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Test de dépistage : devant un refus, une sanction s’impose

Au Québec, la jurisprudence reconnaît l’obligation légale de l’employeur de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer un milieu de travail sécuritaire aux employés, conformément aux articles 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1], 46 de la Charte des droits et libertés de la personne[2], 2087 du Code civil du Québec[3] et 217.1 du Code criminel[4].

30 octobre 2012
Charles Wagner et Rhéaume Perreault, CRIA

Pour ce faire, un employeur a le droit d’interdire l’utilisation de drogues et d’alcool sur les lieux de travail, de la même façon qu’il a le droit de s’assurer de l’état des facultés de ses employés au moment où ils effectuent leur travail. Un employeur peut donc prendre certaines mesures lui permettant de s’assurer qu’un employé n’a pas les facultés affaiblies par l’usage de drogues ou d’alcool alors qu’il est au travail, et ce, afin que sa tâche soit effectuée de façon efficace et sécuritaire.

Par contre, ce droit de l’employeur n’est pas absolu et doit être exercé en prenant en considération le respect des droits fondamentaux et individuels des employés.

En effet, imposer des tests de dépistage de drogues ou d’alcool est susceptible de porter atteinte notamment à l’intégrité physique et au droit de l’individu au respect de sa vie privée. De telles violations ne seront permises qu’en certaines circonstances bien définies. La jurisprudence a généralement considéré, à première vue, que les tests de dépistage de drogues et d’alcool violent les droits fondamentaux des employés à moins que l’employeur prouve que ces violations sont justifiées en vertu de l’article 9.1[5] ou de l’article 20[6] de la Charte (exigence professionnelle justifiée).

Jusqu’à maintenant, aucun arbitre de grief du Québec n’avait déterminé la validité d’une mesure disciplinaire pour avoir refusé de se soumettre à un test de dépistage. Or, c’est maintenant chose faite. L’arbitre, dans la décision Syndicat des métallos, section locale 7625 et Groupe Permacon, une compagnie Oldcastle, Anjou (Québec[7]), a rédigé la première décision en la matière.

L’employeur, une entreprise de production de matériaux de construction, était aux prises avec un problème de consommation et de possession de stupéfiants à l’intérieur de l’usine.

De façon anonyme, un employé a soumis une liste de 23 salariés qu’il suspectait de consommer des stupéfiants ou d’en faire le trafic. À la suite de la réception de cette liste, l’employeur prit la décision d’envoyer, à l’ensemble des salariés, des avis leur rappelant la politique de « tolérance zéro » en matière de drogues et d’alcool. Par la suite, l’employeur eut recours aux grands moyens en engageant une firme externe spécialisée dans la détection de stupéfiants. Avec des méthodes de détections spécialisées, la firme fut en mesure de déceler la présence de drogues, et ce, à plusieurs endroits dans l’usine.

L’employeur a également donné de la formation aux cadres afin qu’ils soient en mesure de détecter les signes de consommation. À l’aide de la liste de 23 salariés et des résultats de l’enquête, l’employeur sélectionna 5 salariés, y compris le plaignant, afin qu’ils se soumettent à des tests de dépistage.

Le plaignant accepta initialement de se soumettre aux tests en question. Il s’agissait d’un test de détection urinaire. Le plaignant, étant dans l’impossibilité d’uriner, sortit à l’extérieur de la salle pour boire de l’eau. C’est à ce moment qu’il eut une conversation avec un représentant du syndicat qui lui mentionna qu’il n’était pas obligé de se soumettre à un tel test. De fait, le plaignant revint dans la salle et refusa de subir le test. En conséquence, l’employeur lui imposa une mesure disciplinaire, soit une suspension d’une semaine. Du même coup, il l’avisa qu’il serait soumis au test à son retour et que tout refus serait alors susceptible d’entraîner un congédiement.

Devant l’arbitre, le syndicat argumente que l’imposition d’un test de dépistage est abusive en raison du droit à la vie privée protégé par la Charte. Le syndicat mentionne également que l’employeur n’avait aucune preuve permettant d’associer le plaignant à la consommation ou au trafic de stupéfiants. De son côté, l’employeur argumente qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant consommait de la drogue et souligne au passage le haut niveau de risque pour la santé et la sécurité lié à son poste.

