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Une cohabitation patronale/syndicale intelligente, un must dans la conjoncture actuelle

Toutes les entreprises font face à des défis économiques importants par les temps qui courent. Entre autres, la valeur du dollar canadien, les coûts croissants de l’énergie, le ralentissement des exportations ont mis énormément de pression sur les entreprises manufacturières et particulièrement sur l’industrie des biens de consommation.

21 septembre 2009
Denis Desaulniers, CRHA, et Mario Trachy, CRHA

En outre, les goûts et les besoins des consommateurs ont évolué très rapidement au cours des dernières années. Les clients de Frito Lay ont ressenti les effets de cette évolution ; ils ont dû eux aussi s’ajuster à la pression sur les coûts, accroître leur flexibilité et offrir une plus grande variété de produits.

L’usine de Lauzon
Frito Lay, qui possède une quarantaine d’usines en Amérique du Nord (dont six au Canada), fait partie de la grande famille PepsiCo dont les principales marques de commerce sont : Pepsi, Frito Lay, Tropicana, Quaker et Gatorade. L’usine de Frito Lay à Lauzon, qui a vu le jour à la fin des années soixante, a subi plusieurs modifications et requis des investissements pour demeurer compétitive et surtout avoir la souplesse nécessaire pour répondre aux demandes grandissantes des consommateurs. L’usine compte maintenant autour de quatre cent cinquante employés. La grande majorité de sa production (grignotises à base de pomme de terre ou de maïs) est destinée au marché canadien.

Le syndicat comme partenaire d’affaires
C’est le même syndicat qui est en place à l’usine de Lauzon depuis son ouverture. Au fil des ans, la direction a travaillé à établir une bonne dynamique entre les parties tout en étant consciente des rôles distinctifs que sont appelés à jouer l’entreprise et le syndicat. D’emblée, elle respecte le syndicat comme partenaire d’affaires et est soucieuse de sa mission et de ses responsabilités envers ses membres. Elle s’assure aussi que tous ses gestionnaires comprennent bien leur rôle, c’est-à-dire que la responsabilité de la gestion de l’organisation du travail est la leur d’abord et avant tout. On leur demande de bien jouer leur rôle tout en étant bien au fait des modalités de la convention collective.

La direction de l’usine n’hésite pas non plus à solliciter le point de vue du syndicat sur différents éléments, même lorsque cela suppose qu’on lui demande de sortir de son rôle traditionnel. Elle le consulte sur des situations de gestion et le tient au courant des performances d’affaires. Elle tente de maximiser la collaboration avec le syndicat et, pour cela, l’informe sur les défis grandissants auxquels l’organisation fait face. En fait, la direction désire obtenir l’appui du syndicat dans des enjeux importants comme la planification de la main-d’œuvre, la formation, la flexibilité et la productivité. En résumé, elle a réussi à établir une relation de confiance basée sur le respect et la crédibilité.

De fait, sans de solides racines établies avec le syndicat, il est difficile de faire évoluer la relation d’affaires dans la bonne direction.

À cet égard, il est important d’implanter un processus qui permet d’agir au bon niveau. La direction de l’usine prend grand soin de travailler avec tous les gestionnaires afin qu’ils comprennent bien leur rôle en matière de relations du travail, et ce, pour qu’elles ne deviennent pas une chasse gardée du service des ressources humaines (superviseur, directeur ou membre de l’équipe de direction). Dans le même élan, elle ajuste son approche en fonction de l’intervenant syndical avec qui elle fait affaire. Il est important de reconnaître que les rôles de l’agent d’affaires, du président du syndicat ou du délégué sont bien différents. La direction s’assure d’intervenir au bon niveau et d’utiliser le bon créneau de communication.

Les outils
Certains outils ont grandement contribué à l’évolution de la culture en matière de relations du travail. Cela débute par un solide programme d’orientation des nouveaux cadres. Des sessions de formation sur les relations du travail sont aussi organisées pour l’ensemble des gestionnaires. Les sujets traités y sont variés : lois du travail, modalités de la convention collective, cas d’espèce, jurisprudence interne, rôles du gestionnaire et du syndicat, etc.

La direction de l’usine s’assure également de tirer le maximum des comités paritaires en place. On tente d’œuvrer au bon niveau lors de la rencontre mensuelle du comité de relations du travail (être proactif plus que réactif dans le choix des sujets). Il est clair que, pour que ce comité puisse avoir un impact, les membres de l’équipe de direction doivent y avoir un siège permanent. De plus, on invite des gestionnaires de première ligne à y participer en rotation afin qu’ils aient un bon aperçu des relations de la direction avec le syndicat.

En outre, on fait les efforts nécessaires pour que la convention collective puisse évoluer, si requis. Ainsi, dans le passé, on n’a pas hésité à revoir des échelles salariales ou encore à établir des lettres d’entente pour faire face à certaines réalités. Dans un monde constamment en changement, il faut éviter que les conventions collectives deviennent des freins à la croissance.

