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Quelques ingrédients du succès des femmes vice-présidentes d’entreprise

Au Québec et au Canada, davantage de femmes occupent des postes à la direction des entreprises, grandes et petites.

3 juillet 2012
Hélène Lee-Gosselin

Ainsi, l’examen des circulaires d’information aux actionnaires des cent plus grandes entreprises dont le siège social est au Québec révèle que les femmes représentent 8 % des 466 dirigeants les mieux payés; toutefois, seulement cinq entreprises comptent deux femmes parmi les cinq dirigeants les mieux payés (Marie-Claude Morin, « Les femmes sont rares dans l’antichambre du pouvoir au Québec », Les Affaires, 2010).

Au Canada, l’évolution récente de la situation a été documentée par Catalyst et l’image qui se dégage est sensiblement différente selon l’indicateur retenu (voir tableau ci-dessous). Ainsi, parmi les grandes entreprises du Financial Post 500, la proportion de femmes au sein de la haute direction est passée de 12 % à presque 18 % en onze ans, soit un gain moyen de moins de 1 % par deux ans. Au cours de la même période, la proportion de femmes chefs de la direction est passée de 2,4 % à 4,5 %; des progrès ont été suivis de reculs. Finalement, seulement 30 % de ces entreprises ne comptent aucune femme haute dirigeante – mais moins de 20 % d’entre elles comptent 25 % ou plus de femmes dans la haute direction. À ce rythme, il faudra plusieurs générations pour atteindre la parité à la direction des entreprises canadiennes et québécoises.

Évolution des femmes à la haute direction d'entreprises canadiennes
Années Femmes à la haute direction/
nombre de postes de HD
Entreprises
Dirigées par une femme Nombre de femmes
à la haute direction
Aucune 25 % ou +
N % N % % %
2011     23 4,5   19,9
2010 801 / 4527 17,7 28 5,6 30,0 19,7
2008 877 / 5188 16,9 30 6,0 30,0  
2006 830 / 5505 15,1 21 4,2 34,6 20,2
2004 770 / 5347 14,4 20 4,0 38,6 19,0
2002 752 / 5361 14,0 14 2,8 38,4 17,4
1999 690 / 5746 12,0 12 2,4 43,6 13,4
Source : Compilation de l’auteure à partir de Catalyst, 2002, 2004, 2006, 2010, 2012

Alors que certains estiment que des progrès importants ont été réalisés dans l’accès des femmes aux postes décisionnels, d’autres estiment que la réalité est toute autre et que certains obstacles documentés dans le passé, existent encore. Qu’en est-il vraiment?

Afin de mieux comprendre les facteurs qui soutiennent ces changements – et ceux qui les freinent –, nous avons mené une étude retraçant le cheminement professionnel de femmes qui ont gravi les échelons de leur organisation. Les résultats obtenus peuvent guider celles qui aspirent à ces niveaux de même que les entreprises qui souhaitent les soutenir. L’enquête a été réalisée dans trois grandes entreprises de la région de la Capitale-Nationale; au total, cinquante-six personnes, seize hommes vice-présidents et quarante femmes (dont dix vice-présidentes et vingt-cinq cadres intermédiaires) ont participé aux entrevues semi-dirigées. Le cheminement et le profil des vice-présidents permettent de contraster l’expérience des vice-présidentes; ils forment donc notre groupe témoin.

De manière générale, l’analyse laisse voir que les hommes et les femmes qui occupent un poste de vice-président ont des aspirations, des valeurs et un engagement professionnel très semblables. Ce sont des personnes d’exception, particulièrement les femmes. Cependant, leur cheminement vers les sommets, leurs stratégies et leurs défis diffèrent de ceux des hommes.

Des femmes tablent sur la formation supérieure
De nos jours, les entreprises cherchent à recruter du personnel d’encadrement supérieur très qualifié et spécialisé en gestion. Les répondantes ont bien compris le message et se sont préparées en conséquence. Ainsi, sept des dix vice-présidentes rencontrées sont titulaires d’un diplôme de deuxième cycle. Par contre, les hommes vice-présidents ne sont pas autant scolarisés. L’obtention de diplômes s’est révélée une stratégie efficace pour les femmes qui veulent accéder à la haute direction des entreprises. Afin d’y arriver, plusieurs répondantes ont concilié travail, études et famille pour parfaire leur qualification professionnelle afin d’obtenir les postes convoités; d’ailleurs, l’une des entreprises a facilité de tels retours en signant des ententes particulières avec un établissement d’enseignement, pour un programme adapté, et en formant des groupes de co-apprentissage pour mieux intégrer études et travail.

