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Place aux cheveux blancs en entreprise

Avec la pénurie de la main-d’œuvre, de plus en plus d’entreprises se tournent vers les personnes d’expérience. Mais pour attirer et conserver les baby-boomers, il faut se montrer flexible et être à l’écoute de leurs besoins. Une stratégie bénéfique, pas seulement pour nouveaux retraités, mais aussi pour la génération Y!

6 juillet 2011
Anne-Marie Tremblay

« Quand il s’agit de recruter des baby-boomers, le maître mot est la flexibilité. Ils veulent pouvoir travailler selon un horaire qui leur convient pour pouvoir s’occuper de leurs petits-enfants pendant les journées pédagogiques, par exemple », déclare Adèle Girard, directrice générale du Conseil québécois des ressources humaines en tourisme.

Le secteur touristique, très saisonnier, constitue donc un milieu de choix pour les travailleurs plus âgés en quête de nouveaux défis. «Pour ceux qui ne cherchent pas nécessairement à gagner leur vie, mais plutôt à avoir du plaisir au travail, cela peut être une option intéressante », ajoute la directrice.

Donc, peu importe dans quelle industrie ils se trouvent, les employeurs ont tout intérêt à se montrer plus souples et à trouver des formules qui conviennent aux travailleurs expérimentés, ajoute Jean-Yves Gendron, CRHA, conseiller en emploi et responsable du programme Initiatives ciblées pour travailleurs âgés de 55 ans et plus à l’Orienthèque.

Les Glissades des Pays d’en Haut, un centre de glissade sur tubes situé dans les Laurentides, l’a bien compris. Au tournant des années 2000, l’entreprise a pris un virage à 180 degrés dans la gestion des ressources humaines. «À l’époque, nous devions composer avec un taux de roulement qui tournait autour de 70 % », se rappelle le copropriétaire, Nicolas Raymond.

L’entreprise familiale a ouvert la porte aux personnes d’expérience en leur offrant des horaires taillés sur mesure. « Parfois, cela nous prend deux personnes pour faire le travail d’une seule, indique Nicolas Raymond. Mais c’est à nous de nous adapter à leur réalité, et non le contraire. » Ce qui constitue parfois tout un casse-tête pour l’entreprise qui compte autour de quatre-vingts employés, dont une trentaine de cinquante ans et plus. « Il est certain que faire concorder les horaires de tout le monde est un exercice parfois complexe qui demande du temps, mais cela en vaut la peine. Pour nous, le bonheur au travail est une priorité », ajoute-t-il. Une philosophie qui fonctionne, puisque le taux de rétention des employés occupant des emplois saisonniers dépasse les 80 %.

Des mesures bénéfiques pour tous!
Les horaires flexibles ne sont pas réservés aux baby-boomers, mais peuvent faire le bonheur de tous les employés. C’est d’ailleurs l’une des clés du succès, estime Tania Saba, CRHA, vice-doyenne à la Faculté des arts et des sciences et professeure titulaire en relations industrielles à l’Université de Montréal. « L’équité, c’est la base même d’une bonne gestion des ressources humaines. S’il faut segmenter pour comprendre, on réalise vite que la flexibilité, par exemple, est recherchée par les jeunes parents comme par les travailleurs qui choisissent de retourner sur le marché du travail après leur retraite. »

Car pour conserver ses employés, le climat de travail vaut son pesant d’or! D’ailleurs, les Glissades des Pays d’en Haut se sont attaquées de front à cette question, affirme Nicolas Raymond. «Nous offrons des emplois non spécialisés, saisonniers, en période hivernale. Il a donc fallu trouver des moyens d’améliorer les conditions de travail de nos employés malgré cela », dit-il.

L’entreprise offre donc des postes de travail chauffés, des manteaux d’hiver de haute qualité, des primes, des activités et des rabais sur les repas pris à la cafétéria. «Et nous accompagnons ceux qui désirent travailler toute l’année dans leur démarche pour trouver un boulot complémentaire. Nous avons d’ailleurs établi des partenariats avec d’autres entreprises saisonnières de la région, qui fonctionnent l’été, comme des terrains de golf, des centres de jardin, etc. » Et bien entendu, les jeunes comme les moins jeunes bénéficient d’horaires flexibles.

Voir les choses autrement
«Les entreprises ont parfois l’impression qu’embaucher une personne d’expérience, c’est une dépense, alors que c’est plutôt un investissement », soutient Jean-Yves Gendron. En effet, comme ils ont une solide expérience, ces recrues n’ont pas besoin d’une longue formation pour atteindre leurs objectifs. « Ces employés peuvent également jouer un rôle de consultant dans des dossiers pointus ou favoriser le transfert des savoirs entre les générations, comme coachs ou formateurs. Ce qui, à terme, permet aux employeurs d’économiser. »

Pour cela, il faut accepter de créer des rôles sur mesure pour les travailleurs plus âgés. C’est le cas notamment, au CSSS de Memphrémagog qui a lancé une grande offensive de séduction auprès des retraités de sa région en 2009. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux ont choisi de travailler à temps partiel ou à temps plein dans ses rangs. « Beaucoup de retraités quittent les grands centres pour s’établir en Estrie. Nous pouvons donc compter sur un bon bassin de baby-boomers intéressés à continuer une vie active », explique Julie Dechenault, directrice des ressources humaines.

