Dans ce contexte, l’objectif de l’employeur est de diminuer ses coûts grâce à une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail et à la réduction de la masse salariale par différents moyens tels que la baisse des salaires, la modification des horaires de travail ou la réduction des avantages sociaux. Pour leur part, le syndicat et les employés ne semblent pas accepter le diagnostic posé par l’employeur. L’objectif du syndicat est d’assurer le maintien des droits acquis; accepter les propositions de l’employeur constituerait un aveu d’impuissance ou risquerait de démontrer son incapacité à remplir son rôle traditionnel.
Ainsi, les négociateurs du côté tant patronal que syndical peuvent adopter une stratégie soit d’opposition, soit de solution de problèmes pour mettre fin à un litige. Toutefois, dans le cas de l’utilisation d’une stratégie d’opposition, en l’absence de concessions de l’une ou l’autre des deux parties, une telle stratégie sera un échec.
Que doivent faire les professionnels de la gestion des ressources humaines aux prises avec un tel conflit?
L’adaptation à un environnement en évolutionSelon l’approche stratégique de la négociation, l’employeur confronté aux pressions de l’environnement dans lequel il évolue voudra apporter des changements. Lors des négociations avec le syndicat représentant ses employés, il optera pour une stratégie en fonction de la nature et de la rapidité du changement à implanter. La faisabilité et la désirabilité du changement seront également considérées. Le syndicat tentera pour sa part de maintenir le statu quo.
Dans un cas d’exacerbation du modèle traditionnel de relations du travail, où se juxtaposent des négociations fondées sur des positions et la contrainte, le conflit ouvert (grève ou lock-out) passe à une phase où le conflit devient un mode de fonctionnement. Au cours de cette phase, le professionnel de la gestion des ressources humaines doit prendre la mesure de son leadership et de son apport stratégique à l’organisation qui l’emploie (entreprise ou syndicat). Comment?
Il faut d’abord revoir les études réalisées avant de proposer le changement.
- L’objectif a-t-il été clairement ciblé? Quel est l’enjeu? À quel besoin répond-t-il?
- A-t-on développé un sentiment d’urgence par une prise de conscience commune des transformations qui surviennent dans l’environnement de l’organisation?
- A-t-on bien cerné ses intérêts et ceux de l’autre partie?
- La capacité de résistance de l’autre partie a-t-elle été sous-estimée?
Ensuite, le professionnel RH doit évaluer dans une certaine mesure si le coût potentiel de la prolongation du conflit est plus élevé que celui de sa cessation. C’est sur le plan des perceptions qu’il pourra agir : du côté patronal, sur ce que l’employeur a à gagner en prolongeant le conflit et, du côté syndical, sur les acquis à maintenir.
La légitimité des intérêts réciproquesDans le cadre de la négociation intra-organisationnelle, le professionnel RH doit adopter un rôle de médiateur dans sa tentative d’obtenir un arrangement entre les éléments pondérateurs et les dissidents. Il s’agit probablement de la partie la plus difficile du processus de résolution du conflit. Il faut se rappeler que le professionnel RH exerce un leadership fondé sur la compétence, alors que d’autres membres du comité de négociation, et de façon générale dans l’organisation, exercent un leadership fondé sur le pouvoir; en clair, ce sont eux qui décident.
Ici, le professionnel RH doit rappeler à ses mandants et aux membres de l’organisation en général que, s’il est légitime que l’employeur recherche la plus grande efficacité possible, de meilleurs coûts à assumer ainsi qu’une hausse des profits pour l’entreprise privée – ou une diminution des coûts pour un niveau de services équivalent ou une augmentation des services avec un budget stable pour les organismes publics –, il est également légitime pour les salariés de rechercher une certaine sécurité financière, psychologique ou autre. C’est dans ce cadre que diverses options compromissoires devraient surgir en considérant l’intérêt commun des deux parties. Dans l’entreprise privée, les parties ont intérêt à produire de la richesse afin de se la partager. Dans les organismes publics, les parties ont intérêt à se rappeler que la capacité de payer des contribuables a des limites.
Toutefois, il ne faut pas que l’étroitesse d’esprit de certains, un affrontement entre les ego des porte-parole patronal et syndical, l’incompétence et l’inexpérience empêchent l’atteinte d’un règlement par ailleurs faisable. Ainsi, il faut réviser périodiquement les hypothèses de départ afin de réduire les fixations et les rigidités. Un conflit interpersonnel ne doit pas rendre impossible le recours à une approche de résolution de problèmes. Le processus de résolution du conflit ne doit pas être court-circuité par l’incompétence ou l’inexpérience.
Reconstruire le lien de confianceAprès que chacune des parties a obtenu le consensus interne approprié en instruisant ses commettants sur l’état des négociations et sur les attitudes et les comportements à adopter, il s’agit de reconstruire le lien de confiance. Il faut se rappeler qu’il ne peut être question de confiance si les parties ne se parlent pas ou ne se rencontrent pas.
