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Invalidité : droits du travailleur, obligations de l’employeur

Il est clair que la maladie, l’absentéisme et l’adaptation du milieu de travail constituent actuellement les défis les plus importants qui se posent aux employeurs canadiens.

15 mai 2006
David Law

Il existe de nombreuses raisons à cet état de choses :

  • un employé peut souffrir d’une incapacité susceptible d’affecter de nombreux autres aspects de sa vie, outre sa capacité d’effectuer son travail;
  • la perte de productivité qui en résulte nuit à la performance globale de l’employeur;
  • les coûts associés au recrutement et à la formation de remplaçants peuvent être prohibitifs;
  • il peut être nécessaire, pour répondre aux besoins d’un employé à capacité réduite, de procéder à un transfert, de modifier les tâches, d’acquérir de nouveaux outils de travail ou simplement d’accepter une productivité réduite pour une période prolongée;
  • la plus légère erreur dans la gestion d’un cas peut inciter un employé à se plaindre que l’employeur fait preuve de discrimination et enfreint ainsi la loi sur les droits de la personne ou, à tout le moins, qu’il manque aux obligations relatives à la réintégration énoncées dans la loi sur les accidents du travail;
  • les demandes d’indemnisation, qu’elles soient assumées par un assureur privé ou une commission de la sécurité au travail, constituent un coût important;
  • les maladies professionnelles peuvent donner lieu à des enquêtes sur la santé et la sécurité du travail, ou à tout le moins perturber et démoraliser les autres employés.

Les employeurs ont l’habitude d’adopter une attitude plus dynamique à l’égard de la réintégration des personnes souffrant de blessures occasionnées par le travail (pour réduire les coûts associés à l’indemnisation des travailleurs); de nos jours cependant, de plus en plus de compagnies d’assurances ont aussi recours aux services de « gestionnaires en matière de retour au travail », pour encourager les employés qui souffrent de maladies non liées au travail à réintégrer leur emploi. Les gestionnaires en ressources humaines savent aujourd’hui qu’il est dangereux de ne pas tenir compte d’une demande d’un employé qui veut reprendre le travail, parce que ce dernier dispose d’un atout précieux : il peut accuser l’employeur de ne pas avoir pris les moyens nécessaires pour tenir compte de son handicap, ce qui est contraire à la loi sur les droits de la personne.

Au Canada et aux États-Unis, la loi exige qu’une personne ne subisse pas de perte de possibilités du fait de son invalidité. Mais qu’entend-on par invalidité? Les lois sur les droits de la personne du Canada définissent de façon générale l’invalidité comme la perte d’une fonction physique ou psychologique, ou une incapacité chronique; cependant, cette définition comprend également une dépendance à l’alcool ou à une drogue.

Un employeur ne doit pas faire de discrimination, ou être perçu comme faisant de la discrimination, à l’égard d’une personne souffrant d’un handicap. Une personne qui se voit refuser un travail, un salaire ou des possibilités pour cause d’invalidité serait donc victime de discrimination à moins que l’employeur prouve qu’il a fait des efforts, au point d’en subir un préjudice injustifié, pour adapter le travail afin de répondre aux besoins de cette personne. En pratique, cela signifie que, quelle que soit l’importance ou la source des problèmes de santé de l’employé, tout employeur doit prendre des mesures pour se protéger contre une accusation de discrimination contraire à la loi.

Au Canada et aux États-Unis, les lois sur les droits de la personne précisent qu’un employeur peut refuser d’embaucher une personne en raison d’une invalidité si la personne n’est pas capable, du fait de son handicap, d’accomplir les fonctions essentielles de l’emploi; cependant, il n’est possible de dire qu’une personne est ainsi limitée qu’après avoir tenté d’adapter le travail pour répondre à ses besoins. Les tribunaux ont interprété largement le devoir et la capacité de l’employeur d’adapter le milieu de travail, en particulier depuis la décision de 1999 de la Cour Suprême du Canada dans British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (généralement appelée la « décision Meiorin »). Dans cette cause, et dans de nombreuses autres causes entendues depuis, les tribunaux et les arbitres ont jugé qu’il doit être pratiquement impossible d’adapter adéquatement le milieu de travail pour répondre aux besoins d’un travailleur avant de pouvoir dire que cette personne n’est pas capable d’exécuter les fonctions essentielles de l’emploi.

Cela signifie que la loi exige que les employeurs modifient la façon dont le travail est effectué, y compris les tâches, les outils, l’environnement de travail et les exigences, de façon à permettre à l’employé de produire les résultats attendus du travail. À moins qu’il soit « impossible » d’effectuer ces ajustements, l’employeur doit consacrer les efforts et les sommes nécessaires pour permettre à l’employé de produire ces résultats. Ce qui importe, c’est que les résultats soient atteints, et non pas que les méthodes de travail traditionnelles soient utilisées pour exécuter la tâche.

Le défi de l’adaptation du travail se pose de la même façon pour tous les employeurs, que l’entreprise soit grande ou petite, ouverte ou fermée, prospère ou en difficulté et qu’elle compte ou non un syndicat. Cela signifie que tous les employeurs doivent respecter le devoir d’adaptation et le faire en toute circonstance, que le travailleur souffre d’une maladie professionnelle ou non.

