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Droit du travail et de l’emploi - Licenciement et calcul du délai de congé : attention aux politiques d’entreprise!

Il est bien établi par la jurisprudence que l’employeur qui se prévaut de l’article 2091 du Code civil du Québec[1] et résilie le contrat de travail peut choisir de ne pas donner le délai de congé, mais de mettre plutôt fin au contrat de façon immédiate tout en versant à l’employé une indemnité équivalente au délai de congé raisonnable. Il est également bien établi, advenant un litige entre l’employeur et l’employé sur le montant de l’indemnité qu’il est en droit de recevoir, que l’employé licencié a l’obligation de minimiser ou de mitiger ses dommages, soit de faire un effort raisonnable pour chercher et accepter un autre emploi convenant à sa qualification. En principe, les gains ainsi réalisés durant la période du délai de congé seront déduits par le tribunal du montant de l’indemnité à être versée[2].

23 mars 2007
Dominique Launay

Jusqu’à présent, les employeurs ont présumé que leur politique d’entreprise mise en place en matière de calcul de l’indemnité tenant lieu de délai de congé cessait de s’appliquer en cas de litige portant sur la durée du délai de congé et que les règles prévues au Code civil du Québec avaient alors préséance pour trancher le débat. L’employé encourait donc le risque d’obtenir une indemnité moindre que celle prévue à la politique, en plus d’être soumis à l’obligation de minimiser ses dommages.

Mais la Cour d’appel du Québec, dans la cause Aksich c. Canadian Pacific Railway[3] (ci-après « CPR »), vient nuancer de façon importante ces principes en présence d’une politique d’entreprise en matière du calcul du préavis. En effet, dorénavant, lors de la résiliation unilatérale du contrat de travail, l’indemnité calculée devra tenir compte, le cas échéant, de la politique de l’employeur, ce qui a un impact significatif sur l’obligation de mitigation qui incombe à l’employé licencié.

Dans la cause Aksich, l’appelant avait été à l’emploi de CPR pendant vingt-sept ans, dont vingt années consécutives. Le 12 juillet 2001, CPR annonce que son contrat de travail est résilié et que cette résiliation prend effet le 31 août 2001. Au moment de son licenciement, l’appelant a un peu plus de cinquante-deux ans et occupe un poste de cadre supérieur au sein de l’entreprise.

Selon la politique du CPR en matière de délai de congé, l’employé licencié se voit offrir une indemnité salariale calculée selon la formule suivante : trois semaines par année de service multipliées par le nombre d’années de service, plus onze semaines pour tenir compte des avantages sociaux. Ainsi, en application avec sa politique, CPR offre à l’appelant une indemnité forfaitaire équivalente de 169 400 $, soit un délai de congé de soixante et onze semaines ou 16,4 mois. Cette offre est conditionnelle à la signature d’une quittance, déchargeant l’employeur de toute réclamation et de tout dommage résultant de la résiliation du contrat de travail.

L’appelant refuse cette offre et réclame le versement d’un délai de congé de vingt-sept mois et le droit de se prévaloir de la politique de préretraite de l’entreprise. De plus, il allègue que son obligation de mitigation ne s’applique pas pour la période équivalente à la portion de l’indemnité calculée en application de la politique du CPR, soit 16,4 mois. Autrement dit, selon lui, il ne doit pas y avoir de mitigation jusqu’à concurrence de 169 400 $ et seule la portion résiduelle de l’indemnité à être accordée en vertu du Code civil du Québec pourrait être affectée par la mitigation.

Or, la Cour supérieure, bien qu’elle accorde à monsieur Aksich un délai de congé équivalent à quinze mois, déduit les gains qu’il a réalisés durant cette période, appliquant ainsi le principe de la mitigation des dommages.

En appel, la Cour d’appel du Québec donne raison à l’employé et considère que la politique de l’employeur en matière de calcul de l’indemnité tenant lieu de délai de congé fait partie intégrante des termes du contrat individuel de travail, même si le contrat n’y faisait aucune référence, et fixe une sorte de norme minimale.

La Cour conclut que, pour la période et le montant correspondant au délai de congé auquel l’appelant a droit selon cette politique, aucune mitigation n’a à être effectuée par soustraction des revenus que l’appelant a pu gagner pendant l’équivalent de ce délai. Il s’agit en quelque sorte d’un « avantage de non-mitigation », que l’entreprise a dû prendre en compte lors de l’élaboration de sa politique. En effet, l’employeur accepte, dans sa politique, que l’employé reçoive un montant forfaitaire précis au moment de son départ, et ce, même s’il est en mesure de se trouver un autre emploi rapidement. L’appelant n’est donc tenu de mitiger ses dommages que pour l’excédent de la somme correspondant au délai de congé octroyé en vertu de la politique d’entreprise.

Conséquences de ce jugement : modifier la politique de l’entreprise
La mise en place d’une politique de cessation d’emploi a souvent été perçue comme un moyen efficace de s’assurer que les employés reçoivent un traitement équitable lors de la fin de leur emploi puisqu’elle prévoit à l’avance le calcul du délai de congé.

Cependant, ce jugement de la Cour d’appel indique clairement que, dans l’éventualité où l’employeur décide de résilier unilatéralement un contrat individuel de travail (en vertu de l’article 2091 du Code civil du Québec), il sera lié par sa politique d’entreprise en cette matière et ne pourra réclamer la mitigation des dommages pendant la période du délai de congé calculée en application de cette politique.

En conséquence, l’employé ne sera pas tenu de mitiger ses dommages et de faire un effort raisonnable pour trouver un autre emploi pendant la période équivalente au délai de congé calculée en fonction de la politique. De plus, les gains qu’il aura réalisés durant cette période ne seront pas déductibles de l’indemnité que fixera le tribunal en cas de litige.

Une façon d’atténuer les conséquences de ce jugement de la Cour d’appel serait évidemment d’éliminer la politique de l’entreprise en matière de calcul de l’indemnité tenant lieu de délai de congé dans le cadre d’un licenciement. En l’absence d’une politique d’entreprise en la matière, l’employé licencié conserverait l’obligation de mitiger ses dommages pendant toute la période équivalente au délai de congé.

Une solution de rechange peut cependant être envisagée si l’abolition de la politique d’entreprise en cette matière n’est pas souhaitée. À cet égard, dans le cadre d’une politique prévoyant le calcul du délai de congé ou de l’indemnité équivalente, celle-ci devrait prévoir spécifiquement qu’elle est conditionnelle à la conclusion d’une entente (et donc à l’octroi d’une quittance en faveur de l’employeur). Cette politique devrait également prévoir, à défaut d’une telle entente, que la politique sera non avenue et que les règles prévues par le Code civil du Québec s’appliqueront alors à la résiliation du contrat avec, entre autres, l’obligation de mitigation des dommages.

Me Dominique Launay a acquis une expertise particulière en droit du travail de compétence fédérale ainsi qu'en droit administratif. Elle représente des entreprises dans des dossiers de droit de l'emploi et de relations du travail de compétence provinciale ainsi que les intérêts des clients devant différentes instances décisionnelles.

Dominique Launay, avocate, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Source : VigieRT, numéro 16, mars 2007.


1 L’article 2091 du C.c.Q. prescrit que :
« 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. »
2 Il s’agit de la conséquence de l’obligation du salarié de réduire ses dommages, en vertu de l’article 1479 du C.c.Q.
3 2006 QCCA 931 (IIJCan); 25 août 2006; Mailhot, Nuss, Bich jca.
Voir : http://www.canlii.org/qc/jug/qcca/2006/2006qcca931.html.

Dominique Launay