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Les normes internationales du travail : pour de bonnes relations professionnelles

Les relations professionnelles comprennent les relations bilatérales entre un ou plusieurs employeurs ou leur organisation et une ou plusieurs organisations syndicales; elles peuvent aussi inclure les relations tripartites, où s’ajoutent des représentants des autorités publiques.

15 mai 2006
Oksana Wolfson

Selon Odero et Phouangsavath, ces relations couvrent l’ensemble des contacts, échanges d’information, discussions, consultations, pourparlers, négociations, activités de coopération, conflits au niveau des entreprises et institutions publiques ou à un niveau plus général, voire national, moyens d’action et voies de règlement de différends (Les normes internationales du travail. Une approche globale, p. 559). Ainsi, les droits des organisations syndicales et des organisations d’employeurs, la négociation collective y compris, ont un rôle capital dans les relations professionnelles. En effet, la liberté syndicale et la négociation collective sont d’importance majeure pour les partenaires sociaux, car elles leur permettent d’établir des règles en matière de conditions de travail, y compris les salaires, ainsi que de promouvoir des revendications plus générales.

Organisation internationale du Travail
L’Organisation internationale du Travail (OIT) a été créée en 1919 et fait aujourd’hui partie de l’ensemble d’institutions des Nations Unies. Il s’agit de la seule organisation mondiale dotée d’une structure tripartite qui réunit sur un pied d’égalité des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. Elle a pour mission d’améliorer, dans tous les pays, les conditions du travail des travailleurs et des travailleuses. Pour relever ce défi, l’Organisation a élaboré un système de normes internationales du travail qui couvrent toutes les questions liées au travail.

Quelques conventions…
Les conventions et recommandations adoptées depuis 1919 couvrent pratiquement toutes les questions qui se posent dans le monde du travail : respect des droits fondamentaux (liberté syndicale, droit d’organisation et de négociation collective, abolition du travail forcé et du travail des enfants, élimination de la discrimination en matière d’emploi), administration du travail, relations professionnelles, politique de l’emploi, conditions de travail, sécurité sociale, sécurité et santé des travailleurs, emploi des femmes et de catégories particulières telles que les travailleurs migrants ou les gens de mer.

En juin 1998, la Conférence internationale du Travail a adopté la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi. Par ce texte, les États membres ont reconnu qu’ils ont une obligation, du seul fait de leur appartenance à l’Organisation, d’œuvrer en vue de garantir certaines valeurs fondamentales. Parmi lesquelles figurent, comme nous l’avons déjà mentionné, la liberté syndicale et la reconnaissance effective du droit de négociation collective. Cette obligation existe même si les pays n’ont pas ratifié les huit conventions fondamentales qui affirment ces principes.

La convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective constituent les deux conventions fondamentales. Aux termes de la convention n° 87, ratifiée par cent quarante-cinq pays, les travailleurs et les employeurs ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier. Ces organisations ont également le droit de constituer des fédérations et confédérations et de s’y affilier, ainsi que le droit de s’affilier à des organisations internationales. En outre, les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d’action. Les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention susceptible de limiter ce droit ou d’en entraver l’exercice.

En vertu de la convention n° 98, ratifiée par cent cinquante-quatre États, les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale, notamment ceux ayant pour but de subordonner l’emploi d’un travailleur à la condition qu’il ne s’affilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie d’un syndicat, ou de congédier un travailleur en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales. En outre, les organisations de travailleurs et d’employeurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence des unes à l’égard des autres, notamment les mesures tendant à provoquer la création d’organisations de travailleurs dominées par un employeur ou une organisation d’employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des moyens financiers ou autres dans le but de placer ces dernières sous le contrôle d’employeurs. La convention consacre également le droit de négociation collective : des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir l’élaboration et l’utilisation la plus large de procédures de négociation volontaire entre employeurs, ou leurs organisations, et organisations de travailleurs, en vue de régler les conditions d’emploi par l’entremise de conventions collectives.

D’autres conventions doivent être mentionnées. La convention (n° 11) sur le droit d’association dans l’agriculture accorde aux personnes œuvrant dans l’agriculture les mêmes droits d’association qu’aux travailleurs de l’industrie. La convention (n° 141) sur les organisations de travailleurs ruraux souligne de son côté l’importance des organisations de travailleurs ruraux fortes et indépendantes pour le développement économique. Pour sa part, la convention (n° 135) concernant les représentants des travailleurs, leur confère des garanties et des droits dans les entreprises tels que la protection contre les actes de discrimination antisyndicale et les facilités pour qu’ils puissent exercer leurs fonctions. Et la convention (n° 151) sur les relations de travail dans la fonction publique oblige les États à promouvoir les procédures de négociation ou toutes autres méthodes permettant aux représentants des agents publics de participer à la détermination de leurs conditions d’emploi. Enfin, la convention (n° 154) sur la négociation collective encourage la négociation collective tant dans le secteur privé que dans l’administration publique.