Une détermination hors du commun
Compétence, courage, détermination et persévérance sont des qualités incontournables pour atteindre les postes décisionnels. Mais pour se distinguer et être reconnues dans leur organisation, les répondantes ont travaillé encore plus fort que leurs homologues masculins selon plusieurs femmes et hommes interrogés. Les cadres supérieures sont douées et veulent exploiter tout leur potentiel. Elles sont animées par le désir de relever de nouveaux défis, d’accomplir un travail stimulant, de voir leurs compétences reconnues et d’évoluer dans leur carrière.

Beaucoup de chance!
Mais la chance peut aussi jouer un rôle : la chance d’avoir un patron qui reconnaît le potentiel de sa collaboratrice, qui lui offre des défis supplémentaires, qui la fait valoir auprès de collègues influents et, ce faisant, qui renforce la confiance en soi de cette personne. Or, l’histoire professionnelle des personnes rencontrées suggère que cette chance est plus rare pour les femmes vice-présidentes que pour leurs homologues masculins.

Il y a aussi la chance, pour l’une des répondantes, d’être la première à se faire offrir une promotion au retour d’un congé de maternité, de trouver des stratégies efficaces pour mobiliser son équipe, d’obtenir son appui et de performer collectivement au-delà des attentes du patron. Celui-ci, sans doute inconsciemment, avait assimilé la maternité à un risque de baisse de performance; mais son employée a redoublé d’efforts pour faire mentir ces attentes sociales. Cela décrit bien le défi des femmes qui font face à des attentes très élevées et paradoxales de la part de leur milieu de travail.

Dans cette entreprise, cette « première » est un jalon qui fait en sorte que d’autres femmes commencent à croire qu’il est désormais possible de concilier la maternité et l’accès à des postes d’importance. Des vice-présidents soulignent eux aussi cette première – et en font un symbole du changement culturel en cours... mais sans l’imiter toutefois.

Une grande confiance en elles
On discerne facilement la confiance que les cadres supérieures ont en elles-mêmes. Confiance qui a été forgée et renforcée par les défis qu’elles ont surmontés et les opportunités qu’elles ont saisies. Elles se sont démarquées notamment par leur leadership et leur capacité à mobiliser leurs équipes, ce à quoi elles accordent beaucoup d’importance. Elles ont su imposer leurs idées et influencer les décisions. Elles ont travaillé sur la maîtrise de l’expression de leurs émotions, car elles sont conscientes de l’effet négatif projeté sur leurs collègues masculins. Elles ont aussi manifesté leur confiance aux autres et en l’organisation qui les emploie.

La reconstruction de leur parcours professionnel permet de constater que cette confiance se construit progressivement et qu’elle s’acquiert au fur et à mesure que certains patrons reconnaissent les efforts, les aspirations et les succès. Les entreprises doivent donc s’assurer que les réalisations et les efforts des femmes sont reconnus par les personnes qui les supervisent et sont suivis de nouvelles occasions d’apprendre et de se développer.

Cependant, la confiance en elle-même d’une personne est en partie le reflet de la confiance que les autres lui accordent et certaines cultures organisationnelles entretiennent le doute relativement à la compétence des femmes. Ainsi, plusieurs femmes, dont des vice-présidentes, constatent que la confiance des autres en leur expertise n’est jamais acquise et que, malgré leurs réalisations passées, elles ont régulièrement à démontrer leur compétence et leurs capacités.

Une plus grande capacité de travail que la moyenne
Le travail des cadres dépasse les heures de bureau habituelles, et ce n’est pas toujours évident de concilier vie professionnelle et familiale lorsqu’on occupe un poste de responsabilité exigeant en termes d’échéances et de flexibilité. En plus de leur gestion quotidienne, presque tous les cadres interrogés doivent préparer des dossiers, répondre à leurs courriels ou planifier le lendemain à la maison.

