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Régime de pension et discrimination fondée sur l’âge

En juillet 2008, la Cour suprême Canada a rendu un important arrêt, le Potash Corp.[1]

24 novembre 2008
Diane Sabourin

Monsieur D. Melrose Scott, ancien employé de la Potash Corp., a fait valoir auprès de la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick que l'âge de la retraite obligatoire à 65 ans, établi par le régime de pension de son employeur, constitue une discrimination fondée sur l'âge. M. Scott a en effet été forcé de quitter son emploi de mineur, pour prendre sa retraite, lorsqu'il a atteint l'âge de 65 ans.

Seule la question préliminaire suivante a alors été soumise : à quels critères un régime de pension doit-il satisfaire pour être jugé comme étant un « régime de pension effectif (bona fide) », au sens de l'article 3 (6 a)) de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick[2]?

Une Commission d’enquête a d’abord jugé qu’en présence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'âge, c’est le critère en trois volets que la Cour suprême du Canada a adopté, en 1999, dans l'arrêt Meiorin[3], qui s’applique. Le juge en révision judiciaire a infirmé cette décision et a plutôt retenu le critère de l'arrêt Zurich Insurance Co[4], rendu en 1992, par cette même Cour suprême du Canada. Par la suite, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick[5] a rejeté majoritairement l'appel et a décidé que le régime devait être « à la fois effectif et raisonnable ». La Cour suprême du Canada[6] a enfin rejeté le pourvoi à l'encontre de ce jugement. Le dossier se retrouve donc maintenant à la case départ, soit de nouveau devant la Commission d'enquête qui doit considérer le régime de pension en cause, désormais à la lumière des critères suivants, soit « subjectivement et objectivement effectif (bona fide) ».

Alors que la plupart des provinces au Canada, tel le Québec, ont décidé depuis belle lurette d'abolir l'âge obligatoire de la retraite, voici que quatre de ces honorables juges ont confirmé le législateur du Nouveau-Brunswick dans sa volonté de permettre une exception à la règle générale de non-discrimination, notamment en raison de l’âge, pour « l'application des modalités ou conditions d’un régime de retraite ou de pension effectif qui ont pour effet d'exiger un nombre minimal d'années de service ».[7]

Quant aux trois autres juges, ils ont adopté une lecture conjuguée des alinéas 1 et 6 de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick[8], alinéas qui, selon eux, devraient être considérés de pair, afin d'assurer le double objectif suivant pour un régime de pension « légitime et effectif » :

  • d'une part, empêcher la discrimination fondée sur l’âge de « priver arbitrairement » de leur droit de travailler les employés bénéficiant d’un régime de pension;
  • et, d'autre part, garantir la sécurité financière des employés en permettant le « fonctionnement viable » d'un régime de pension.

Alors que nous nous dirigeons assurément vers un futur marché de pénurie de salariés, comme les statistiques actuelles donnent à le croire, il y a fort à parier que le législateur du Nouveau-Brunswick aura besoin tôt ou tard, à l'instar de son voisin du Québec, de songer à abolir une fois pour toutes la retraite obligatoire à 65 ans.

Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'accueillir[9], en notre qualité d'arbitre, un grief collectif que des professeurs de l'Université de Moncton au Nouveau-Brunswick ont déposé pour se plaindre de leur employeur, « à chaque fois qu’il contraint un membre du personnel à prendre sa retraite contre sa volonté, pour la seule raison qu'il atteint l'âge de 65 ans ».

D’une part, le syndicat invoquait la clause 4.04 de la Convention collective de 2003-2007 qui interdit aux deux parties en cause d'exercer de « distinction injuste, de pression ou de contrainte », notamment à cause de l’âge. D’autre part, l'Université réclamait plutôt l'application de l'alinéa 6 de l'article 3 de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick.