Obligation de rendre compte à l’OIT…
Les États qui ont ratifié des conventions doivent périodiquement rendre compte de leur application, en droit et en pratique. Ils ont, à cet effet, l’obligation constitutionnelle de présenter des rapports sur les mesures prises pour appliquer ces conventions. Les organisations d’employeurs et de travailleurs ont la possibilité d’envoyer à l’Organisation leurs observations sur l’application des conventions ratifiées par leur pays. Ces rapports sont examinés par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations qui, chaque année, publie un rapport contenant des observations sur l’application des conventions par les États qui les ont ratifiées. Ce rapport est ensuite discuté chaque année par la Commission tripartite de l’application des conventions et recommandations de la Conférence internationale du Travail. Elle relève un certain nombre d’observations qui font l’objet d’un débat.

La signification des normes internationales du travail repose sur leurs effets pratiques. Il est donc important de faire un bref inventaire des problèmes d’application des normes le plus souvent rencontrés dans les différents pays.

L’application des normes : surveillée
En 2004, la commission d’experts a adressé ses observations relatives à l’application de la convention n° 87 aux soixante-quatorze gouvernements sur les cent quarante-cinq pays qui ont ratifié la convention (il faut savoir que, dans le cas des conventions fondamentales, les gouvernements doivent soumettre leurs rapports à la commission tous les deux ans selon l’ordre alphabétique, une année par les États membres dont le nom commence par les lettres A à J et l’autre année par ceux dont le nom commence par les lettres K à Z, ou inversement).

Les questions soulevées portaient surtout sur les restrictions au droit d’association de certaines catégories de travailleurs (fonctionnaires, magistrats, travailleurs de l’agriculture, travailleurs domestiques, marins, etc.). Les commentaires critiques sur ces questions ont été adressés à plus de vingt pays. Selon la commission, certaines législations entravaient l’exercice du droit des organisations d’élire librement leurs représentants soit en prévoyant des restrictions sur les catégories de personnes pouvant exercer des fonctions syndicales en toute liberté, soit en prévoyant des restrictions dans la libre élection de dirigeants syndicaux (quinze observations ont soulevé ce problème). Un nombre significatif de pays restreignaient le droit de grève. Plus de quarante commentaires portaient donc sur des restrictions à divers aspects du droit de grève (interdiction de la grève dans des services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme, imposition par le gouvernement de services minima sans consultation avec des parties, interdiction aux fonctionnaires autres que les fonctionnaires publics exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’État, conditions préalables excessives, imposition de l’arbitrage obligatoire, réquisitions).

En ce qui concerne l’application de la convention n° 98, pour l’année 2004, cinquante-sept observations ont été faites par la commission d’experts. Concernant des dispositions sur la protection contre les actes de discrimination antisyndicale et d’ingérence, l’analyse des observations de la commission d’experts permet de constater que les problèmes soulevés concernaient surtout des législations qui ne contenaient pas de dispositions interdisant la discrimination antisyndicale (onze pays ont fait l’objet des critiques) ou les actes d’ingérence (huit pays) ou qui accordaient une protection insuffisante, en particulier absence ou lenteur de procédure ou de sanctions suffisamment dissuasives (treize pays).

Les observations de la commission d’experts relatives à l’application du droit de négociation collective permettent de constater que les problèmes les plus souvent mentionnés concernaient le refus du droit de négociation à tous les fonctionnaires ou à certaines catégories d’entre eux qui ne travaillent pas dans l’administration de l’État (onze pays parmi les cinquante-sept qui ont fait l’objet d’observations pour l’année 2004). La législation de neuf pays excluait certaines matières de la négociation collective. Le même nombre des pays imposait aux organisations syndicales de représenter une proportion trop élevée de travailleurs pour pouvoir négocier. Certains pays continuaient de subordonner la négociation collective à la politique économique du gouvernement.

Du progrès…
En 2004, la commission a aussi noté vingt-trois cas de progrès en matière de la liberté syndicale, négociation collective et relations professionnelles, c’est-à-dire qu’elle a exprimé sa satisfaction à l’égard de certaines mesures prises par les gouvernements. À titre d’exemple, on peut citer le Botswana, où la loi de 2003 sur les syndicats et les organisations d’employeurs a étendu le droit d’organisation aux agents des services publics et aux enseignants.

