Le discours était contradictoire, car pour certains, ces articles permettaient de sauver, voire de créer des emplois. Pour d’autres, elles s’inscrivaient dans un processus de précarisation progressive de l’emploi (Collectif, 1999). Considérant qu’ils contribuent à l’accroissement des inégalités sociales, les enjeux en matière de disparité de traitement sont encore multiples, et ce, pour quatre raisons : premièrement, leurs possibles effets discriminatoires sur les nouveaux arrivants sur le marché du travail (notamment les jeunes, les femmes et les immigrants), deuxièmement, d’éventuelles ruptures dans les solidarités intergénérationnelles ou sociales, troisièmement, leurs conséquences économiques pour les travailleurs visés et finalement, la remise en question des principes fondamentaux d’égalité (« à travail égal salaire égal » ou « l’égalité des chances »).
Lors de récentes recherches nous avons constaté la méconnaissance des droits de la personne en emploi ainsi que la résistance à appliquer la norme d’égalité dans les milieux de travail étudiés sont également distribuées entre les différents acteurs (l’État employeur, le médiateur, le syndicat et les syndiqués). D’où notre intérêt à partager nos résultats concernant les enjeux de la disparité de traitement. Nous aborderons ici un aspect précis de l’interaction entre les droits et libertés de la personne et le droit des rapports collectifs. Nous circonscrirons la notion d’égalité découlant de ces deux sources normatives en réfléchissant sur la nature même de cette notion.
La notion d’égalité, au sens des relations de travail, répond à une conception dite formelle, où l’on applique l’égalité de traitement (traitement identique pour tous) ou de droits (un membre/un vote). Paradoxalement, comme le signalait Legault (2006), les syndicats ont, dès leur origine, combattu cette conception de l’égalité. En reconnaissant que l’on ne naît pas tous égaux devant les aléas de la vie, ils ont plutôt milité en faveur d’une égalité dite réelle ou de faits. Les conclusions de notre thèse démontrent cependant qu’au moment de choisir entre précarité et discrimination, droits acquis des travailleurs en place et droits des travailleurs à venir, la discrimination s’évalue encore trop souvent à l’aune de la discrimination directe. Par ailleurs, lorsque les revendications sont individuelles ou découlent de demandes faites par un groupe de personnes minoritaires, si celles-ci le sont au nom de l’égalité garantie par les Chartes, l’égalité devient une réelle égalité des chances, puisque les notions d’accommodement raisonnable et de contrainte excessive développées par la jurisprudence prennent alors tout leur sens. En outre, à cause de l’obligation de mettre en place des moyens pour respecter la différence découlant de caractéristiques personnelles, c’est dans cette perspective que, sur les marchés du travail, on jongle, souvent difficilement, entre traitement adapté et traitement complaisant.
Dans les faits, le contexte sociopolitique et économique de la lutte au déficit zéro et de la constitutionnalisation du droit du travail composent le fond sur lequel repose la négociation des clauses de disparités de traitement. Dans le secteur public et parapublic, ce type de clauses apparaît comme un substitut aux délocalisations, alors que dans le secteur privé, elles rendent plutôt compte de la segmentation du marché du travail et de l’évolution de la main-d’œuvre selon le sexe, l’origine ethnique, l’âge ou la situation d’emploi. Ce dernier facteur, à la différence des autres, est issu des politiques d’embauche favorisant une plus grande flexibilité pour les employeurs et ne constitue pas en soi un motif interdit de discrimination au sens de la jurisprudence. Nous assistons depuis les dernières élections (législatives) d’avril 2014 à une recrudescence du discours de redressement économique. Ces mesures de redressement prévues par le gouvernement pourraient contribuer à accentuer les inégalités entre les différents groupes de la société, fragilisant ainsi la solidarité sociale. Conséquemment, à l’instar des auteures Blackett et Sheppard (2003 : 474), nous faisons le constat qu’en période de récession, on accorde moins d’importance à la notion d’égalité dans les milieux de travail.
De plus, nous avons observé qu’il demeure difficile de concilier les visions lorsqu’il s’agit de reconnaître les victimes de discrimination et les préjudices subis. Les perspectives peuvent même devenir irréconciliables lorsqu’il s’agit de comprendre les effets de la disparité de traitement associés à la discrimination indirecte ou systémique. D’autant plus que selon les résultats de notre recherche, ce qui est aux yeux des travailleurs un traitement injuste n’est pas nécessairement considéré comme discriminatoire. Cette méconnaissance des droits de la personne en matière d’emploi rend difficile leur mise en œuvre. Pourtant, le raisonnement jurisprudentiel en matière d’égalité, y compris les programmes d’accès à l’égalité en fait d’emploi, poursuit l’objectif de se rapprocher de l’égalité de faits, plutôt que d’attendre son accomplissement dans l’égalité dite formelle. C’est pourquoi il devient impératif, pour les différents acteurs du monde du travail, de comprendre les changements provoqués par la reconnaissance des droits fondamentaux et de les intégrer aux pratiques de gestion, sous peine de subir les foudres des différents tribunaux. À cet égard, si les réparations financières accordées aux travailleurs sont, à ce jour, relativement modestes, les défis qui se présentent aux acteurs concernent aussi la gestion de la diversité de la main-d’œuvre et toute la question d’équité intergénérationnelle.
