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Arbitre de griefs : une profession à considérer

Dans le domaine des relations du travail, l'arbitre de griefs joue un rôle crucial. C'est en effet lui qui est appelé à trancher lorsqu'un litige survient entre un employeur et le syndicat relativement à l'application et à l'interprétation de la convention collective. Si la profession est exigeante, elle n'en offre pas moins une carrière très intéressante.

10 octobre 2001
Claudine St-Germain

Le Code du travail prévoit que tout grief entre un employeur et un syndicat doit être soumis à l'arbitrage. Un arbitre est alors nommé pour interpréter la convention collective. Contrairement aux autres tribunaux administratifs, les arbitres sont nommés et rémunérés par les parties patronales et syndicales. Le mode de nomination est d'ailleurs souvent négocié dans la convention collective. 

Bien entendu, ne devient pas arbitre qui veut : les parties ont en effet tendance à arrêter leur choix sur les arbitres inscrits sur la liste dressée annuellement par le ministre du Travail. C'est ici que le Conseil consultatif du travail et de la main-d'ouvre entre en jeu. Ayant une mission d'étude, de consultation et d'orientation, cet organisme est composé d'une présidente, de six représentants d'associations syndicales les plus représentatives et de six représentants d'associations patronales les plus représentatives. L'une de ses tâches est de faire des recommandations au ministre du Travail pour dresser la liste des arbitres de griefs. Deux fois par année, le Conseil examine les besoins du milieu et recommande d'ajouter ou non des noms à la liste d'arbitres. S'il décide d'en ajouter, le Conseil évalue les candidatures des personnes intéressées et les soumet au ministre. 

De 1994 à 1999, le nombre d'arbitres sur la liste n'a pas augmenté, mais cela est en train de changer. «Même s' il y a actuellement 101 arbitres de griefs, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait prendre des moyens pour prévoir et assurer de façon progressive la relève et le renouvellement du corps arbitral, explique Louise Doyon, présidente du Conseil consultatif du travail et de la main-d'ouvre. Puisqu'il faut un certain temps aux nouveaux arbitres pour se faire connaître et acquérir une crédibilité, il faut tenter de planifier les besoins à venir dès maintenant.» 

Le Conseil a aussi comme objectif de faire en sorte que la composition du corps arbitral réponde aux besoins du ministère du Travail et des parties, que ce soit des besoins dans un secteur en particulier, dans un domaine (comme l'arbitrage de différends, par exemple) ou dans une région donnée. 

Volonté d'accueillir davantage de femmes 

Le Conseil a également résolu d'assurer de façon progressive une représentation accrue des femmes sur la liste d'arbitres. «C'est une préoccupation majeure, autant pour le Conseil que pour la ministre du Travail», poursuit Louise Doyon. 

En ce moment, sur 101 arbitres inscrits sur la liste, seulement huit sont des femmes. Considérant la proportion de femmes sur le marché du travail, c'est bien peu. «Cette situation peut s'expliquer par certaines réalités contextuelles, croit Louise Doyon. Le droit du travail a été jusqu'à tout récemment (et, à certains égards, l'est encore) un domaine d'intervention où les femmes étaient très peu présentes. De façon générale, sauf dans certains secteurs où elles sont largement majoritaires, il y a eu très peu de femmes représentantes, dirigeantes syndicales, négociatrices, etc. Peut-être perçoivent-elles ce domaine comme conflictuel ou difficile. Et, facteur non négligeable, s'y investir demande beaucoup de temps en dehors des heures de travail, ce que les femmes ne sont pas toujours en mesure de faire.» Enfin, comme dans bien d'autres champs d'activité, la conciliation travail/famille a freiné la carrière de certaines femmes. 

Celles-ci étant moins présentes dans les domaines des relations industrielles et du droit du travail, elles ont eu moins de possibilité d'acquérir l'expérience nécessaire pour devenir arbitres. «Mais je pense que ça change, affirme Louise Doyon. Aujourd'hui, des femmes qui ont de l'expérience et des qualifications, il y en a. Il faut maintenant qu'elles connaissent la profession d'arbitre de griefs et les possibilités que celle-ci offre.» 

Expérience et crédibilité 

Pour devenir arbitre de griefs, il faut d'abord posséder un diplôme universitaire de premier cycle en droit, en relations industrielles ou dans une autre discipline pertinente (par exemple, des études en fiscalité pourraient être utiles pour trancher des questions de régimes de retraite). Il faut également posséder dix années d'expérience pertinente dans le domaine des relations du travail, notamment en matière d'arbitrage, en négociation de conventions collectives ou dans des fonctions d'adjudication. Lorsque le Conseil constate une pénurie d'arbitres pour répondre à des besoins spécifiques, il peut également prendre en considération des candidatures qui pourraient combler cette pénurie. 

Les arbitres doivent également être libres de toute attache à l'égard d'un syndicat ou d'un employeur. «Puisque ce sont des décideurs, ils doivent présenter un profil d'indépendance et d'impartialité», précise Louise Doyon. 

