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Le télétravail: enjeux et sources de succès

Nous proposons dans cet article d’expert un tour d’horizon sur l’état de connaissance sur le sujet du télétravail. Les principaux déterminants pouvant possiblement être associés au succès ou à l’échec de cette modalité d’organisation du travail y sont présentés.
27 octobre 2020
Diane-Gabrielle Tremblay, CRHA, Distinction Fellow

Préambule

Plébiscité aussi bien par les employeurs que les employés, la thématique du télétravail est désormais sur toutes les lèvres et au cœur de l'actualité sur le travail. Afin d’aider les entreprises et les gestionnaires dans leur démarche d’appropriation et d’opérationnalisation de cette nouvelle forme d’emploi, nous avons pensé judicieux de proposer dans cet article d’expert un tour d’horizon de la connaissance à ce sujet. Les principaux déterminants pouvant possiblement être associés au succès ou à l’échec de cette forme du travail y sont présentés.

Depuis la pandémie, le télétravail a beaucoup progressé au Québec. Alors qu’on y voyait surtout la possibilité de réduire la consommation de pétrole et la pollution associées aux déplacements, de même qu’une meilleure qualité de vie et organisation du travail (Tremblay, 2013, 2002), ou meilleure conciliation emploi-famille (Tremblay, 2019), c’est devenu l’une des mesures pour éviter la COVID.

Les taux de télétravail oscillaient autour de 10 à 15 % avant la COVID; ils sont passés à autour de 40 % en quelques semaines dans plusieurs pays, et sont redescendus quelque peu à l’automne 2020, aux environs de 30 % au Canada. Une enquête menée au Québec (Réseau pour un Québec Famille, 2020) indiquait même un taux de 48 % de télétravail en mai 2020, et les taux de satisfaction étaient très élevés, soit 79 % (enquête Léger, 2020). D’autres recherches ont aussi révélé que la majorité des télétravailleurs souhaitaient continuer à faire du télétravail, certains préférant un ou deux jours par semaine, d’autres trois et plus, mais tous étant favorables à cette pratique (Tremblay, 2020, Tremblay et al., 2020). Puisque cela semble la meilleure manière de se protéger de la COVID, le télétravail se maintiendra dans plusieurs organisations. Toutefois, on voit apparaître des formules hybrides, alliant télétravail et présence occasionnelle au bureau.

Avantages du télétravail

Même en temps de pandémie, la plupart des télétravailleurs ont conclu que le télétravail a permis une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle ou familiale, bien que la présence d’enfants ait rendu la pratique plus difficile, surtout pour les mères. Tous reconnaissent les avantages de la réduction du temps et des frais de déplacement, la réduction du travail dans un bureau, la possibilité de mieux se concentrer et d’être moins dérangé, ce qui favorise un travail de plus grande qualité. 

Certaines recherches passées avaient conclu que le télétravail pouvait engendrer un conflit entre les responsabilités professionnelles et familiales ou personnelles, en raison du fait que les membres de la famille peuvent interrompre le travail. Par contre, d’autres études révèlent que cette situation ne perdure pas dans le temps (Tremblay, 2013, 2003, CEFRIO 2001). D’ailleurs, les gens estiment que les avantages du télétravail compensent largement les inconvénients, de sorte qu’on peut penser qu’il se maintiendra. À cet égard, deux sondages menés au Québec indiquent que 70 % des personnes en télétravail sont satisfaites et que 50 % souhaiteraient continuer cette pratique.

Les recherches passées faisaient état d’une amélioration de la productivité et nos enquêtes menées en 2020 ont confirmé que la plupart des télétravailleurs se jugeaient au moins aussi productifs qu’au bureau, parfois davantage. Les employeurs ont aussi constaté que la productivité se maintenant, certains s’étant montrés compréhensifs dans le contexte de pandémie, mais la plupart (les trois quarts) ayant maintenu les exigences à l’égard du travail.