La plupart des femmes interrogées essaient de préserver certaines soirées en famille. Quelques-unes travaillent souvent douze heures sans interruption au bureau, en commençant très tôt le matin pour terminer tard le soir; d’autres suivent le rythme des heures normales de bureau, mais elles reprennent le travail non terminé après le coucher des enfants ou le souper. Dans deux organisations, ces longues heures sont connues. Dans la troisième, elles sont invisibles, tant pour les hommes que pour les femmes vice-présidentes, car une norme sociale soutient que la semaine de travail est de 45 heures et nul ne déclare en faire plus, de crainte de nuire à son image.

Des femmes très organisées
Pour réussir à concilier les exigences professionnelles et familiales, les répondantes ont dû s’organiser sur tous les aspects de leur vie. La grande majorité d’entre elles ont un conjoint et elles ont eu le souci de bâtir une relation où le partage des tâches est équitable. Typiquement, leurs conjoints sont très compréhensifs et soutiennent leur désir de faire carrière; par conséquent, ils les secondent dans le quotidien en partageant les tâches. Toutefois, en général, elles conservent la charge invisible de la planification, de l’organisation et de la vigie de la logistique familiale, alors que le conjoint et d’autres membres de la famille élargie contribuent à l’exécution des tâches. Exceptionnellement, le conjoint d’une vice-présidente assume la responsabilité des tâches traditionnellement attribuées aux femmes – il s’agit alors d’une inversion des rôles traditionnels dans le couple.

Pour les enfants, ces femmes ont bien sûr utilisé les services de garderie, mais elles ont aussi trouvé d’autres ressources lors des congés scolaires ou des aléas de la vie. Dans ces cas, elles ont fait appel à leur réseau social comme leurs parents ou des membres de leur entourage pour des services de gardiennage. Quelques-unes ont même pensé à héberger à peu de frais des gens de confiance pouvant prendre la relève auprès des enfants en cas de retard ou d’urgence au bureau. D’autres ont fait le choix d’habiter près de leur milieu de travail pour maximiser leur temps de présence auprès de leur famille.

La plupart des répondantes ont délégué les services d’entretien ménager (et extérieur) ou de préparation de repas à des tierces personnes ou à des firmes spécialisées. Certaines qui ne l’ont pas fait disent le regretter, reconnaissant le poids supplémentaire de ces charges dans leur vie.

Ces différentes stratégies ont permis aux répondantes de conserver un équilibre important en n’ayant à se préoccuper que des choses essentielles à leurs yeux et en déléguant le reste à des personnes dignes de confiance.

L’art de savoir se créer des réseaux d’influence
Les personnes de carrière considèrent le réseau comme un levier significatif pour l’avancement de leur vie professionnelle. Les hommes l’utilisent pour obtenir des nominations. Par contre, les femmes s’en servent plutôt pour bien réussir dans certains dossiers, obtenir des renseignements clés et non publics sur des postes à pourvoir et auxquels on leur a conseillé de postuler. D’autres ont développé leur réseau pour exercer une certaine influence au sein de leur organisation, et mieux soutenir leur patron.

Pour qu’un réseau fonctionne, il faut que les gens aient l’occasion d’y interagir et de l’entretenir. Certaines entreprises comptent sur les activités sociales comme le lunch, les sorties de fin de journée ou de fin de semaine pour activer ces réseaux. De telles pratiques ne prennent pas en compte les obligations personnelles différenciées des femmes. Par contre, les entreprises qui créent des projets spéciaux auxquels les gestionnaires et des personnes de diverses unités collaborent fournissent aux femmes des occasions de créer et de nourrir des liens diversifiés tout en travaillant.

La sagesse de se laisser guider
Il est très difficile d’avancer seule au sein d’une organisation sans se faire guider. Il y a tant d’informations à décoder et de choses nouvelles à apprendre, de crises à résoudre, de pièges à éviter. Cela est d’autant plus vrai pour les femmes qui visent des postes de haute direction, puisqu’il s’agit d’un univers masculin qu’elles doivent apprendre à décrypter.

Aujourd’hui, quelques entreprises offrent des programmes formels de mentorat ou d’accompagnement en gestion pour s’assurer que les personnes prometteuses se développent, mais il arrive encore bien souvent que ces programmes ne soient pas accessibles ou encore qu’ils soient très courts, trop courts.

Comme le mentorat et l’accompagnement en gestion semblent être une composante incontournable de la performance et de l’avancement professionnel, les femmes qui ont réussi à s’élever aux échelons supérieurs ont su trouver des personnes qui leur ont permis d’acquérir les connaissances ou les habiletés nécessaires afin de bien réussir et de postuler des postes plus élevés. Dans bien des cas, elles ont recherché de telles relations et en ont trouvé; elles attribuent cela autant à leur initiative qu’à la chance et à leur persévérance. Elles ont aussi su diversifier leurs sources d’appui et d’information.