Combattre l’exclusion et se convaincre de l’égalité des chances, de l’égalité des droits ou de l’égalité par les droits, c’est aussi reconnaître que toute distinction, exclusion ou préférence, fondées sur les aptitudes et les qualités requises par l’emploi ou justifiées par le caractère spécifique d’une organisation, ne sont pas nécessairement discriminatoires. Au Québec, selon Roux (2005 : 9), il est aussi entendu que le droit à l’égalité ne donne pas, au sens normatif, un droit au travail, mais bien un droit à l’égalité des chances et des résultats, à l’égalité d’accès au marché du travail et à des conditions exemptes de discrimination. Pour le redire à la façon de Pineau (2007 : 19), « un traitement adapté à la situation de la personne ne peut en aucun cas être confondu avec un traitement meilleur ou complaisant »et nous ajoutons, ni procurer des avantages.
À cet effet, il apparaît que les différents acteurs doivent refuser de confiner les droits fondamentaux à des droits individuels, car ils sont souvent, en matière d’emploi, des droits collectifs, mais minoritaires. Ainsi, plutôt que de résumer l’antagonisme provoqué par l’introduction de la norme d’égalité dans les rapports collectifs à un conflit entre droits individuels (salariées ayant des caractéristiques particulières) et collectifs (syndiqués), il importe, dans une optique de régime de droit du travail inclusif, de proposer une position ou un discours qui dépasse le mélange de méconnaissance et de résistance que nous avons constaté sur le terrain lors de notre étude. Car, si l’adoption de la Charte des droits et libertés de la personne québécoise et de la Charte canadienne des droits et libertés, des programmes d’accès à l’égalité et de la Loi sur l’équité salariale[3] pouvaient laisser présager une nette diminution des pratiques discriminatoires, force est de constater que dans toutes les sphères du travail, bien que certains milieux y soient plus exposés que d’autres, les inégalités persistent avec tous les effets négatifs recensés, telles la précarité des travailleurs, la fragilisation du collectif de travailleurs, la victimisation, l’augmentation des préjugés et la démobilisation.
Ainsi appréhendé, le rapport entre le droit à l’égalité et les structures de travail dans notre société demeure potentiellement contradictoire et peut engendrer la fragilisation de la paix sociale et industrielle. Dans les faits, les impacts de la mise en œuvre du droit à l’égalité seront aussi substantiels qu’ancrés dans les transformations découlant des métamorphoses du marché du travail. Dès lors, sur un continuum du pire au meilleur, cette hétérogénéité des intérêts et des valeurs pourrait revêtir un caractère subversif et devenir un terrain propice à des luttes idéologiques fratricides. Au mieux, cet espace, entre conciliation et intégration, arriverait à créer un rapprochement entre le droit du travail et le droit de la personne, permettant alors de vivre plus confortablement avec sa différence. Pour y arriver, des stratégies de formation et d’information concernant le droit à l’égalité seront nécessaires dans tous les milieux de travail.
Source : VigieRT, décembre 2014.
1 | L’auteure, professeure en relations du travail au département des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières, tient à remercier son collègue Armel Brice Adanhounme pour ses précieux commentaires. Pour une discussion plus exhaustive sur le sujet, le lecteur peut consulter la thèse intitulée : Le devoir syndical de représentation sous l’angle de la Charte des droits et libertés de la personne : le cas des clauses « orphelin » déposée sur Papyrus à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal en avril 2014. |
2 | LRQ. C.N-1.1. |
3 | L.R.Q. c. E-12.001. |
Bibliographie
BLACKETT, A. et C. SHEPPARD. « Négociation collective et égalité au travail » Revue internationale du travail, vol. 142, no 4,2003, p. 453-496
COLLECTIF. 1999. Les enjeux des clauses « orphelins », Montréal, Les Éditions des Intouchables, 149 pages.
LEGAULT, M.-J. « Qui donc parlait de "contradiction secondaire" déjà? Femmes, programmes d’accès à l’égalité et syndicats ». Recherches féministes, vol. 19, no 1. 2006, p. 97-128.
PINEAU, A. « Le devoir de représentation syndicale : une dérive inquiétante. » Développements récents en droit du travail : Service de la formation continue, vol. 267. Cowansville (Qué.), Éditions Yvon Blais, 2007,p. 129-201.
ROUX, D. Le principe du droit au travail, juridicité, signification et normativité. Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, 563 pages.