Par ailleurs, comme les relations du travail s’apprennent avec le temps et l’expérience, les jeunes cadres se voient attribuer si nécessaire un mentor en la matière. Cette initiative permet non seulement d’améliorer leurs connaissances, mais aussi de faciliter leur intégration à la culture de l’organisation et, par surcroît, d’instaurer une continuité dans la pensée stratégique. Trop souvent, on a tendance à surévaluer les connaissances des jeunes cadres en cette matière et plusieurs conséquences négatives sont directement attribuables à cette situation.

En plus du mentorat, un volet consacré à la gestion des ressources humaines est intégré dans le plan de développement des jeunes talents. En effet, pour leur permettre d’améliorer leurs habiletés et compétences en leadership, plusieurs outils de formation sont à leur disposition. Leur plan de développement de carrière est ainsi étroitement relié à l’évaluation de leurs compétences en gestion des ressources humaines.

Une autre approche proactive employée à l’usine est l’élaboration du plan stratégique en relations du travail. Une tâche réalisée en concertation avec les dirigeants et superviseurs consiste à réviser les positions stratégiques dans neuf domaines clés des relations du travail : politiques et procédures, gestion du changement, communication, environnement de travail, rémunération, avantages sociaux, formation, sécurité et leadership des dirigeants. Une analyse objective de la situation combinée à un plan d’action rigoureux en fonction des résultats visés se fait aux différents niveaux décisionnels de l’organisation. Une révision méthodique des stratégies à court, moyen et long termes est effectuée par le comité de direction qui s’assure de la pertinence et de l’exécution.

Les employés au cœur de la situation
Il est capital pour la direction d’être au fait du niveau d’engagement des employés de l’usine et des éléments qui peuvent être des irritants pour eux, afin de bien connaître leur niveau de satisfaction. Plusieurs outils permettent une bonne lecture de l’état de la situation : sondage d’opinion par une firme extérieure et plan d’action, table ronde pour obtenir leur rétroaction, rencontre pendant tous les quarts de travail sur la performance du site, rencontre d’équipe hebdomadaire, politique de porte ouverte et présence régulière sur le plancher de production.

Le programme d’amélioration continue est la clé de la gestion participative. Les travailleurs de l’usine de Lauzon sont divisés en treize équipes; chaque semaine, celles-ci assistent à une réunion où sont révisés leurs tableaux de bord de département. Elles identifient les écarts de performance et définissent ensemble un plan d’action afin d’y remédier. Chacun des employés peut être appelé à jouer un rôle qui dépasse ses responsabilités normales, soit en devenant facilitateur de réunion, soit en agissant comme expert dans une discipline quelconque. En outre, les revues d’information de département et de site, effectuées trimestriellement, permettent aux employés de comprendre les enjeux et les objectifs de l’organisation. Certains d’entre eux ont la possibilité d’aller suivre des cours de formation au siège social de l’entreprise à Dallas dans le but de transmettre ensuite leurs connaissances à titre d’experts.

Le plan de communication se veut un élément essentiel du succès de l’organisation. Les membres de la direction ont réussi, au fil du temps, à établir une crédibilité basée sur le respect et la franchise. Le secret : rester le porteur de message tout en préconisant des communications ouvertes, franches et régulières, à titre d’intervenant privilégié auprès des employés.

Des résultats
Cette cohabitation intelligente avec le syndicat local a porté ses fruits à l’usine de Lauzon. Les résultats d’affaires sont probants : nouvelles lignes de production (maïs), centre de distribution pour l’Est du Canada, augmentation de 250 % du nombre d’employés en dix ans, ligne de production qui fonctionne maintenant sur un horaire continu de sept jours, implantation d’une nouvelle technologie, etc.

En ce qui concerne l’association avec le syndicat, l’approche s’est avérée également gagnante :

  • durée de convention collective;
  • de cinq ans et plus;
  • négociation gagnant-gagnant;
  • soutien du syndicat pour faire face à des enjeux majeurs sur le site;
  • règlement de la très grande majorité des griefs sans arbitrage et à la satisfaction des deux parties;
  • négociation basée sur les intérêts lors des trois dernières négociations;
  • aucun jour perdu pour conflit de travail;
  • peu d’arbitrage, la plupart des éléments se réglant en comité de grief.

En conclusion, on peut dire qu’il n’y a pas de recette miracle; tout passe par la confiance, le respect mutuel, la rigueur et surtout la compréhension du rôle que chaque partie doit jouer. Après tout, les membres de la direction sont responsables de la culture de l’entreprise et des relations avec les employés et le syndicat.

Denis Desaulniers, CRHA, vice-président, ressources humaines, ventes et opérations, et Mario Trachy, CRHA, directeur, ressources humaines, opérations Québec, PepsiCo Canada

Source : Effectif, volume 12, numéro 4, septembre/octobre 2009.


Denis Desaulniers, CRHA, et Mario Trachy, CRHA