La première réaction de certains dirigeants devant le dépôt d’une requête en champ libre peut parfois être empreinte d’un sentiment d’incompréhension, de trahison, de crainte, de colère, de tristesse ou de découragement. Ces sentiments ne sont pas exclusifs au propriétaire, mais touchent également toutes les personnes directement engagées dans ce processus : la famille de ces propriétaires, les cadres de l’entreprise, mais aussi certains salariés mis à l’écart du processus. C’est dans cet environnement que le professionnel chargé du dossier (qu’il soit directeur des ressources humaines, conseiller en relations industrielles ou consultant) devra naviguer pour rassurer tout un chacun, tout en étant aux prises avec ses propres émotions. Avec le dirigeant, il devra, malgré le tumulte, tenter de se pencher sur une stratégie qui permettra à l’entreprise de poursuivre ses activités de façon efficace. Le type de propriétaire ou de direction, le secteur d’activité et le taux de syndicalisation dans celui-ci, le portrait de l’entreprise (services, nombre de salariés, nombre d’établissements, zone géographique), les objectifs de l’entreprise à court et long terme sont des éléments essentiels à considérer dans les décisions concernant les stratégies à appliquer.
Le professionnel devra possiblement mettre en garde le propriétaire à l’égard de certains changements immédiats que ce dernier peut désirer effectuer puisque l’environnement légal est modifié dès le dépôt d’une requête en accréditation. En effet, le Code du travail protège le droit d’association et assure un gel relatif des conditions de travail à compter du moment du dépôt d’une requête en accréditation (art. 59 C.t.). Le professionnel devra donc conseiller l’entreprise sur la légalité des changements envisagés. L’obtention du consentement écrit du vis-à-vis syndical aux modifications des conditions de travail envisagées sera parfois nécessaire.
Advenant le cas où la requête n’est pas présentée en champ libre, le professionnel devra vérifier si les exigences temporelles relativement à la présentation de la requête ont été respectées. Ces délais de présentation d’une requête en accréditation se trouvent à l’article 22 du Code du travail et sont communément appelés « période de maraudage ».
Représenter un employeur lors d’une requête en accréditation requiert énormément de doigté pour le professionnel et présente un défi énorme. Il doit en effet assurer la gestion d’un processus se déroulant à l’interne de l’entreprise, mais où il ne doit pas s’immiscer vu les interdictions prévues au Code du travail (art. 12, 13 et 14). Relativement à la requête en accréditation proprement dite, le mandat donné au professionnel doit être très clair. Malgré les délais restreints dont il dispose, il doit s’assurer de recueillir tous les renseignements pertinents qui lui permettront d’élaborer la meilleure stratégie pour l’entreprise.
Par exemple, le professionnel doit savoir s’il doit s’adresser ou non aux salariés. En cette matière, il doit se laisser guider par sa connaissance de lui-même et avoir un contrôle de soi absolu. L’entreprise doit certes respecter le choix des salariés d’adhérer ou non au syndicat de leur choix et leur faire savoir qu’elle respecte ce droit. Néanmoins, nous croyons que l’entreprise doit également permettre à ceux qui se sentent intimidés ou harcelés, particulièrement si ces situations se produisent alors qu’ils sont au travail, de s’exprimer et les assurer qu’ils seront entendus. Outre l’article 6 du Code du travail qui peut empêcher la tenue d’activités syndicales sur les lieux du travail ou l’article 5 empêchant la sollicitation d’une adhésion d’un salarié à l’association, l’employeur doit, en vertu des nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail concernant le harcèlement psychologique, préserver un milieu de travail sain et exempt de harcèlement pour tous. Il devra parfois, tout dépendant des situations et advenant le cas où deux clans sont en présence ou qu’un processus de vote est en cours, transmettre un message clair : aucune intimidation ne sera tolérée ou admise.
Le professionnel devra vérifier si le libellé de l’unité d’accréditation lui apparaît approprié. Si celui-ci lui semble imprécis, il peut tenter de joindre le représentant syndical identifié dans la requête pour obtenir davantage de précisions et vérifier son ouverture quant à l’intégration de modifications au libellé de l’unité recherchée par l’accréditation. Cela sera particulièrement le cas lorsque l’entreprise compte plusieurs établissements, services ou départements. Advenant le cas où il en vient à la conclusion que la description de l’unité recherchée n’est pas appropriée, il devra l’exprimer par écrit, exprimer les raisons de son désaccord en vertu de l’article 28 c) du Code du travail et identifier l’unité qui lui semblerait appropriée. Les motifs les plus fréquemment évoqués pour contester le libellé recherché seront l’absence de communauté d’intérêts sur le plan des relations du travail entre les salariés, l’absence de préservation de la paix industrielle ou l’écart géographique entre les établissements. Le professionnel devra être bien au fait des décisions rendues en matière d’unité d’accréditation afin d’être en mesure d’étayer son raisonnement, puisqu’une contestation de l’unité recherchée amènera, à moins d’obtenir le consentement du syndicat sur les modifications envisagées, la tenue d’une audition devant la Commission des relations du travail. Il aura alors la tâche ardue de faire la preuve que l’unité suggérée par le requérant n’est pas appropriée.