L’une des premières tâches d’un conciliateur qui intervient dans un conflit est de rétablir la communication entre les parties. Lorsque la conciliation échoue, ce qui est souvent le cas dans le type de conflit qui nous préoccupe, il revient aux parties de rétablir la communication. Le professionnel RH doit alors démontrer beaucoup de maturité dans ces circonstances.
Deux scénarios sont possibles…- Les parties ont quitté la table de négociation sur la dernière offre patronale ou sur la dernière proposition syndicale; le climat est tendu, il n’y a pas d’autres séances de négociation prévues et les parties négocient sur la place publique. Rien n’empêche toutefois les professionnels RH impliqués dans le dossier de tenir des rencontres informelles en dehors de la table de négociation afin d’échanger de l’information, qui doit être transparente, dans le but de raffiner leur compréhension du conflit et de l’enjeu qui lui est associé. Toutefois, l’autorisation des mandants est requise pour échanger de l’information à caractère stratégique.
- Dans la discussion, un des interlocuteurs perd son sang-froid, se met en colère, refuse de comprendre, devient de fait sourd; il y a alors rupture de la communication et la négociation n’est plus possible. Attention, s’il s’agit d’une stratégie utilisée par un porte- parole afin de mettre de la pression, ce dernier doit conserver la capacité de revenir à une discussion plus détendue. En pratique, dans ce cas, les parties prennent une petite pause et la discussion reprend alors sur un meilleur ton, mais l’effet est quand même là. Dans le cas contraire, s’il ne s’agit pas d’une stratégie et qu’il y a véritablement rupture de la communication, c’est au porte-parole qui a perdu son sang-froid de faire les premiers pas pour tenter de rétablir la communication avec le porte-parole de l’autre partie. Ce n’est pas un signe de faiblesse, il n’y a pas perte de crédibilité, car la colère est une réaction humaine et non une réponse, qui peut entraîner une réciprocité conflictuelle soutenue par des sentiments négatifs. Il faut alors beaucoup de courage et de professionnalisme et la réciprocité peut jouer à sens inverse, c’est-à-dire que l’autre interlocuteur démontrera généralement de meilleurs sentiments. Le caractère informel des échanges et la transparence de l’information demeurent.
L’information est souvent au cœur d’un conflit de négociation collective. En effet, l’information est source de pouvoir; son absence ou son insuffisance sont source d’ignorance. Or, l’ignorance et le pouvoir sont deux causes de conflit dans les relations du travail. Toutefois, la transparence de l’information est une condition essentielle à la résolution d’un conflit; sa véracité sera habituellement mise en doute par la partie qui la reçoit, d’où l’importance de lui accorder une attention toute particulière. En d’autres termes, il ne faut pas transmettre des renseignements interprétés, manipulés ou traités. En matière de transparence, c’est d’une information brute dont il est question ici.
Le partage de l’information est une forme minimale de participation. Il s’agit du moyen le plus sûr pour reconstruire le lien de confiance avant de songer à entreprendre une expérience de résolution conjointe de problèmes.
Une expérience de résolution conjointe de problèmesLors de leurs conversations téléphoniques ou de leurs rencontres informelles, les parties auront probablement amorcé une expérience de résolution conjointe de problèmes. Il ne leur restera qu’à convaincre leurs mandants de retourner à la table de négociation.
À la reprise des négociations, les parties doivent identifier leurs besoins et les conditions pour les satisfaire et démontrer une compréhension mutuelle des problèmes soulevés par le changement. Ici, il peut être d’une grande utilité de reformuler dans ses propres mots les propos de l’autre partie. Il faut que les parties s’assurent de posséder la même information. Il peut être utile également de recourir à l’aide d’un expert indépendant choisi conjointement par les parties pour résoudre des difficultés particulières.
Tout en gardant le cap sur leurs objectifs fondamentaux, et après avoir envisagé différentes options compromissoires pour leurs intérêts divergents, les parties doivent mettre l’accent sur les aspects positifs du changement et sur leurs intérêts convergents tout en tentant d’harmoniser leurs intérêts divergents. Les professionnels RH doivent alors faire preuve de beaucoup de créativité et d’imagination.
ConclusionLa solution se trouve dans l’adaptation en fonction des intérêts réciproques des parties. Celles-ci doivent reconstruire le lien de confiance en reconnaissant la légitimité de leurs intérêts réciproques et en cherchant à les accommoder. Le processus de négociation collective ne doit pas reposer uniquement sur le rapport de force. Il doit être aussi un exercice de reconnaissance des intérêts communs et de réconciliation des intérêts divergents. Il pourrait s’agir dans ce type de conflit d’une expérience de résolution conjointe de problèmes.
Denis Darveau, CRIA, conseiller, relations industrielles et associé, Association des offices municipaux d’habitation du Québec
Source : Effectif, Volume 11, numéro 4, septembre/octobre 2008