Inconvénients possibles

Par contre, l’absence de collègues vient toujours au premier rang des inconvénients, surtout pour les personnes qui sont à temps plein à domicile (CEFRIO, 2001, Tremblay, 2001, 2001a), mais aussi pour les personnes qui aiment la dynamique d’équipe et le travail collaboratif. Certains pensent aussi que l’isolement et le débordement du travail sur les temps personnels sont des inconvénients et le risque d’isolement était accru avec le confinement. Le fait de travailler trop ou davantage ne semble pas poser un problème majeur, bien qu’il apparaisse dans certaines études sur le télétravail et a été mentionné parfois aussi dans le contexte de pandémie. 

Aussi, certains télétravailleurs déclarent avoir plus de difficulté à se motiver ou se discipliner à domicile, tandis que d’autres font état de conflits entre le travail et la famille, ce qui nuit à leur concentration. Nos recherches ont permis d’observer de tels problèmes liés à la difficulté d’établir des frontières entre le travail, la famille, les loisirs, et ce, sur les plans temporel et spatial. Cependant, nos études indiquent que la plupart des personnes s’adaptent assez rapidement à de nouveaux repères et arrivent à cloisonner leurs activités, si souhaité. Certaines études notent la difficulté à se concentrer dans le contexte du domicile. Pourtant, la plupart des recherches réalisées indiquent que si l’on tient compte des interruptions au bureau (pause-café, collègues qui viennent bavarder, etc.), le contexte du domicile est souvent plus propice à la concentration et à une meilleure qualité et productivité du travail (CEFRIO, 2001, Tremblay, 2020, 2013, 2002). Le contexte actuel de stress associé au coronavirus peut toutefois se traduire par une plus grande difficulté à se concentrer et une productivité moindre, mais cela semble plutôt rare.

Bref, bien que le télétravail ait été introduit en contexte de crise, bon nombre d’organisations fonctionnaient déjà avec une certaine quantité de télétravail et les autres s’y sont mises rapidement et ont plutôt bien réussi à maintenir leurs activités. Statistique Canada indique que 40 % des emplois peuvent se réaliser depuis le domicile et un fort pourcentage de salariés aiment ce mode de fonctionnement, malgré leur désir de revoir leurs collègues de travail et une préférence pour le télétravail à temps partiel (deux à trois jours).

Rappelons enfin un avantage sociétal indéniable du télétravail, à savoir la réduction des déplacements, de la pollution et des bouchons de circulation autour des villes. Il faut par contre s’interroger sur l’arbitrage entre les effets positifs de la réduction de la pollution et des besoins en infrastructures comme les routes et les transports collectifs et les effets négatifs associés à l’accroissement des besoins en infrastructures numériques et la hausse des gaz à effet de serre associés à ce qu’on appelle la « pollution numérique »[1].

Applications pratiques

Qualités d’un bon gestionnaire à distance

 (CEFRIO, 2001, Tremblay, 2001, 2013)

  • Style de gestion basé sur les résultats, l’encadrement plutôt que le contrôle
  • Aptitude à fixer des objectifs précis
  • Attitude positive face au télétravail
  • Confiance en ses employés
  • Capacité à motiver son équipe à distance
  • Aptitude à donner de la rétroaction
  • Encouragement de l’autonomie
  • Flexibilité, capacité d’adaptation
  • Habiletés de communication
  • Connaissance des technologies et systèmes d’échange en ligne

Conseils pour les employés en télétravail

(CEFRIO, 2001, Tremblay, 2001, 2013, 2020)

  • Autonomie, esprit d’initiative
  • Bonne connaissance du travail
  • Sens de l’organisation
  • Compétences technologiques
  • Aptitude à la communication, à faire les suivis
  • Discipline et motivation personnelle
  • Minimum de supervision requise
  • Flexibilité, capacité d’adaptation
  • Besoin réduit de contacts sociaux en personne

Pour aller plus loin : quelques suggestions de lecture et visionnements

Site web sur le télétravail : teletravail.teluq.ca

Ouvrages et articles :