Au Luxembourg, la nouvelle législation a permis, à certaines conditions, à des travailleurs étrangers de faire partie des comités mixtes en tant que représentants du personnel.

La commission a noté avec satisfaction l’adoption en République Unie de la Tanzanie de la loi sur l’emploi et les relations professionnelles et de la loi sur les institutions professionnelles qui ont mis fin à un monopole syndical et ont supprimé les restrictions considérables au droit de grève. Elle a aussi noté des modifications législatives qui mettent fin à la faculté du tribunal du travail de refuser l’enregistrement d’une convention collective pour le motif que celle-ci était non conforme à la politique économique du gouvernement.

À Singapour, la commission a noté avec satisfaction l’abrogation d’une disposition de la loi sur les relations professionnelles qui stipulait que, dans certaines nouvelles entreprises, les employeurs et les syndicats devaient obtenir l’approbation du Ministre si les congés annuels ou de maladie prévus par la convention collective étaient plus favorables que ceux prescrits par la loi sur l’emploi.

La commission a aussi pris note d’une modification législative aux Pays-Bas dont l’effet est d’éliminer le monopole syndical de l’Association néerlandaise pour l’administration de la justice (NVvR) concernant la négociation des conditions d’emploi.

Le Comité de la liberté syndicale
Les cas examinés par le Comité de la liberté syndicale sont tout autant importants et révélateurs. Il s’agit là d’une procédure spéciale de contrôle visant à examiner les plaintes pour violation des droits syndicaux, qui a été instituée en 1951 par la création du Comité de la liberté syndicale. Le Comité se compose de neuf membres titulaires représentant en parts égales les groupes des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. Des membres suppléants (trois de chaque groupe) participent aussi à la discussion des cas soumis au comité. Les plaintes contre les États membres peuvent être déposées par des gouvernements ou des organisations de travailleurs ou d’employeurs, même lorsque les gouvernements concernés n’ont pas ratifié les conventions sur la liberté syndicale. Depuis sa création il y a cinquante-cinq ans, le Comité a considéré plus de 2450 cas et a ainsi construit une importante « jurisprudence » en la matière. À ce jour, quatre-vingt-treize plaintes ont été présentées contre le gouvernement du Canada.

Quels sont les problèmes les plus souvent soulevés par le Comité? Sur les 487 cas examinés entre mars 1995 et mai 2003, un quart des 890 allégations concernaient la discrimination antisyndicale, 22 % la violation des libertés civiles, 14 % la violation du droit de grève (dont 10 % avaient trait à la violation du droit à la négociation collective), 9 % d’autres actes d’ingérence (dont 13 % concernaient les restrictions lors de création d’organisations) et sept concernaient les restrictions législatives.

On peut aussi ajouter, à titre d’exemple, que la plus grande part des six cent cinquante-six plaintes présentées devant le Comité entre 1995 et 2006 proviennent de l’Amérique Latine (51 %); viennent ensuite l’Europe (16 %), l’Afrique (14 %), l’Asie (12 %) et l’Amérique du Nord (6 %). Ces chiffres ne témoignent pas nécessairement du plus grand nombre de violations de la liberté syndicale sur un continent par rapport à l’autre. En effet, d’autres facteurs peuvent expliquer la présentation des plaintes : meilleure connaissance de l’existence de ce mécanisme et de ses règles de procédure, et une plus grande liberté d’action devant les forums internationaux.

De grandes différences existent entre les pays en ce qui concerne le pouvoir des organisations syndicales, le niveau, la portée et le champ d’application des négociations collectives, ainsi que l’efficacité des mécanismes juridiques et administratifs mis en place pour respecter la liberté d’association et le droit de négociation collective. Beaucoup de pays ont encore des progrès à faire en ce qui concerne l’application des principes et droits fondamentaux au travail. À cet égard, l’existence d’une législation appropriée et son application effective constituent la base même des conditions nécessaires pour instaurer des relations du travail constructives et pour étendre les mécanismes de négociation collective. Les normes internationales du travail fournissent des orientations pour l’élaboration des législations et des politiques nationales et sont des sources de bonnes relations professionnelles.

Oksana Wolfson, juriste, Département des Normes internationales du Travail, Bureau international du Travail, Genève

Source : Effectif, Volume 9, numéro 2, avril/mai 2006


Oksana Wolfson