ressources / relations-travail

La préparation du projet syndical

Le document déposé par le syndicat au début de la négociation d'une convention collective est issu d'une longue démarche de préparation. Ce n'est pas juste une liste d'épicerie que l'on allonge sans discernement. Il est le résultat de l'étape la plus longue du processus de négociation.

1 avril 2005
Michel Faucher, CRIA

On a tendance à penser que le travail commence quelques semaines ou tout au plus quelques mois avant l'envoi de l'avis de rencontre prévue par le Code du travail. Ce n'est pas du tout le cas. Le travail de préparation du projet de négociation commence immédiatement après la signature d'une convention collective. Plus précisément, aussitôt que les parties commencent à interpréter les textes qu'ils ont négociés. Selon les mauvaises expériences vécues, on tente de corriger le tir en gardant en note les textes litigieux pour les clarifier le moment venu.

Précisons que la préparation du projet comporte des différences selon que l'on négocie une première convention collective ou un renouvellement de convention collective.

Première convention collective
La préparation d'un projet de première convention collective diffère quelque peu de celle du renouvellement, car on n'a pas les mêmes points de repère. Il n'y a pas de contrat collectif de travail. On prend donc comme prémices les conditions de travail existantes.

Dans certains cas, il peut exister un document regroupant ces conditions de travail. La plupart du temps, ils s'agit d'une énumération des avantages pécuniaires offerts par l'entreprise.

Le grand défi lors de la préparation d'une première convention collective est l'échelle salariale. Souvent, les salaires ont été négociés individuellement. Il y a donc une différence dans la rémunération offerte pour une même tâche. Le syndicat devra donc bâtir une échelle salariale équitable basée sur le principe « à travail égal, salaire égal ». Il devra même aller plus loin en se servant des principes de la Loi sur l'équité salariale pour traiter d'égale façon les classifications équivalentes.

Un autre défi important est la négociation des clauses non salariales qui sont pratiquement inexistantes dans les milieux non syndiqués. Lorsque ce genre de clauses existe, que ce soit sur les règles de promotion ou le mouvement de personnel, il est presque certain que la compétence passe avant l'ancienneté comme facteur déterminant. Le syndicat négociera donc des clauses visant à donner la plus grande place possible à l'ancienneté pour qu'elle devienne le facteur déterminant.

Renouvellement d'une convention collective
Lors de la préparation du projet de renouvellement d'une convention collective, il est évident que le contrat de travail précédent sert de point de repère. C'est même la vie complète de la convention précédente qui sera analysée pour préparer les revendications syndicales.

Les représentants syndicaux auront pris soin de prendre en note tous les problèmes d'interprétation des clauses existantes. Dans ce cas, un moyen utile est d'utiliser les statistiques amassées sur tous les griefs d'interprétation déposés pendant la période du contrat. Bien entendu, ce sont ceux qui ont été rejetés en arbitrage ou abandonnés aux différentes étapes de la procédure de grief faute d'arguments qui seront retenus pour créer le projet syndical.

La collecte d'information sur le terrain
Une autre étape de préparation du projet, utilisée autant lors de la préparation d'une première convention collective que du renouvellement, est la collecte d'information auprès des membres. Il y a deux façons de procéder pour ce faire.

La collecte peut être faite par écrit au moyen d'un document distribué à chacun des membres. Ce document prend souvent la forme d'un guide dans lequel on reprend les clauses de la convention collective en prenant soin de laisser une place pour que la personne puisse indiquer les corrections ou les améliorations souhaitées en regard de chaque article. Dans certains cas, le document comporte des lignes directrices ou des questions sondages pour recueillir l'opinion des membres sur certains sujets qui ont été débattus au sein du bureau syndical. Dans d'autres cas, on demande seulement aux membres d'énumérer leurs revendications sur une feuille blanche.

Ce document est distribué et recueilli par les délégués de département. La plupart du temps, ce travail est effectué au cours du mois qui précède la rencontre du comité de négociation en vue de rédiger le projet.

L'autre moyen de recueillir de l'information est l'assemblée. Certains syndicats locaux organisent des assemblées de groupe, de métier ou de département pour connaître les revendications spécifiques qui peuvent être différentes d'un groupe à l'autre. Par contre, le projet final de convention est adopté par l'assemblée générale, car elle est souveraine.