La mise en place d’un programme formel de mentorat et de coaching assure un meilleur accès des femmes de talent à des hauts dirigeants qui sont des mentors plus influents.

Un sens stratégique
Parmi les facteurs facilitant l’accès aux postes de gestion, la majorité des cadres qui occupent un poste de niveau supérieur ont indiqué la nécessité de faire preuve de leadership et l’importance de développer ses habiletés politiques.

Les femmes doivent apprendre à « lire » l’organisation, à repérer les enjeux et les acteurs importants de même que les réseaux informels par lesquels l’information, les faveurs et le soutien circulent. Il en va de leur performance et de leur efficacité, des conditions essentielles pour la promotion des femmes aux postes clés.

Conclusion
Les femmes qui atteignent les postes du plus haut niveau sont des êtres exceptionnels par leurs attributs, leurs efforts, leur résilience, et parfois même par leur chance, notamment celle de trouver du soutien et des mentors influents. Elles sont aussi des personnes normales qui ont une vie en dehors du travail. L’image de la « gestionnaire mariée à son travail » est un stéréotype qui ne correspond pas à la réalité des femmes rencontrées pendant cette enquête.

Par ailleurs, les femmes aspirant aux postes de haute direction n’ont pas toutes eu la chance d’avoir un milieu soutenant, et il est aisé de voir à quel point celui-ci a joué un rôle déterminant dans leur succès.

Il faut prendre conscience de l’ampleur de ce défi, et les entreprises doivent s’adapter. Ainsi, pour développer les talents des femmes, elles peuvent diversifier leurs stratégies pour reconnaître leurs aptitudes particulières, leur offrir du soutien, comme s’assurer qu’elles reçoivent la rétroaction appropriée dont elles ont besoin pour réussir, offrir des programmes de développement professionnel et de mentorat, des occasions de réseautage qui tiennent compte de leurs préférences et contraintes ainsi que du soutien personnel.

Toutefois, bien que les mentalités aient fortement évolué au cours des trente dernières années et que, en principe, beaucoup s’entendent sur l’importance de la mixité dans les équipes de gestionnaires, les femmes n’occupent toujours pas la place qui leur revient à la haute direction des organisations. Et malgré les efforts considérables qui ont été consentis, les résultats semblent stagner. Tant que les personnes à la tête d’une organisation présumeront que les femmes portent la responsabilité du changement, la proportion des femmes qui occupent un poste décisionnel ne progressera que très lentement et les entreprises ne profiteront pas des avantages liés à la mixité.

Il est temps maintenant de demander aux organisations de créer des milieux vraiment favorables à l’accession des femmes aux postes décisionnels. L’équité ne pourra être atteinte que lorsque les femmes qui occuperont les postes de haute direction n’auront pas à être plus exceptionnelles, dans leurs compétences et leurs réalisations, que les hommes qui occupent les postes du même niveau. Les entreprises peuvent donc jouer un rôle déterminant dans l’accélération de la progression des femmes vers des postes de haute direction; elles l’ont fait pour les postes de cadres inférieurs et intermédiaires; d’autres mesures sont maintenant nécessaires pour briser le plafond de verre.
 

Caractéristiques des cadres supérieures

  • Des études avancées
  • Un parcours scolaire discontinu
  • Une expérience acquise dans la diversité
  • Un âge légèrement supérieur à celui des hommes pour l’obtention des postes clés
  • Un leadership teinté de confiance
  • Une capacité et un sens de l’organisation hors du commun pour la conciliation travail/famille
  • Une grande aptitude à tisser des relations de confiance
  • Un parcours éclairé par le mentorat
  • L’humour au travail

Principaux obstacles rencontrés

  • Multiples charges et responsabilités
  • Difficultés liées à la crédibilité des femmes
  • Culture organisationnelle encore très masculine
  • Absence des femmes dans les réseaux informels
  • Accès limité au mentorat ou à l’accompagnement en gestion

Hélène Lee-Gosselin, titulaire, Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés, Université Laval

Source : Effectif, volume 15, numéro 3, juin/juillet/août 2012.


Hélène Lee-Gosselin