L’arbitre, se basant sur les décisions Goodyear[8] et Shell[9], détermine qu’avant d’en venir à un test de dépistage de drogues, l’employeur doit avoir des motifs sérieux, raisonnables et probables. En l’espèce, l’arbitre s’appuie sur la liste de salariés soumise à l’employeur de même que certaines caractéristiques du salarié, notamment le fait qu’il portait des verres fumés et qu’il était du style « cool ». L’arbitre réitère aussi que le plaignant travaillait dans un milieu où la santé et la sécurité sont très importantes. Bref, l’arbitre détermine que l’employeur n’a pas procédé à l’aveuglette en ciblant le salarié. Il conclut que l’employeur « a procédé de façon logique, prudente, sans se précipiter immédiatement pour exiger des personnes dont le nom apparaissait à la liste qu’elles se soumettent à un test de dépistage. Il a consulté ses conseillers juridiques. L’ensemble des éléments dont il disposait a été considéré, et ces derniers constituaient un motif raisonnable et probable. Il est évident qu’il ne pouvait être certain, d’ailleurs, là n’est pas le critère. »[10]

Bien qu’elle ait considéré la peine sévère, l’arbitre conclut qu’elle n’était pas disproportionnée à la faute reprochée vu le contexte. Cette décision étant la première en la matière, il ne serait pas étonnant d’en voir d’autres se pencher sur le sujet. Cette décision pourrait bien être à la source d’un nouveau courant jurisprudentiel. Sur un sujet similaire, il y a l’épineux dossier des tests de dépistages aléatoires qui sera entendu par la Cour suprême du Canada.

Précisions sur les tests aléatoires :
La Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans l'arrêt Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Les Pâtes et Papiers Irving, Limitée[11] a récemment confirmé une décision de la Cour du Banc de la Reine prévoyant le droit d'un employeur d’effectuer des tests aléatoires de dépistage d'alcool auprès de ses employés, dans la mesure où le lieu de travail est déclaré « dangereux par nature » et où l'atteinte portée par le test est minimale.

La Cour du Banc de la Reine a été d’avis que, lorsque l’on détermine qu'un lieu de travail est dangereux, aucune autre justification n'est nécessaire pour faire passer un test de dépistage aléatoire. L'unique question à examiner est celle de savoir si la politique, le cas échéant, constitue une mesure proportionnelle au danger potentiel. La Cour explique qu'il était déraisonnable d'exiger, dans un contexte où peuvent survenir des catastrophes, que des accidents ou des incidents aient eu lieu antérieurement pour justifier une politique de dépistage aléatoire d'alcool. Selon la Cour, la prévention d'une seule catastrophe suffit pour justifier l'existence d'une telle politique. De plus, la Cour a statué que l'atteinte portée par un alcootest était minime.

L’intérêt de cette décision vient du fait qu’elle a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada qui a accepté d’entendre l’affaire le 7 décembre 2012. Cela pourrait avoir de grandes conséquences sur les décisions québécoises en matière de tests de dépistage aléatoires pour les milieux qualifiés de « dangereux par nature ».

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Source : VigieRT, octobre 2012.


1 L.R.Q., chapitre S-2.1.
2 L.R.Q. c. C-12 (ci-après la « Charte »).
3 L.Q. 1991, c. 64 (ci-après le « C.c.Q. »).
4 L.R.C. (1985), ch. C-46.
5 Violation du droit à l’intégrité, du droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation ou du droit au respect de sa vie privée.
6 Violation du droit à l’égalité.
7 D.T.E. 2012T-685 (T.A).
8 Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Goodyear Canada inc., 2007 QCCA 1686 (C.A.).
9 Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP. D.T.E. 2010T-68 (T.A).
10 Supra note 7, para [113].
11 2011 NBCA 58 (ci-après « Irving »).

Charles Wagner et Rhéaume Perreault, CRIA