Au seuil de l’autarcie intellectuelle
Plus de vingt ans se dont écoulés depuis que Peter Senge a lancé le mouvement des organisations apprenantes. Dans les années qui ont suivi, ce courant de pensée a fait tache d’huile et nous a permis de découvrir de nouvelles manières d’organiser notre milieu de travail, notamment par la mise en commun des connaissances. David A. Garvin (Harvard Business School) proposait les activités à privilégier pour qu’une organisation devienne « apprenante » :
- résoudre les problèmes en groupe
- expérimenter des projets pilotes
- faire le bilan des expériences
- apprendre avec les autres
- diffuser les connaissances
Autrement dit, l’organisation apprenante est capable de créer, d’acquérir et de transférer de la connaissance tout en modifiant son comportement pour refléter les nouvelles connaissances.
De nombreuses entreprises s’y sont mises. Elles sont devenues le foyer de nouveaux réseaux de communication largement facilités par l’émergence des réseaux sociaux. La quantité, la qualité, la vitesse de diffusion de l’information sont devenues phénoménales au point que le cerveau humain n’arrive plus à suivre le mouvement. Rivés à nos écrans du matin au soir (tablette, téléphone intelligent, ordinateur), nous sommes au seuil de l’autarcie intellectuelle.
Y a-t-il encore des secrets?
Inévitablement, cette réalité nous a ouvert des sources de renseignements presqu’inaccessibles jusqu’alors. Ainsi, à lire les détails de tous les scandales qui ont marqué l’actualité des dernières années, il est permis de se demander s’il y a encore des secrets, notamment ceux qui concernent nos leaders. Ces derniers ont terriblement pâli sur le plan de leur leadership au cours de la dernière décennie. Quel mortel parviendrait vraiment à susciter aujourd’hui l’admiration de ses congénères, tels les modèles qui ont inspiré les humains depuis l’aube de l’humanité? En effet, bien malin celui qui pourrait faire l’unanimité à titre de leader inspirant, quel que soit le milieu, politique, scientifique, artistique, sportif ou même religieux. Il se crée donc un vide existentiel à ce niveau.
Ce qui a donné naissance aux dieux tenait de l’incapacité des êtres humains à comprendre les phénomènes naturels (tremblements de terre, éruptions volcaniques, éclipses, tsunami, etc.) et à la peur qui en résultait. C’est ce qui les a amenés à s’en remettre aux plus futés d’entre eux pour expliquer ces phénomènes de façon bien souvent fantaisiste, sinon inexacte. C’est ainsi que les religions sont nées. Et la loi de nature (la loi du plus fort) a fait le reste pour nous donner des « leaders ».
Certes, nous avons eu des héros qui nous ont été présentés bien souvent comme des leaders par les historiens. La recherche et l’information ont néanmoins permis de débusquer le caractère moins vertueux de bon nombre d’entre eux et à nous les faire apparaître sous un angle un peu moins inspirant. Manifestement, bien peu de secrets sont encore bien gardés.
La famille n’est plus le principal foyer du développement social
L’abolition de la famille traditionnelle comme premier lieu de socialisation et de reproduction sociale a commencé du temps de Karl Marx qui prônait alors une éducation collective des enfants nés dans une communauté. Était-ce un prélude à l’éclatement de la cellule familiale en Occident (divorce, parents au travail, garderie en bas âge, précocité de la sexualité, protection du droit des enfants)? Il faudra voir comment évoluera la communication entre les membres d’une même famille dans les prochaines décennies pour mieux répondre à cette question. Il n’est pas évident qu’avec l’émergence des communications tous azimuts et l’accès à l’information-spectacle qui distrait les personnes de tous âges, la communication familiale traditionnelle survivra aux assauts de l’univers virtuel.
À tout âge, les gens se retrouvent dans des organisations structurées (garderie, école, université, organisme social, entreprise ou administration) où ils apprennent à socialiser tout en s’imprégnant des valeurs culturelles propres à ces organisations. Non pas que ce soit mal en soit ou qu’il faille y voir des dangers. Il semble bien que ce soit une évolution naturelle dans un monde où la technologie s’impose comme un levier du progrès. La question porte davantage sur la qualité de ces organisations.
Des organisations inspirantes pour un monde meilleur
Les organisations dans lesquelles évoluent les êtres humains durant leur vie sont-elles à la mesure de la société qu’ils veulent bâtir pour un monde meilleur? Tous ceux qui consacrent leur carrière au développement des individus (à partir de la garderie jusqu’à la retraite) doivent maintenant se demander si les organisations apprenantes sauront enseigner les bons savoirs, les bons savoir-faire et les bons savoir-être. De nouvelles responsabilités incombent à ceux qui choisissent le métier de gestionnaire ou de spécialiste des ressources humaines.
Voulons-nous que les organisations soient un fructueux prolongement de la famille ou qu’elles se substituent à la famille comme foyer du développement social des êtres humains? Dans un cas comme dans l’autre, les organisations se doivent d’être à la fois apprenantes et inspirantes afin de faire émerger un monde meilleur, c’est-à-dire plus humain et, pourquoi pas, plus efficace.
Le chemin qui conduit à des organisations inspirantes passe par la voie des organisations apprenantes, mais également par des modèles inspirants : de l’éducatrice à la garderie jusqu’aux dirigeants en passant par les professeurs, les gestionnaires et les « autorités ». Il faudra repenser les modèles d’apprentissage et favoriser des approches comme le codéveloppement, le coaching et le mentorat inspirés par les sciences cognitives.
Applications pratiques
Comportements à privilégier par le gestionnaire
Quelles sont les trois actions que vous pouvez entreprendre pour rendre votre unité administrative plus apprenante?
Comportements à privilégier pour le professionnel RH
Comment pourriez-vous accentuer les activités de codéveloppement, de coaching et de mentorat au sein de votre organisation?
Jean-Pierre Fortin, CRHA, MCC, CPA est coach exécutif et fondateur de Coaching de gestion inc. Il forme des coachs de gestion et des coachs exécutifs. On peut le joindre par téléphone [514 735-9333] ou par courrier électronique [fortinjp@coaching.qc.ca]. Site web : www.coaching.qc.ca