Le travail du comité de négociation
Par la suite, le comité syndical, élu en assemblée générale avant le début de la phase des négociations, se rencontre pour la rédaction du projet. Le travail de ce comité consiste à faire le tri de toutes les informations recueillies dans le but de rédiger un document qui sera présenté aux membres avant d'être remis à l'employeur.

Le comité analyse donc les notes prises pendant la dernière convention collective, les statistiques de griefs et les documents remplis par chaque membre et rédige des clauses selon les objectifs syndicaux. Dans certains cas, ce n'est que l'idée générale ou le principe d'une revendication qui est apporté à la table de négociation. On évite ainsi un travail de rédaction inutile puisqu'il n'y a aucune certitude que la demande syndicale soit accordée intégralement.

Ce ne sont pas toutes les revendications amassées qui sont retenues. Elles sont choisies selon l'importance que les membres leur accordent dans le document écrit qu'ils ont rempli. On tient alors compte de chaque service, département, métier ou groupe. Un projet syndical n'est pas centré que sur un seul service, département, métier ou groupe, aussi important soit-il. On tente d'améliorer les conditions de travail de tous. Le défi est grand. C'est relativement facile lors de la rédaction du projet, mais ce sera beaucoup moins facile pendant la négociation elle-même.

Priorités, stratégies et rapport de force
C'est pourquoi, lors de la préparation du projet de convention, le travail du comité de négociation ne se résume pas à la rédaction d'un document. Il doit aussi établir des stratégies et dégager des priorités en tenant compte des revendications des membres. Pour chaque priorité, on tente donc de prévoir un minimum acceptable qui pourrait résulter en un règlement.

Les autres facteurs importants dont tiennent compte les membres du comité sont l'état économique du secteur d'activité de l'entreprise et les conventions collectives qui existent chez les concurrents. Cette analyse ne se fait plus seulement localement, à l'échelle du Québec, du Canada ou du continent nord-américain. C'est sur le plan mondial que ces analyses sont faites maintenant, ce qui se faisait très peu il y a une ou deux décennies.

Ce travail de recherche sert autant pour évaluer le rapport de forces que les limites atteignables des revendications syndicales. Le but est d'atteindre les meilleures conditions possibles en ne se mettant pas en situation fragile face à la compétition. La survie des emplois est très présente dans le processus syndical de négociation.

C'est aussi à ce moment que le comité envisage la méthode de négociation qu'il utilisera, soit la négociation basée sur les intérêts, la négociation traditionnelle ou une méthode mixte. Plusieurs syndicats ont recours à une négociation basée sur les intérêts pour les clauses non financières et la négociation traditionnelle pour les clauses pécuniaires. On utilise le terme de négociation mixte dans ce cas. Bien entendu, ce choix se fait en fonction de l'employeur auquel on fait face. La négociation basée sur les intérêts demande l'établissement d'un climat de confiance solide pour porter fruit.

L'assemblée générale est souveraine
Pendant tout le processus de préparation du projet, les membres du comité de négociation ne perdront jamais de vue que c'est l'assemblée générale des membres qui prend les décisions. L'assemblée est souveraine.

Cette assemblée élit les membres du comité de négociation au début du processus. Elle entérine le projet qui sera déposé à l'employeur et décidera, à la fin des négociations, ce qui est acceptable comme résultat.

Par contre, les syndiqués sont conscients que le comité de négociation a besoin d'une marge de manœuvre pour négocier. Les membres laissent au comité la prérogative d'être maître de la stratégie qui ne peut se faire ouvertement sans être connue de l'employeur et devenir totalement inutile.

Voilà donc autant d'étapes franchies par un projet syndical pour la négociation d'une convention collective avant d'être remis à l'employeur. On s'aperçoit que ce n'est pas juste une liste de revendications écrite rapidement sur le coin d'une table et décidée par quelques personnes. C'est un processus réfléchi, analysé et décidé par tous les membres d'un syndicat dans le but d'atteindre les meilleures conditions de travail possible en tenant compte de l'environnement économique de chaque secteur d'activité.

Michel Faucher, CRIA, représentant du Syndicat des Métallos (FTQ)

Source : Effectif, volume 8, numéro 2, avril/mai 2005


Michel Faucher, CRIA