  • CEFRIO (2001). Le télétravail. Montréal : IQ éditeur.
  • Krauss, G. et D.-G. Tremblay, dirs. (2019). Tiers-lieux – travailler et entreprendre sur les territoires : Espaces de coworking, fab labs, hack labs. Rennes-Québec : Presses universitaires de Rennes et Presses universitaires du Québec. https://www.puq.ca/catalogue/livres/tiers-lieux-3590.html.
  • Scaillerez, Arnaud, et Diane-Gabrielle Tremblay (2016). Le télétravail, comme nouveau mode de régulation de la flexibilisation et de l’organisation du travail : analyse et impact du cadre légal européen et nord-américain. Revue des organisations responsables. Vol. 11 no 1. Pp. 21-31.
  • Taskin, Laurent et Diane-Gabrielle Tremblay (2010). Comment gérer les télétravailleurs? Revue Gestion. Numéro spécial sur le télétravail. Vol. 35, no 1. Pp. 88-96.
  • Tremblay, D.-G. (2001), Télétravail : concilier performance et qualité de vie. Rapport de recherche CEFRIO. 84 p.
  • Tremblay, D.-G. (2002). Balancing Work and Family with Telework? Organizational Issues and Challenges for Women and Managers. In Women in Management. Manchester : MCB Press. Volume 17 issue 3/4. Pp157-170.
  • Tremblay, Diane-Gabrielle (2003). Telework: A New Mode of Gendered Segmentation? Results from a study in Canada. Canadian Journal of Communication. Vol. 28, no 4. Pp.461-478.
  • Tremblay, D.-G. (2003a), Le télétravail; ses impacts sur l’organisation du travail des femmes et la conciliation emploi-famille. Note de recherche de la Chaire du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir No 2003-10. À consulter sur : http://www.teluq.uquebec.ca/chaireecosavoir/.
  • Tremblay, D.-G. (2006). Le télétravail. Encyclopédie Vuibert de l’informatique. Paris : Vuibert.
  • Tremblay, Diane-Gabrielle (2013). TeleWork.  Dans Smith, Vicki (dir.), Sociology of Work : An Encyclopedia (p.871-872).  Thousand Oaks, California : SAGE Reference.
  • Tremblay, D.-G.  (2019), Conciliation emploi-famille et temps sociaux, Québec : Presses de l’Université du Québec. https://www.puq.ca/catalogue/livres/conciliation-emploi-famille-temps-sociaux-edition-3630.html.
  • Tremblay, Diane-Gabrielle (2020) Le télétravail et le coworking : Enjeux socioterritoriaux dans la foulée de la COVID-19. Organisation et Territoire. Vol. 29, no 2, juin 2020. Pp. 159-162. http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1167/997.
  • Tremblay, Diane-Gabrielle et Sophie Mathieu (2020a) Concilier emploi et famille en temps de pandémie : les résultats d’une recherche au Québec. À paraître dans la revue Politiques sociales, no 3-2020.

Vidéos et balados :

  • Conférence de Diane-Gabrielle Tremblay, professeure, Université TÉLUQ :

Le télétravail : Enjeux et défis, et comment en assurer le succès

Conférence présentée en ligne, pour Accès transports viables

https://youtu.be/xWputmmM3EY

À propos de l'auteure

Diane-Gabrielle Tremblay, CRHA, est professeure à l’Université TÉLUQ et responsable du baccalauréat et du programme court de 2e cycle en GRH. Elle mène des recherches et conseille des organisations sur le télétravail depuis une vingtaine d’années. Elle réalise aussi des recherches et publications sur la conciliation entre vie professionnelle, personnelle et familiale. On peut la joindre par courriel [dgtrembl@teluq.ca] ou par téléphone [514-843-2015 p. 2878].


Author
Diane-Gabrielle Tremblay, CRHA, Distinction Fellow Professeure, directrice de l'ARUC sur la gestion des âges et des temps sociaux, et titulaire de Chaire de recherche du Canada Téluq, Université du Québec

Source :
  1. Selon un rapport diffusé par TV5, « la pollution numérique consomme 10 % de l'électricité mondiale ». ‘Ce n'est pas seulement l'utilisation des équipements qui pollue, mais toutes les étapes du cycle de vie des objets numériques.’ https://information.tv5monde.com/info/pollution-numerique-comment-reduire-ses-effets-au-quotidien-279020 (page consultée le 12 mai 2020)