Primo, nous nous sommes appuyée sur un célèbre arrêt de 1975, soit McLeod c. Egan[10], où la Cour suprême du Canada a décidé qu'« une convention collective ne peut pas accorder à l'employeur le droit de violer les droits reconnus aux employés par la loi ». Au contraire, il a alors été jugé que le droit de gérance est « subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention, mais aussi aux droits reconnus aux employés par la loi ».

Ensuite, nous nous sommes référée au plus récent arrêt Parry Sound[11], rendu en 2003, par lequel la Cour suprême du Canada a désormais investi l'arbitre de griefs du « rôle de gardien des droits de la personne », ayant de plus statué à l'effet que « les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l'emploi fixent plutôt un minimum auquel l'employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat[12] ».

Enfin, nous avons cité les propos suivants tenus en 1990 par l’honorable juge Claire L'Heureux-Dubé, dans l'arrêt McKinney c. Université de Guelph.[13], propos qui sont toujours d'actualité et surtout pleins de bon sens :

  • « Le facteur-clé devrait être le mérite plutôt que l’âge ».
  • « La valeur de la permanence est menacée par l’incompétence et non par le vieillissement. »
  • « Le nombre de ceux qui choisissent de poursuivre une carrière d’enseignement active et productive après 65 ans est relativement peu élevé. »
  • « La retraite obligatoire devrait être justifiée autrement que par la détérioration des capacités mentales. »
  • « On ne peut permettre qu’un régime arbitraire supprime la volonté de certains de poursuivre leur mode de vie, leur carrière et leurs ambitions. »

Peu après notre sentence arbitrale, les journaux locaux annonçaient que l’Université de Moncton avait décidé d'abolir la retraite obligatoire à 65 ans pour l'ensemble de son personnel syndiqué, sur ses trois campus au Nouveau-Brunswick.

Que ce soit au Nouveau-Brunswick ou au Québec, les employeurs n’auront plus le choix et devront réviser leurs politiques d'embauche ou de maintien à l'emploi, et ce, tant pour faire face à la prochaine vague de pénurie de salariés que pour éviter toute forme de discrimination au sein de leur organisation.

Autres temps, autres défis!

Depuis 1984, Me Diane Sabourin,CRIA, est arbitre de griefs et aussi formatrice. Au fil de ses 24 années de pratique, Me Sabourin a donné plusieurs conférences, cours et séminaires sur divers sujets en droit du travail. On peut la joindre par téléphone [514-257-1001] ou par courriel [dianesabourin@videotron.ca].



[1] Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 18 juillet 2008, C.S. Canada 31652, SOQUIJ AZ-50503008 et 2008 CSC 45 (aussi résumé à D.T.E. 2008T-598), Cour suprême du Canada : d'une part, madame la juge Abella, à l'opinion de laquelle souscrivent les juges Binnie, LeBel et Rothstein, ainsi que d'autre part, madame la juge en chef McLachlin, à l'opinion de laquelle souscrivent les juges Deschamps et Charron.
[2]
L.R.N.-B., 1973, c. H-11.
[3]
Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
[4]
Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321.
[5]
Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 20 juillet 2006.
[6]
Ibid, note 1.
[7]
1er alinéa de l'article 3 de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick (L.R.N.-B., 1973, c. H-11).
[8]
Ibid, note 2.
[9]
Association des bibliothécaires, des professeures et professeurs de l’Université de Moncton c. Université de Moncton (Nouveau-Brunswick), 30 juin 2008, soit très peu de temps avant l'arrêt Potash,en cause.
[10
]  [1975] 1 R.C.S. 517. Voir nos commentaires sur cet arrêt, dans « Les Chartes des droits de la personne et l'arbitre de griefs », Développements récents en droit du travail, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 1991, Éditions Yvon Blais, Cowansville, pages 59 à 81.
[11]
[2003] 2 R.C.S. 157.
[12]
Ibid, note 11, paragraphe 28 in fine.
[13]
[1990] 3 R.C.S. 229, Cour suprême du Canada, aux paragraphes 376, 377, 381,385 et 390


Diane Sabourin Arbitre - formatrice Service d'arbitrage Diane Sabourin inc.