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L’épargne-retraite ne doit pas être utilisée pour financer un congédiement injustifié

Pour déterminer le montant d’une compensation financière liée à un congédiement injustifié, il est reconnu que le montant à être payé par l’employeur devra permettre au salarié de conserver la même situation financière qu’il aurait eue, n’eût été la fin de son emploi. En d’autres mots, le décideur doit soustraire les revenus du salarié gagnés durant la période couverte par l’indemnité pour déterminer le montant de l’indemnisation.

15 avril 2014
Jessica Laforest

Ce principe peut sembler d’application simple, mais il se complexifie rapidement lorsque le salarié a perçu, suivant sa fin d’emploi, des sommes qui ne sont pas assimilables à un revenu d’emploi, telles que des prestations d’assurance-emploi, d’assurance-invalidité ou de retraite.

Ces sommes devront-elles être déduites de l’indemnité qui sera accordée au salarié? C’est à cette question que la Cour suprême du Canada a eu à répondre récemment dans l’affaire IBM Canada Limitée c. Waterman[1].

Le résumé des faits à la base du jugement
Le demandeur a été congédié injustement après 42 ans chez son employeur. Suivant sa fin d’emploi, il a commencé à percevoir des revenus de retraite. Étant donné que son employeur ne lui a pas donné d’avis de fin d’emploi, il a réclamé devant la cour une indemnité équivalente à l’avis qu’il aurait dû recevoir. L’employeur soutenait que les prestations de retraite reçues par l’employé devaient être déduites de l’indemnité à payer, puisque sinon il se trouverait dans une situation financière plus avantageuse que celle dans laquelle il aurait été s’il avait continué à travailler. Le demandeur considérait plutôt que les prestations de retraite lui appartiennent et qu’elles sont comparables à son « bas de laine ». Donc, selon lui, elles ne devraient pas être déduites de l’indemnité à être payée.

Le jugement majoritaire de la Cour suprême
Bien que reconnaissant le principe voulant que l’employeur doive indemniser le salarié seulement pour la perte réellement subie, la majorité des juges a souligné qu’il ne faut pas l’appliquer de façon rigide et qu’il comporte certaines exceptions[2].

Dans un premier temps, la cour a souligné que la question de la déduction des prestations reçues se pose seulement si les deux conditions suivantes sont remplies :

  1. Les prestations reçues par le salarié constituent une forme d’indemnisation excédentaire pour la perte qu’il a subie;
  2. Il existe un lien suffisant entre les prestations et le congédiement injustifié[3].

À titre d’exemple, les prestations d’assurance-emploi seront considérées comme une indemnisation non excédentaire, car la Loi[4] prévoit que le gouvernement doit être remboursé pour la somme payée au salarié à même l’indemnité payable par l’employeur[5]. Celles-ci ne sont donc pas déduites lors de la détermination du montant de l’indemnité de fin d’emploi, mais au moment du paiement. Ainsi, le salarié ne conservera que le montant auquel il a droit, sans qu'il s'agisse d'une double indemnisation.

Quant au lien entre les prestations et le congédiement, il sera considéré comme suffisant si le salarié a eu droit à ces prestations pour l’indemniser parce qu’il a été congédié injustement. Il en serait de même s’il n’avait pas eu droit à ces prestations et s’il avait conservé son emploi. Ainsi, un salarié qui aurait gagné à la loterie au cours de la période d’indemnisation ne verrait pas son montant réduit d’autant puisqu’il n’y a pas de lien entre la perte de l’emploi et le gain à la loterie[6].

En présence d’une indemnisation excédentaire liée au congédiement, la cour a énoncé que les facteurs suivants doivent être pris en considération pour déterminer si les prestations sont déductibles ou non de l’indemnité de fin d’emploi :

  • L’intention des parties par rapport à ce type de prestation[7].
  • Plus la prestation s’apparente, de par sa nature et son objet, à un dédommagement pour la perte d’emploi causée par le congédiement illégal, plus les circonstances militent en faveur de la déduction des prestations reçues, et vice versa.
  • Si le salarié a contribué à la prestation reçue, cela militera en faveur d’une absence de déduction.
  • Des considérations de principe plus générales devront également être étudiées. La cour fait ici référence notamment à la justice, à la raisonnabilité, à l’intérêt public, au fait qu’il est souhaitable que toutes personnes dans des situations semblables reçoivent un traitement équivalent, à la possibilité d’offrir des avantages pour une conduite sociale acceptable et à la nécessité que des règles claires puissent facilement s’appliquer[8].

En appliquant ces facteurs au cas du demandeur, la majorité des juges de la Cour suprême a conclu que les prestations de retraite encaissées par le salarié ne devaient pas être déduites pour les raisons suivantes&nbps;:

  • elles sont assimilables à un outil d’épargne-retraite et elles n’ont manifestement pas pour objet de compenser une perte de revenu[9];
  • le salarié détient un droit de propriété absolu au fil du temps sur ses prestations de retraite[10];
  • il serait inéquitable qu’il subisse une déduction étant donné son admissibilité à la retraite puisque cela pourrait avoir pour effet d’inciter les employeurs à congédier, pour des raisons économiques, les employés admissibles à la pension plutôt que les autres[11].