Comment les organisations gèrent-elles ces questions avec cohérence? Elles doivent d’abord adopter certains principes dans la façon d’aborder les cas d’invalidité. Voici certaines des valeurs et objectifs que l’on devrait retrouver dans un énoncé de politique :

  • la haute direction s’engage à faire tous les efforts possibles pour adapter le milieu de travail afin de permettre aux employés d’effectuer un travail productif;
  • il est contraire à la loi de ne pas adapter le travail en fonction des besoins d’un employé souffrant d’un handicap et ce n’est pas quelque chose que l’organisation tolérera;
  • les risques pour la santé des employés ne seront pas tolérés;
  • les absences injustifiées ou une productivité réduite ne seront pas tolérées non plus;
  • plus l’absence d’une personne se prolonge, plus le coût et les conséquences pour l’employé et l’organisation sont sérieux; un retour au travail le plus tôt possible est toujours la meilleure solution, même si la personne demeure considérablement limitée par une blessure ou une maladie;
  • le devoir d’une organisation est de permettre à la personne d’offrir sa contribution et d’être productive;
  • on attend des employés qu’ils utilisent les moyens mis à leur disposition pour offrir leur contribution et être productifs, selon leurs capacités et la possibilité pour l’organisation de tenir compte de leurs besoins;
  • l’adaptation du travail est souvent synonyme de changement : les collègues, les superviseurs et le travailleur lui-même doivent modifier les méthodes de travail pour permettre à la personne souffrant d’invalidité d’offrir sa contribution; personne ne peut se soustraire à cette obligation et tous peuvent en tirer profit;
  • l’employé a des informations précieuses à communiquer au sujet de sa santé pour aider l’employeur à répondre à ses besoins et il doit faire part de ces informations; cependant, l’employé n’est pas toujours la personne la mieux placée pour juger de sa capacité de travailler;
  • les médecins et autres personnes qui examinent ou traitent l’employé ont le devoir de fournir rapidement des renseignements exacts et ils ne doivent pas jouer le rôle de « défenseur de l’employé »;
  • une note qui précise qu’une personne « ne peut travailler » n’est pas une opinion médicale, mais une décision d’un assureur; les médecins ou autres praticiens doivent établir des restrictions en ce qui a trait au travail, mais non pas interdire le travail;
  • l’assureur possède souvent une expertise considérable pour aider au retour au travail, expertise qui doit être mise à contribution;
  • l’organisation doit offrir une aide réelle à chaque personne qui en a besoin, à moins que l’adaptation du travail soit impossible sans mettre en danger la santé et la sécurité des autres travailleurs ou d’autres personnes, ou que les coûts soient prohibitifs au point où le travail lui-même ne serait pas rentable;
  • par conséquent, l’organisation doit consacrer les ressources financières et humaines nécessaires à l’adaptation du milieu de travail, faute de quoi elle manquera à ses obligations;
  • les gestionnaires doivent faire connaître et accepter les principes relatifs au retour au travail et à l’adaptation du travail à toutes les personnes concernées et, en particulier, au superviseur et aux collègues susceptibles d’opposer de la résistance.

L’un des problèmes les plus fondamentaux et les plus sérieux en matière de gestion des cas d’invalidité est la propension des cadres hiérarchiques à ne pas tenir compte des conseils et instructions des gestionnaires en ressources humaines et des conseillers en santé au travail, en particulier en ce qui a trait à l’adaptation du travail. Cette attitude entraîne inévitablement une rupture du processus d’adaptation, elle-même à l’origine de situations où une personne se voit refuser un travail adapté qui aurait permis de résoudre les questions relatives à la demande de règlement et aux droits de la personne. Nous n’insisterons jamais assez sur le fait qu’il est primordial que la haute direction s’engage envers l’adaptation du travail, de façon à ce que les cadres de niveaux inférieurs comprennent qu’il s’agit d’une obligation véritable. Ce message doit être diffusé dans l’ensemble de l’organisation et, dans la mesure du possible, les gestionnaires en ressources humaines doivent être autorisés à donner des conseils en matière d’adaptation du travail aux cadres hiérarchiques.

Les organisations auront ainsi une stratégie uniforme et cohérente pour le traitement de tous les cas d’invalidité. Chaque cas sera évalué, chaque personne sera régulièrement contactée, chacune sera invitée à offrir sa contribution et chacune verra ses besoins pris en compte dans la mesure du possible, de façon à ce qu’elle puisse fournir une contribution productive. Les risques et avantages associés à chaque cas feront l’objet d’une analyse uniforme et logique de la part des personnes qui sont les mieux placées et les mieux formées pour effectuer cette tâche.

En dernier ressort, cette stratégie permettra à l’organisation d’atteindre des buts importants. Elle montrera ainsi sa bonne foi à l’égard de l’adaptation du travail, elle encouragera les employés à retourner au travail, elle favorisera une meilleure santé au travail grâce à une activité productive et elle réduira les coûts associés aux demandes de règlement, au recrutement et à la formation tout en axant ses efforts sur des ressources et un système qui assureront une gestion plus efficiente et judicieuse des cas d’invalidité. Enfin, elle respectera la loi et elle montrera surtout qu’elle respecte les besoins et la dignité des personnes pour lesquelles l’adaptation du milieu de travail est véritablement nécessaire. Cet article a été rédigé pour Effectif. La version originale anglaise, intitulée Human Ressources, Human Risks, est disponible en cliquant ici.

David Law, associé, cabinet d’avocats Emond Harnden LLP, Ottawa
Traduit par Danièle Veillette

Cet article a été rédigé pour Effectif. Voici la version originale anglaise intitulée Human Resources, Human Risks.

Source : Effectif, Volume 9, numéro 2, avril/mai 2006


David Law