Parallèlement à cette étude du caractère approprié de l’unité recherchée par le syndicat et pour faciliter l’enquête de l’agent, le professionnel aura à préparer la liste des salariés. À cette fin, il devra, s’il a exprimé son désaccord sur l’unité d’accréditation recherchée, être conséquent et explorer le bassin de l’unité qu’il juge appropriée. Pour dresser la liste, il devra identifier les « non salariés » au sens du Code du travail. Cette identification sera, bien entendu, dans la suite du mandat que le professionnel aura reçu et de la stratégie retenue pour l’entreprise. Ainsi, le professionnel devra notamment voir qui sont les représentants de l’employeur. Cette question est cruciale et peut même toucher la question précédente de l’unité recherchée ou la représentativité du syndicat.
Si le but visé est d’exclure un poste en particulier, il est plus pertinent de contester l’unité d’accréditation recherchée par le syndicat pour proposer une unité excluant certains postes.
Enfin, toujours dans le but de dresser la liste des salariés, le professionnel devra porter une attention particulière à certaines situations : les salariés absents et les motifs au soutien de leur absence au jour du dépôt de la requête, le mouvement de personnel (embauche, démission ou congédiement survenus avant le dépôt de la requête), ainsi que la situation du personnel temporaire ou celle des salariés sur appel (la règle de 7/13 est-elle applicable?). Sur ces questions très pragmatiques, le professionnel devra être bien au fait des tendances jurisprudentielles tout en ne perdant jamais de vue la situation particulière de l’entreprise qu’il représente. Sur la liste des salariés, une entente est toujours possible avec le représentant syndical afin que certaines personnes soient exclues de celle-ci pour des motifs particuliers alors que le poste est maintenu dans l’unité d’accréditation.
L’entreprise dispose de cinq jours (en tenant compte des règles relatives à la computation des délais et plus particulièrement de l’article 151.4 du Code du travail) pour afficher et faire parvenir sa liste de salariés à la Commission des relations du travail et au syndicat requérant. Cette liste étant au cœur du processus mathématique auquel se livrera l’agent d’accréditation dans son enquête est donc cruciale, d’où l’importance de ne jamais faire celle-ci de façon hâtive.
À la suite de la réception du message annonçant la nomination du représentant de l’employeur dans cette requête en accréditation, l’agent d’accréditation nommé au dossier contactera l’employeur dans le but d’effectuer sa visite d’enquête. C’est l’employeur qui aura le choix de la date et de l’heure de cette visite. Ce moment peut être important et pourra teinter le rapport sommaire de vérification de l’agent qui, à son tour, influencera le commissaire s’il y a audition. En effet, advenant le cas où il y a désaccord sur l’unité ou sur les personnes visées, l’agent d’accréditation devra produire un rapport d’enquête.
Dans le cas où plus d’une association de salariés est présente ou si aucune association ne détient une majorité absolue d’adhésions, il y aura vote. Dans cette situation, l’agent tiendra une rencontre préparatoire où différents sujets seront abordés : date, lieu et heures du vote, liste des votants, forme du bulletin, etc.
Comme vous avez pu le constater à la lecture de ces quelques lignes, le professionnel aura une multitude de facteurs à considérer afin de représenter au mieux une entreprise dans le cadre du dépôt d’une requête en accréditation. Il devra éviter de tomber dans certains pièges afin de maintenir intacte sa crédibilité face à l’agent d’accréditation, face au commissaire chargé d’entendre le dossier et face au représentant syndical avec qui il aura peut être à négocier une convention collective et à établir des relations de travail harmonieuses dans l’avenir. Mousser indûment la liste des salariés en y inscrivant le nom de personnes n’ayant plus de lien avec l’entreprise depuis longtemps, tenter d’inclure dans une unité d’accréditation des personnes n’ayant aucune communauté d’intérêts entre elles, remettre au débat des tendances bien établies par la jurisprudence depuis longtemps (par exemple, vouloir exclure d’une unité quelqu’un eu égard uniquement au caractère confidentiel de son travail) sont des pièges à éviter. Le plus grand piège qui guette le professionnel demeure sans nul doute celui dont il se méfie le moins : ses propres émotions. Outre sa connaissance du Code du travail et de l’entreprise, la maîtrise de soi, le calme, la patience et le professionnalisme demeurent les meilleurs atouts du représentant de l’employeur face à la syndicalisation.
Source : VigieRT, numéro 6, mars 2006.