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Quand les normes du travail ne sont pas un détail…

Le marché du travail subit des transformations accélérées depuis quelques années, particulièrement dans le contexte de la mondialisation. Deux grandes tendances parfois contradictoires exercent une pression continue sur le marché du travail : le besoin de flexibilité accru des entreprises dans la gestion des ressources humaines en vue de maintenir ou d'accroître leur compétitivité, alors qu'un nombre grandissant de salariés cherchent à maintenir ou à accroître leur niveau de vie et à concilier le travail avec leur vie personnelle et familiale tout en se préservant de la précarité.

29 juin 2006
Guy Poirier, CRIA

Ces tendances ont amené le législateur québécois à adapter les lois du travail aux nouvelles réalités économiques et sociales. Entrées en vigueur progressivement à compter de 2003, les dernières modifications à la Loi sur les normes du travail ont permis de simplifier l'application de la Loi pour les employeurs, notamment en ce qui concerne le calcul de l'indemnité des jours fériés, tout en renforçant certaines protections pour les salariés comme la réduction de la période de service continu pour bénéficier de la protection contre le congédiement décidé sans une cause juste et suffisante.

Depuis son adoption en 1979, la Loi sur les normes du travail constitue un des principaux maillons du filet de protection sociale de notre société. Cette Loi édicte les conditions minimales de travail pour les 2,9 millions de salariés qui y sont assujettis et elle est d'autant plus importante pour les 1,7 million d'entre eux qui ne sont pas syndiqués et qui n'ont que cette Loi pour encadrer leurs conditions de travail.

Des préoccupations émergentes
Depuis plus de dix ans, la Commission des normes du travail reçoit annuellement entre 25 000 et 30 000 plaintes des salariés non syndiqués. Les sondages internes démontrent que 90 % des salariés qui ont porté plainte ne sont plus en emploi, une donnée en constante augmentation et qui nous préoccupe beaucoup.

En effet, ce constat a amené la Commission à s'interroger sur le sort réservé aux salariés qui sont toujours en emploi. Leurs conditions de travail sont-elles respectées? Et sinon, font-ils valoir leurs droits? Ont-ils peur de représailles? Est-ce qu'ils connaissent bien les principales normes du travail, d'autant plus qu'elles ont été modifiées récemment? Est-ce que les employeurs sont de mauvaise foi ou plutôt mal informés?

Une enquête inédite et des constats qui font réfléchir
La Commission a réalisé à l'automne 2004 une enquête auprès d'un échantillon de 4000 salariés non syndiqués toujours en emploi. L'enquête a permis d'évaluer le taux de respect de la Loi et la proportion de salariés pour qui elle n'est pas appliquée correctement. Il s'agissait également d'identifier les principales caractéristiques de ceux et celles qui sont victimes des infractions.

À notre connaissance, c'est la première fois qu'une étude de cette envergure est effectuée au Canada. Il convient de mentionner que l'enquête, réalisée en collaboration avec une firme de sondage, ne visait pas à recueillir l'opinion des répondants, mais bien à évaluer objectivement les conditions de travail à partir des faits recensés.

Les résultats de l'enquête montrent qu'une vingtaine de normes du travail sont respectées pour 40 % des salariés qui occupent un emploi de type traditionnel, c'est-à-dire à plein temps, à horaire fixe, rémunérés à l'heure.

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En revanche, six salariés sur dix, soit un nombre estimé à 780 000 personnes, sont victimes d'au moins une infraction aux principales normes du travail. L'enquête révèle que les salariés les plus à risque de subir une infraction sont ceux qui occupent des emplois saisonniers, sur appel, à temps partiel, à horaire variable ou qui sont rémunérés à forfait, qui reçoivent des commissions ou des pourboires et qui sont âgés entre 15 et 24 ans.

Voir profil des salariés à risque

L'enquête révèle en outre que, parmi l'ensemble des normes du travail évaluées, quatre sont plus problématiques : les jours fériés, les vacances, les heures supplémentaires et les omissions dans le bulletin de paye. Ces infractions ne sont pas mineures puisque la Commission a pu calculer que, pour les deux jours fériés compris dans l'enquête, le manque à gagner des salariés totalise 21 millions de dollars.

À partir de ces constats, la Commission des normes du travail s'est dotée d'un plan d'action visant à réduire les taux d'infraction en ciblant les secteurs les plus à risque et les clientèles vulnérables. Dans une optique de prévention et de responsabilisation des employeurs et des salariés, le plan décrit divers moyens d'information et de sensibilisation, d'aide-conseil et de soutien à l'application de la Loi, et prévoit aussi le recours à la surveillance, au traitement des plaintes et, si nécessaire, à la dissuasion des employeurs récalcitrants et récidivistes.

Le bulletin de paye, un détail?
Comme on a pu le constater au cours du printemps, une des premières interventions de la Commission a été de lancer une campagne d'information et de sensibilisation s'adressant à l'ensemble de la population. Les axes de communication visaient à joindre plus particulièrement les salariés qui occupent un emploi non traditionnel.

Parmi les quatre normes les plus enfreintes, celle qui concerne le bulletin de paye touche le plus grand nombre de salariés. Ainsi, la Commission estime que 267 000 salariés ne sont pas en mesure de vérifier s'ils ont obtenu ce qui leur est dû. Autrement dit, dans le bulletin de paye d’un salarié sur cinq, il manquait des renseignements concernant le salaire, les heures supplémentaires, les jours fériés, les vacances, etc.

Cela est très significatif, car l'absence de renseignements ou une information incomplète dans le bulletin de paye est potentiellement révélatrice du non-respect d'autres normes, comme celles qui sont relatives au paiement des heures supplémentaires, au calcul des indemnités concernant les jours fériés ou les vacances.

En mettant l'accent sur le bulletin de paye, la Commission souhaite amener les salariés à utiliser un des meilleurs moyens dont ils disposent pour vérifier si la Loi est bien appliquée.

Consulter le bulletin de paye dynamique

L'objectif de la Commission est de prévenir les infractions à la Loi et d'accroître le respect de ses dispositions en informant les salariés et en sensibilisant les employeurs à leur obligation d’indiquer clairement dans le bulletin de paye les renseignements nécessaires à sa bonne compréhension par l’employé.

Guy Poirier, CRIA, avocat, directeur des affaires juridiques de la Commission des normes du travail

Source : VigieRT, numéro 9, juin 2006.


Guy Poirier, CRIA