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J’ai menti, mais c’était de bonne foi!

Voilà un titre déroutant! De fait, il s’agit d’une citation célèbre de Bernard Tapie[1], laquelle en dit long sur l’interprétation toute personnelle que chacun peut avoir d’une situation. Si la pré-embauche est une étape déterminante de la viabilité de la relation entre l’employeur et l’employé, ceux-ci ne doivent pas négliger l’importance de ce processus qui permet d’établir les bases de leur relation contractuelle tout comme celle d’agir véritablement de bonne foi. Il est balisé par un cadre législatif autour duquel l’employeur doit articuler sa démarche en pondérant la nécessité de recueillir certains renseignements personnels du postulant, avec le droit de ce dernier de ne pas être discriminé dans l’emploi.

4 juin 2013
Zeïneb Mellouli

C’est de cette pondération dont traite la Cour d’appel en confirmant la décision de l’arbitre [2] dans Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières[3]. Cette décision de la Cour d’appel constitue un rappel des principes devant guider aussi bien les postulants que les employeurs au stade de la collecte de renseignements personnels avant l’embauche.

Les faits
Le salarié a occupé un poste d’infirmier auxiliaire de 1987 à 1994 au Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (« CHRTR »). En 1994, il quitte son poste pour poursuivre ses études. C’est alors qu’il fait face à des problèmes de dépression et de dépendance à l’alcool et au jeu. En février 2005, après avoir suivi une cure pour pallier ses problèmes, il postule de nouveau à un poste d’infirmier auxiliaire au CHRTR. Lorsqu’il remplit le questionnaire médical de pré-embauche, il omet de répondre à toutes les questions reliées à ses antécédents psychiatriques.

Un peu plus d’un an après son embauche par le CHRTR, le salarié est mis en arrêt de travail pour subir des examens concernant une entérite chronique. Il dépose une réclamation pour obtenir des prestations d’assurance-salaire afin de prolonger son arrêt de travail en raison, cette fois, d’une dépression et d’une maladie physique. L’employeur exige alors du salarié qu’il soit examiné par un médecin de son service de santé et de sécurité au travail. Après évaluation médicale et le recensement des antécédents du salarié, le médecin désigné suspecte une maladie affective bipolaire et prolonge son arrêt de travail de six semaines. Dans ces circonstances, le médecin estime utile d’obtenir le dossier médical psychiatrique du salarié.

Le dossier médical psychiatrique révèle des antécédents de dépression et de troubles de l’adaptation avec humeur dépressive pour lesquels le salarié avait pris des médicaments avant février 2005. Au moment où le salarié a postulé à l’emploi d’infirmier auxiliaire, il était en sevrage de sa médication. En février 2007, considérant les antécédents médicaux mis en lumière, le médecin désigné par l’employeur émet l’avis que le salarié présente un risque important d’absentéisme et qu’il n’était pas « médicalement stable » lors de son embauche[4]. Constatant qu’aucun des antécédents psychiatriques du salarié n’a été déclaré dans le questionnaire médical pré-embauche, l’employeur congédie le salarié en date du 12 mars 2007 pour fausses déclarations.

Le syndicat a contesté le congédiement au motif que le questionnaire médical pré-embauche portait atteinte aux droits fondamentaux du salarié prescrits par la Charte des droits et libertés de la personne[5] (la « Charte »). Selon le syndicat, le salarié ne devait pas être sanctionné pour avoir omis de répondre à des questions discriminatoires[6].

L’employeur, quant à lui, a principalement soumis que : i) les questions posées au salarié étaient justifiées, compte tenu de la nature du poste convoité; ii) le syndicat n’a pas fait la preuve d’une utilisation abusive du questionnaire; iii) il avait le droit et le devoir de vérifier que les candidats avaient les aptitudes requises pour exécuter, de manière sécuritaire, les tâches qui leur seraient confiées.

Selon l’employeur, par sa mission, il coule de source qu’il doit être informé de l’état de santé de ses employés pour protéger la santé des patients. Le consentement requis à la naissance du contrat de travail pour prendre une décision éclairée quant à l’embauche du salarié a donc été vicié par ses fausses déclarations.

L’arbitre a conclu que, par ses fausses déclarations, le salarié a induit l’employeur en erreur. Le consentement de l’employeur a été vicié puisque ce dernier doit, au moment de l’embauche, pouvoir établir que le candidat peut fournir une prestation de travail adéquate et régulière. Il a donc rejeté le grief. La Cour supérieure, siégeant en révision judiciaire de cette décision, a estimé que la décision de l’arbitre était raisonnable[7].

Analyse de l’arrêt de la Cour d’appel
Dans tout contrat, les parties se doivent une divulgation mutuelle des renseignements pertinents afin de fournir un consentement libre et éclairé à leur relation. Pour la Cour d’appel, le salarié avait l’obligation d’agir de bonne foi en répondant au questionnaire de pré-embauche.

Toutefois, une fausse déclaration par un employé n’entraîne pas automatiquement la peine capitale qu’est le congédiement. La justification d’un congédiement pour fausse déclaration répond à certains critères établis par la jurisprudence arbitrale et avalisés par la Cour d’appel, à savoir :

  1. l’objet de la fausse déclaration;
  2. la relation entre les renseignements omis et l’emploi du salarié;
  3. l’effet de la fausse déclaration sur le consentement de l’employeur;
  4. le caractère volontaire de la fausse déclaration[8].