Ensuite, le critère déterminant pour être admis sur la liste des arbitres est de faire l'unanimité au Conseil. Chaque candidature est observée par les parties syndicales et patronales du Conseil. Si elle n'est pas approuvée par les deux parties, elle ne sera pas recommandée à la ministre. «Cette règle a pour but d'assurer la crédibilité de la liste, explique Louise Doyon. Nous devons être en mesure de proposer aux gens des arbitres qui ont reçu l'aval tant de la partie syndicale que de la partie patronale, afin que tous aient confiance en ces personnes susceptibles de trancher leurs litiges.» 

Ce qui fera la différence entre des candidats aux qualifications semblables, c'est leur potentiel d'inspirer la confiance et d'être sollicités pour arbitrer des litiges. C'est pourquoi le Conseil considère en priorité la candidature des personnes qui, en raison d'une solide expérience dans le domaine des relations du travail et d'une crédibilité établie, obtiendront des parties, dans un délai raisonnable, un nombre significatif de mandats. 

Lorsqu'un candidat est retenu, il doit suivre le programme de stages établi par le Conseil. Auprès de tuteurs, il effectuera trois stages au cours desquels il devra assister à une enquête, participer à un délibéré et rédiger un projet de décision arbitrale. Ce n'est qu'après avoir réussi ces stages que le ministre du Travail ajoutera son nom à la liste des arbitres de griefs. 

Le profil des arbitres de griefs 

Les conditions d'exercice d'un arbitre de griefs ne sont pas toujours faciles, parce que le volume de travail (et des revenus) dépend du nombre de décisions qu'il rend. «Ce facteur fait qu'on reçoit des candidatures de gens qui ont des assises financières suffisantes, le temps qu'ils se fassent connaître et reçoivent leurs premiers mandats», souligne Louise Doyon. 

Certains arbitres ont d'ailleurs une deuxième profession, ce qui est permis tant qu'elle n'entre pas en conflit avec leur obligation d'indépendance et d'impartialité. Ainsi, un avocat ne pourrait continuer à pratiquer en droit du travail, mais il pourrait le faire dans un autre domaine. Certains arbitres sont également juges municipaux, d'autres sont professeurs à l'université. 

Enfin, qu'est-ce qui fait un bon arbitre de griefs ? «De l'empathie, du respect, une capacité de compréhension, de la patience, répond Louise Doyon. L'arbitre doit savoir imposer aux parties un mode de fonctionnement efficace et respectueux. Il ne doit pas rechercher le pouvoir. Mais surtout, il doit inspirer la confiance, par ses compétences tant professionnelles qu'humaines.»

L'arbitrage en évolution

Arbitre et médiateur à temps plein depuis 1988, Jean-Pierre Tremblay est président de la Conférence des arbitres du Québec. Selon lui, la profession d'arbitre a bien évolué depuis ses débuts. « Au départ, l'arbitrage était pratiquement artisanal ! Avec le temps, il est devenu une partie intégrante des relations du travail et du mécanisme judiciaire.»

« Le tournant des années 1970 a été déterminant pour le domaine des relations du travail, rappelle-t-il. Les difficultés économiques qu'ont traversées les gouvernements, les instances civiles et les entreprises ont modifié substantiellement les rapports entre les employeurs et employés. Par exemple, on a vu apparaître les conventions collectives de longue durée.» 

Ces nouvelles réalités, selon lui, ont forcé les parties patronale et syndicale à établir de nouveaux canaux de communications, notamment en utilisant davantage les comités de négociation permanente. «Le comportement des deux parties a changé. Elles essaient de s'entendre, de faire face aux problèmes et de les corriger. L'arbitrage est maintenant utilisé comme ultime recours.» 

Pour les arbitres, cela signifie que ce sont seulement des cas lourds qui leur sont présentés. Les litiges sont plus complexes et les audiences, beaucoup plus longues. «Les cas portent souvent sur des enjeux vitaux, dit Jean-Pierre Tremblay. On ne voit plus de griefs pour des questions de vingt minutes de temps supplémentaire. Et on aborde plusieurs sujets qu'on ne voyait pas il y a dix ans, comme les régimes de retraite et les assurances.» La rigidité des procédures est en partie attribuable à ce phénomène, bien qu'il y ait des tentatives du côté des arbitres et des parties pour revenir à des modèles plus souples et moins onéreux. Dans cette optique, le Conseil consultatif du travail et de la main-d'ouvre a mis sur pied une procédure allégée d'arbitrage de griefs (TAPA), afin de tenter de pallier l'accroissement des coûts et des délais constaté au fil des ans. 

«C'est un domaine en perpétuelle évolution, poursuit Jean-Pierre Tremblay. Même si on a déjà traité des dizaines de causes de congédiement, la prochaine sera différente. On apprend sans cesse notre métier, et ça aide à rester humble !» Une qualité précieuse, puisque la profession d'arbitre n'est pas sans défis. L'arbitre affronte des situations conflictuelles, mettant en cause des personnes ayant des sensibilités et intérêts différents. «Il faut être capable jour après jour de répondre aux attentes des parties, tout en sachant que l'une d'elles ne sera jamais contente. C'est pourquoi il est important de s'assurer qu'à la lecture de la décision, même la partie perdante comprendra pourquoi on a tranché ainsi.»


Claudine St-Germain est journaliste pigiste. Elle a notamment écrit pour les hebdomadaires Voir et Ici, et collabore présentement au magazine Coup de Pouce.

 Source : Effectif, volume 3, numéro 3, juin / juillet / août 2000


Claudine St-Germain