Les autres cas d’application
Dans l’affaire IBM, la cour a comparé ses conclusions avec celles rendues quelques années auparavant dans l’affaire Sylvester[12] puisque dans ce dossier, la cour en était venue à la conclusion qu’il fallait déduire les prestations d’invalidité dans le cadre de la détermination du montant à payer à la suite d’un congédiement injustifié. En procédant à une analyse des facteurs à prendre en considération, la cour a mis en relief que les conclusions différentes n’étaient pas en contradiction étant donné les différences existant entre le régime de retraite en cause dans l’affaire IBM et le régime d’assurance-invalidité en cause dans l’affaire Sylvester.

Il importe donc de souligner que ce jugement de la cour n’énonce pas des principes généraux applicables à tous les types de prestations possibles, mais plutôt des propositions générales qui pourront être modulées en fonction des dispositions législatives ou contractuelles à l’effet contraire[13]. Chaque cas devra être analysé individuellement en utilisant les conclusions de ce jugement comme point de départ. Aucun de ces facteurs ne sera déterminant à lui seul, et il faudra conserver une vision globale de la situation.

L’application de ce jugement en droit québécois
Le jugement de la Cour suprême a été rendu en vertu du droit applicable en Colombie-Britannique. Étant donné que le système de droit est différent au Québec, il y a donc lieu de se demander si cette décision ou les principes qui s’en dégagent peuvent s’appliquer.

Selon le Code civil du Québec[14], il est prévu que la personne qui rompt le contrat de travail doit donner un délai de congé à l’autre partie. À défaut de le recevoir, le salarié pourra intenter des procédures judiciaires pour obtenir une indemnité équivalente.

Dans le cadre d’un tel recours, le juge devra évaluer la mitigation des dommages faite par le salarié, c’est-à-dire vérifier la quantité et la qualité de la recherche d’emploi effectuée et déduire les revenus gagnés durant cette période. Dans le reste du Canada, le droit applicable ressemble à ce qui est prévu par le Code civil du Québec. Il nous apparaît donc que les facteurs retenus par la Cour suprême dans la décision IBM devront être pris en considération pour déterminer si un avantage compensatoire devra être déduit ou non de l’indemnité équivalant au délai de congé.

Par contre, la situation sera différente si le salarié a exercé son recours en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail puisque l’article 128 de cette Loi prévoit notamment comme remède le paiement du salaire perdu et d’une indemnité de perte d’emploi.

Dans cette situation, l’indemnité de perte d’emploi vise « à compenser la perte reliée au régime contractuel, au contrat d’emploi auquel l’employeur a injustement mis fin » [15]. Quant à l’indemnité de salaire perdu, elle a pour objectif de compenser la perte de salaire au cours duquel le contrat de travail aurait dû se poursuivre[16]. Cela a pour effet que la mitigation des dommages ne sera prise en considération que dans l’évaluation de la perte de salaire et non pas comme dans les autres provinces ou en vertu du Code civil du Québec, dans le cadre de l’analyse de l’indemnité de perte d’emploi (ou de délai de congé).

Cette différence vient du fait que :

« L’indemnité de perte de salaire et l’indemnité de délai-congé visent deux objectifs différents. Par conséquence, les assimiler annulerait une des réparations spécifiquement prévues par l’art. 128 de la L.N.T. soit la compensation du salaire perdu entre la survenance du congédiement et celui de la décision du commissaire[17]. »

L’objectif de l’indemnité de perte de salaire explique aussi que la Cour d’appel du Québec a jugé que des prestations d’assurance collective ne devaient pas être déduites de l’indemnité de salaire perdu dans l’affaire Bédard c. Minolta :

« De plus, contrairement à l’arrêt Sylvestre c. Colombie-Britannique qui concerne une indemnité de départ, la question est relative à une indemnité de perte de salaire qui couvre une période où le lien d’emploi n’est pas rompu. »

Il est important de souligner que la Cour d’appel a motivé sa décision en se basant également sur des considérations de principe plus générales[18] et en rejetant le facteur relatif à la personne qui a contribué au financement de l’avantage compensatoire[19].

Cela nous permet donc de conclure que les juges administratifs saisis d’une plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail pourront s’inspirer des facteurs mis de l’avant par la Cour suprême tout en se gardant d’en faire une application rigide étant donné la nature, le but et l’objet de cette loi.

Source : VigieRT, avril 2014.


1 2013 CSC 70.
2 IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, paragr. 16.
3 Idem, paragr. 23.
4 Loi sur l’assurance-emploi, L.C., 1996, chap. 23, article 45.
5 IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, paragr. 24 et 44.
6 Idem, paragr. 29.
7 Idem, paragr. 4.
8 Idem, paragr. 76.
9 Idem, paragr. 82.
10 Idem, paragr. 83.
11 Idem, paragr. 93.
12 Sylvester c. Colombie-Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315.
13 IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70, paragr. 56.
14 Articles 2091 et 2092.
15 Immeubles Bona ltée c. E.R. Labelle, [1995] R.D.J. 397 (C.A.).
16 Idem, paragr. 63.
17 Bédard c. Minolta Business Equipment (Canada) Ltd, Minolta Québec, 2008 QCCA 1662, paragr. 68.
18 Idem, paragr. 62.
19 Idem, paragr. 60 et 61.

Jessica Laforest