRT, janvier 2015.


1 Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord, 2010 QCCA 497.
2 Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069. Un premier commissaire de la CRT rejette le recours. Par la suite, la décision est cassée en révision par la CRT et rétablie par la Cour supérieure. Voir au même effet : Université de Montréal et Syndicat des employés d’entretien de l’Université de Montréal, section locale 1186, SCFP-FTQ (Fernand Landry), 2014 QCTA 685.
3 Précité note 1, paras 23-25.
4 Le procureur général du Canada c. Johnstone, [2014] FCA 110 et Canadian National Railway Company v Denise Seeley and Canadian Human Rights Commission, [2014] FCA 111.
5 Université de Montréal et Syndicat des employés d’entretien de l’Université de Montréal, section locale 1186, SCFP- FTQ (Fernand Landry), 2014 QCTA 685.

Anna Jankowska, CRHA, et Kseniya Veretelnik