Que ce soit au sein d’une multinationale ou d’une PME, trois éléments sont essentiels pour mettre en place un système d’innovation : définir une stratégie claire d’innovation, concevoir un plan flexible pour la soutenir et, indispensable à l’éclosion d’une réelle culture d’innovation, véhiculer une volonté de prendre des risques à tous les niveaux de l’organisation.
Et plus que jamais, en tant que gardiens de la culture et des valeurs, les leaders RH ont un rôle capital à jouer.
Définir une stratégie claire d’innovation
Étape 1 – Apprentissage
On doit d’abord explorer le concept d’innovation et se poser les bonnes questions afin de préparer le terrain. Qu’est ce qui distingue la créativité de l’innovation? Quelle est notre définition de l’innovation au sein de l’organisation? Voulons-nous encourager l’innovation radicale ou incrémentale? Quels indicateurs de mesure faut-il mettre en place? Quels outils d’idéation adopter pour nos séances de créativité (carte cognitive, remue-méninges)? Sur quelles démarches (Lean, Six Sigma, Kaisen, qualité totale) appuyer les différentes phases d’un processus d’innovation?
Étape 2 – Réceptivité
Il faut ensuite mesurer la capacité des employés à accepter et à mettre en œuvre une stratégie d’innovation. Une étude portant sur l’état de préparation s’impose afin de comprendre les leviers et les résistances à l’innovation. Souvent, les entreprises disent vouloir innover, mais se rétractent lorsqu’elles entrevoient les impacts concrets sur la culture et l’organisation. On doit évaluer la perception de la haute direction et des employés en concevant un questionnaire structuré autour de trois grands axes : les individus (évaluation du style de gestion et de leadership), la culture organisationnelle (évaluation des valeurs et des façons de faire informelles) et l’écosystème interne (évaluation des procédures et des façons de faire formelles).
Il faut ensuite organiser des groupes de discussion afin de valider les principaux constats de l’étude. En profiter pour poser les questions qui dérangent : quelle est la capacité de l’entreprise à donner du temps pour réfléchir, à parier sur le long terme, à prendre des risques, à accepter les erreurs, à coopérer sur les idées et à collaborer dans leur exécution à travers les cloisons organisationnelles? L’étude sur l’état de préparation révèle généralement la difficulté des gestionnaires à trouver un équilibre entre l’efficacité opérationnelle (quête de performance continue) et la promotion d’un style de leadership créatif (quête de compétitivité à long terme).
Le nouveau rôle des leaders RH : gérer l’étude et les groupes de discussion. Agir comme conseiller stratégique auprès de la haute direction, l’informer sur l’évolution nécessaire du style de gestion et son impact sur les valeurs organisationnelles. Par exemple, faire évoluer les gestionnaires habitués à transmettre des objectifs et à gérer des équipes performantes vers un mode de gestion collaboratif où ils se mettent au service de leur équipe, libérant ainsi un maximum d’espace pour que les membres se mesurent entre eux et créent ensemble.Étape 3 – Alignement
Il est finalement essentiel de réviser la mission, la vision et les valeurs de l’organisation afin qu’elles reflètent la nouvelle stratégie de l’entreprise et soulignent son engagement à innover. L’ensemble doit former un tout cohérent et solide qui favorisera la prise de décision dans les moments d’incertitude. C’est la clé de voûte du changement, celle qui va inspirer et attirer de nouveaux talents ou, au contraire, les faire fuir.
CÔTÉ TÊTE Gestion de l’innovation | CÔTÉ CŒUR Gestion du changement |
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Concevoir un plan flexible
Ce plan doit être structuré et simple, pour pouvoir être facilement ajusté. Il doit identifier les principaux acteurs du changement et les responsabiliser, l’autonomie étant corrélée de façon positive à l’innovation. Ce plan doit comprendre à la fois un côté tête (lancer des initiatives pour innover) et un côté cœur (entamer les principales étapes du changement culturel), comme l’indique le tableau ci-dessous.
Le nouveau rôle des leaders RH : accompagner, nourrir et se nourrir durant l’ensemble du processus, mettre l’innovation au cœur de la stratégie des ressources humaines. S’assurer que chacun comprend son rôle, l’assume et est bien formé pour l’exécuter.
Véhiculer la volonté de prendre des risques
Cette volonté doit être inébranlable, elle doit constituer le socle de la nouvelle culture. Elle sera testée de nombreuses fois et la réponse de l’organisation épiée de près par des acteurs internes et externes.
- Tester sa volonté, c’est d’abord suivre le plan et la stratégie adoptée, sans se laisser décourager par l’ampleur du chantier, en gardant à l’esprit sa vision d’innovation.
- Tester sa volonté, c’est aussi identifier les poches de résistance et y faire face, même lorsqu’elles remettent en question ses convictions et qu’elles ébranlent les nouvelles valeurs établies.
- Tester sa volonté, c’est laisser partir des gens compétents, mais qui ne correspondent
plus à cette nouvelle stratégie d’innovation. C’est remettre en question la micro-gestion, ne plus accepter les egos démesurés et briser les cloisons. C’est se demander pourquoi l’entreprise de demain, agile et transparente, devrait continuer à promouvoir des individus dont la plus grande qualité est leur sens politique.
- Tester sa volonté, c’est accepter l’échec comme mode d’apprentissage, l’humilité comme mode de vie organisationnel, la sincérité comme mode de communication et l’écoute comme mode de gestion.
- Finalement, tester sa volonté, c’est investir, même en période difficile, afin de préparer l’avenir. C’est résister à la procrastination et à la rationalisation excessive. C’est mettre à disposition des ressources en temps et en argent et comprendre que le « budget zéro », si cher à certains politiciens, tue l’innovation et par conséquent la croissance.
Conseiller stratégique en innovation
Dans une étude réalisée en 2014 par Accenture, intitulée Why Low-Risk Innovation is Costly, 93 % des dirigeants sondés ont affirmé que le succès à long terme de leur entreprise dépendra de leur capacité d’innover; mais seulement 13 % croient que leur stratégie d’innovation actuelle leur procure un réel avantage compétitif.
Les leaders RH ont clairement une place à prendre dans le débat organisationnel autour de l’innovation et un rôle critique à jouer auprès de la haute direction, car ils se trouvent au centre de la partie (individus, culture, écosystème interne). Outre la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie en ressources humaines, les leaders RH devront remettre en question leurs propres structures et façons de faire, en se demandant par exemple :
- Les généralistes et les fonctions experts travaillent-ils en mode collaboratif?
- Prenons-nous le temps de réfléchir ensemble à de nouvelles avenues?
- Prenons-nous le temps d’analyser ensemble ce qui se fait ailleurs?
- Incluons-nous nos clients internes dans la redéfinition de nos programmes (par exemple, le programme de gestion de la performance)?
- Maîtrisons-nous des méthodes d’idéation? Les utilisons-nous?
Poser les bonnes questions, c’est déjà apporter une bonne partie des réponses!
Philippe Mast, CRHA, cofondateur CORTO.REV
Paula Pereira, MBA, consultante, CORTO.REV
Source : Effectif, volume 18, numéro 1, janvier/février/mars 2015.