Ces critères ne sont pas cumulatifs, et l’un d’entre eux peut suffire pour justifier un congédiement. Toutefois, pour qu’une fausse déclaration à un questionnaire médical pré-embauche soit susceptible de mener à un congédiement, encore faut-il que les questions auxquelles le postulant a omis de répondre soient valides au sens de la Charte.

De fait, l’article 18.1 de la Charte interdit, au stade de la pré-embauche, toute recherche d’information basée sur l’un des motifs de l’article 10 dont, notamment, la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Or, l’état de santé d’un individu rejoint la notion de handicap énumérée à l’article 10 de la Charte. Ainsi, toute question à ce sujet constituera, à première vue, une pratique discriminatoire.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’un employeur n’est pas justifié de recueillir de l’information à ce sujet. Par cet arrêt, la Cour d’appel cristallise cette position et rappelle qu’il faut, dans de telles circonstances, démontrer par prépondérance des probabilités que l’information demandée quant à l’état de santé du postulant établisse une distinction ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par l’emploi postulé[9], tel que le permet l’article 20 de la Charte.

En s’inspirant des critères développés par la Cour suprême [10] en matière d’« exigence professionnelle justifiée », la Cour d’appel nous enseigne que pour déterminer si une aptitude ou une qualité sont requises par l’emploi au sens de l’article 20 de la Charte, il faut examiner le but et l’objectif poursuivis par l’employeur ainsi que le lien rationnel qui les rattache aux exigences objectives de l’emploi [11].

C’est ainsi que, tel que l’exprime la Cour d’appel, « […] le droit de l’employeur d’obtenir des informations du postulant doit être modulé en fonction de l’emploi convoité et des tâches à accomplir. »

En l’espèce, le salarié a certes fait une preuve prima facie de discrimination en vertu de l’article 18.1 de la Charte, mais l’employeur a réussi à établir la relation directe entre les questions posées et le travail d’infirmier auxiliaire. Faute d’avoir des réponses véridiques aux questions posées au salarié, l’employeur ne pouvait procéder à l’évaluation adéquate des aptitudes de celui-ci.

Ainsi, dans la mesure où la collecte de renseignements est légitime, une fausse déclaration du postulant sur ce sujet pourrait entraîner un congédiement sans que cela constitue une mesure discriminatoire.

L’application récente de cet arrêt par la jurisprudence arbitrale
L’arbitre, dans la décision Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés des services connexes au transport de la STM, section locale 1983- S.C.F.P. et La STM[12] rendue le 17 avril dernier, sans s’y référer directement, a suivi l’approche de la Cour d’appel.

Elle devait déterminer si les renseignements dissimulés par le salarié quant au fait qu’il avait déjà été victime d’un accident de travail et qu’il avait déjà eu une hernie discale avaient eu pour effet de vicier le consentement de l’employeur au stade de l’embauche. L’arbitre considère à ce propos qu’en omettant de divulguer cette information directement en lien avec l’emploi et dont l’importance aurait pu avoir pour effet d’influer l’embauche du salarié, ce dernier a fait une fausse déclaration alors qu’il savait les conséquences que celle-ci pouvait entraîner.

Conclusion et commentaires
Bien que l’employeur soit en droit de poser les questions nécessaires pour guider son évaluation des aptitudes du postulant à exercer les fonctions reliées à l’emploi et de prendre une décision d’embauche éclairée[13], le postulant a droit, quant à lui, à un processus d’embauche exempt de discrimination.

La collecte de renseignements relatifs à l’état de santé et aux antécédents d’un postulant ne doit pas servir à exclure d’emblée celui qui ne jouit pas d’une parfaite santé ou à faire preuve de discrimination prohibée dans le processus d’embauche. Cette recherche des faits doit s’exercer à des fins légitimes pour l’employeur.

En revanche, le postulant doit faire preuve de bonne foi lorsqu’il répond aux questions de l’employeur. Il ne peut, dans le doute, dissimuler certains faits qui pourraient lui être préjudiciables pour, une fois le subterfuge découvert, se réclamer de la protection qui lui est conférée par la Charte pour justifier ses fausses déclarations[14].

Le postulant doit s’en remettre à la bonne foi de l’employeur. Les redressements en vertu de la Charte demeurent possibles en cas d’abus, mais il ne s’agit pas d’une panacée pour justifier ultérieurement une fausse déclaration sur des éléments que l’employeur était en droit de connaître.

L’employeur devra quant à lui restreindre sa collecte de renseignements à ceux qui sont nécessaires pour l’évaluation éclairée de la candidature du postulant, sans que l’exercice soit abusif. Il devra s’en remettre à la bonne foi du postulant en ayant à l’esprit que toute fausse déclaration sur un élément déterminant de l’évaluation des aptitudes requises pour le poste à combler pourra être sanctionnée, ultimement, par un congédiement justifié.

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Source : VigieRT, juin 2013.


1 Extrait du procès OM-VA.
2 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) et Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, AZ 50665143 (T.A.).
3 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867 (C.A.) (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée le 21 mars 2013, 2013 CanLII 14333 (C.S.C.)).
4 Id., au par. 9.
5 L.R.Q., c. C-12.
6 Préc., note 2, au par. 36.
7 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2010 QCCS 5311 (C.S.).
8 Id., au par. 60.
9 Id., au par.67.
10 Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S.3.
11 Id.; voir également : Hôpital Général juif Sir Mortimer B. Davis c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2010 QCCA 172 (C.A.) (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée le 8 juillet 2010 (no 33631)); Brossard c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279.
12 2013 CanLII 26264 (QC SAT).
13 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, préc., note 3, au par. 77.
14 Id., au par. 78.

Zeïneb Mellouli