Le CSSS ne conçoit pas tout à fait le rôle des recrues d’expérience de la même façon que celui des jeunes diplômés. « Nous savons qu’ils sont prêts à nous donner trois ou quatre ans. Mais ces gens nous apportent une expérience nouvelle, des façons de voir les choses différemment qui sont bénéfiques pour l’organisation. » Par exemple, le CSSS a accueilli une gestionnaire à temps partiel. « Elle avait pour mandat, dès son arrivée en poste, de faire du dépistage pour dénicher une relève. Depuis, avant son départ, elle s’occupe d’accompagner son remplaçant. »

Prolonger la vie active de ses troupes
La flexibilité est également de mise pour conserver ses employés, indique Tania Saba. « Quand on y regarde de près, il existe de grandes différences individuelles parmi les employés de cinquante ans et plus. Il faut donc conserver le maximum de choix pour les gens qui sont prêts de prendre leur retraite et, surtout, ne pas tenter de les conserver à tout prix. » Car, pour que cela fonctionne, il faut que les travailleurs soient motivés à rester au boulot.

Un point de vue partagé par Lyne Rémillard, directrice adjointe de la Fédération de l’Âge d’Or du Québec. « Il faut mettre en place des mesures incitatives et non restrictives pour faciliter le prolongement de la vie active pour ceux qui le désirent. Il n’y a pas de modèle unique; cela dépend de chaque situation. » En effet, dans certains domaines d’emploi plus exigeants physiquement, les pratiques sont différentes de celles qui sont appliquées aux emplois de bureau. Madame Rémillard cite en exemple les employés de la Poste, en France. « Pour conserver leur main-d’œuvre d’expérience, ils leur ont notamment fourni des vélos électriques. »

D’autres entreprises, comme le groupe industriel français spécialisé dans les métiers de l’énergie Aréva, ont plutôt choisi d’instaurer un entretien de fin de carrière, expose Lyne Rémillard. « L’entreprise dresse le bilan des compétences des personnes de cinquante ans et plus. Celles qui le désirent peuvent ensuite travailler de pair avec les ressources humaines pour réorienter leur carrière. » Une pratique inspirante!

Plus près de chez nous, le CSSS de Memphrémagog a sondé ses employés pour comprendre ce qui les inciterait à prolonger leur vie active. « Nous avons réalisé que plusieurs employés à l’aube de la retraite avaient envie de diminuer leur temps de travail, mais n’avaient pas nécessairement les moyens de subir une diminution de salaire », précise Julie Dechenault. Depuis 2010, un projet pilote concernant l’aménagement du temps de travail a été mis sur pied, en collaboration avec les syndicats et les représentants des employés. Ceux qui le désirent peuvent combiner tous leurs congés pour s’offrir des semaines de quatre jours, sans perte de salaire.

D’autres travailleurs peuvent également être libérés quelques heures par mois pour encadrer les nouveaux employés, ayant moins de trois ans d’expérience. Et dans les prochaines années, des mesures pour diminuer la lourdeur du travail de certains employés seront mises en place. « Cela touche surtout les employés, comme les préposés aux bénéficiaires, qui se rendent au domicile des patients. Ils n’ont pas tous les outils pour travailler, comme à l’hôpital, pour soulever les patients par exemple », explique la directrice. Mais pour le moment, l’heure est encore à l’étude des moyens à mettre en place, de concert avec le comité de santé et de sécurité.

Réussir la cohabitation entre les générations
Les entreprises auront à faire face à un nouveau défi au cours de la prochaine décennie : celle de la mixité générationnelle. Pour le relever, il faut que le rôle de chacun soit bien défini. « C’est important que les gestionnaires communiquent avec leurs employés pour clarifier les attentes. Car l’objectif, c’est une collaboration entre les employés qui permet de faire ressortir les forces de chacun », indique Adèle Girard.

Elle mentionne un projet pilote mis sur pied dans les centres d’information touristique des Cantons-de-l’Est. « D’un côté, nous avions des personnes plus âgées qui connaissaient la région sur le bout de leurs doigts en plus d’être excellentes en service à la clientèle. De l’autre, nous avions des jeunes qui ont pris le temps de leur montrer comment utiliser Internet et la technologie dans le cadre de leur travail. »

À l’Orienthèque aussi, la diversité générationnelle constitue un atout de taille. «Quand un nouvel employé arrive en poste, il est évalué par un comité composé de gens de différentes tranches d’âge. Cette mixité nous permet de partager nos points de vue, d’avoir une évaluation à 360 degrés très intéressante. La mise en commun de nos opinions nous permet de trouver des solutions pour améliorer les compétences de la recrue », indique Christine Latour, directrice générale.

Même son de cloche aux Glissades des Pays d’en Haut. « Les employés d’expérience sont motivés. Quand ils arrivent le matin, ils transmettent leur enthousiasme aux plus jeunes. De plus, ils ont un tact et une diplomatie sans pareil. Ils servent donc de modèle aux plus jeunes dans leurs contacts avec les clients », assure Nicolas Raymond.

Mais attention, souligne Adèle Girard : pour que la recette fonctionne, il faut que tous les ingrédients soient mesurés. « Les entreprises ont tout intérêt à évaluer leurs besoins et à cerner dans quelle situation les travailleurs d’expérience peuvent devenir une valeur ajoutée. Il faut arriver à une complémentarité des ressources, à un équilibre entre les jeunes et les travailleurs d’expérience. Sans quoi cela ne fonctionnera pas. » Aux ressources humaines de jouer!

Anne-Marie Tremblay, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 14, numéro 3, juin/juillet/août 2011.


Anne-Marie Tremblay