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Universités d'entreprise: apprendre au travail comme à l’école

Un sondage effectué en 2002 par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale estimait que neuf entreprises québécoises sur dix soutiennent d'une manière ou d'une autre la formation et le perfectionnement de leurs employés. Plusieurs ont même choisi d'en faire leur cheval de bataille et d'établir de véritables centres de formation dans leur organisation. Résultat: des milliers de travailleurs québécois entrent chaque jour au travail comme à l'école… pour y apprendre.

1 juin 2003
Guylaine Boucher

Dès l'entrée du petit village de Kingsey Falls en Estrie, la présence du géant des pâtes et papiers Cascades est imposante. C'est que, outre l'usine et le siège social qui trônent au beau milieu de la petite agglomération, l'entreprise a aussi acquis et rénové l'un des bâtiments du village pour y installer son centre de formation. Un choix qui s'est imposé au milieu des années 1990, selon le vice-président, ressources humaines. «Dans les pâtes et papiers, la formation en usine est très populaire. On procède par jumelage pour favoriser le transfert des connaissances. Cascades a donc, d'une certaine façon, toujours fait de la formation. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, lorsque le gouvernement fédéral a incité les entreprises à produire des plans de développement des ressources humaines, les choses ont par contre un peu changé. Nous avons structuré notre approche, embauché un coordonnateur à la formation et commencé à offrir des formations à l'extérieur de l'usine. Nous utilisions les locaux de la municipalité. Avec mille deux cents employés, l'espace est vite devenu trop petit. En 1996, nous inaugurions nos propres locaux. Aujourd'hui, ils sont occupés en permanence. Une salle d'ordinateurs est même constamment à la disposition de nos employés.»

Cascades n'est pas la seule entreprise québécoise à avoir décidé d'accorder plus de place à la formation dans son organisation. En fait, les décisions des frères Lemaire en matière de formation ressemblent à s'y méprendre à celles des dirigeants de la chaîne d'alimentation Provigo à la même époque. «Dans le domaine de l'alimentation, il faut être collé à la réalité du terrain, explique Diane Trudel, CRHA, directrice du Centre de formation Provigo. Pendant des années donc, la formation se faisait uniquement en magasin, grâce à des gens expérimentés et intéressés à transmettre leur savoir. C'était assez informel. En 1997, l'entreprise faisait un pas en créant l'Académie Provigo. C'était un centre de formation virtuel qui n'était pas rattaché à un lieu physique en particulier. Les activités de formation avaient lieu dans différentes salles et magasins. En 2000, l'entreprise a cependant senti le besoin de centraliser les activités et de rendre des locaux disponibles en permanence pour la formation. Cela dit, plus de 80% de la formation continue de se faire sur le terrain, en magasin particulièrement.»

À la Financière Sun Life, où un Service de développement des connaissances existe depuis déjà plus de cinq ans, on offre aussi de nombreuses heures de formation aux employés. Les moyens pour y parvenir sont cependant différents. Après avoir misé sur une «université» d'entreprise avec salles de classe et tout le tralala, on a de fait choisi d'utiliser les technologies de l'information comme mode de diffusion des connaissances. «Pendant quelques années, nous avons abordé la question du développement des compétences en offrant des cours sur différents sujets en lien avec l'univers de travail, que ce soit le travail d'équipe ou le service à la clientèle, explique André Michaud, CRIA, chef du Service de développement des connaissances. Nous avions des infrastructures, un environnement formel de formation auquel les gens se référaient. Avec l'acquisition de Clarica, nous avons découvert la formation en ligne. Clarica utilisait cette méthode depuis un certain temps déjà et ça fonctionnait. Nous avons choisi de combiner les deux stratégies.»

Perfectionnement et avancement

Quelles que soient les approches privilégiées, la formation offerte est constituée en grande partie de cours et de séminaires d'appoint. Elle porte sur des sujets multiples, de la chimie à la santé et sécurité du travail chez Cascades, en passant par le service à la clientèle chez Provigo et la vente du côté de la Financière Sun Life. Elle sert la plupart du temps à rafraîchir les connaissances des employés déjà en poste. La situation est particulièrement évidente chez Sun Life où, explique André Michaud, «les employés peuvent, en tout temps, avoir accès à un répertoire d'information sur la compagnie, les produits, etc. Ils peuvent aussi participer à des forums de discussion sur différents sujets en lien avec le travail grâce à l'intranet. Comme il y a un responsable de la formation dans toutes les unités de travail, nous pouvons aussi intervenir de manière plus pointue pour expliquer aux employés comment ils peuvent, par exemple, utiliser l'intranet pour parfaire leurs connaissances».

Cela dit, il n'est pas rare non plus que la formation en entreprise soit utilisée pour accueillir les nouveaux employés ou permettre leur avancement professionnel. Chez Provigo, c'est le Centre de formation qui voit à la préparation de la relève. «Tous les futurs directeurs de magasin passent à travers un programme de formation de vingt et une semaines à temps complet. Une partie de la formation se fait en classe, mais la plupart du temps, ils sont sur le terrain, parrainés par un directeur d'expérience. C'est la même chose pour les gérants de département qui doivent, eux, suivre une formation de treize semaines», explique Diane Trudel. Au Centre de formation de Cascades, on a même poussé l'audace jusqu'à offrir à certains employés une formation menant à un diplôme universitaire reconnu. C'est ainsi qu'avec la collaboration de l'Université de Sherbrooke, deux groupes de gestionnaires déjà à l'emploi de l'entreprise ont complété un M.B.A. depuis 1998.

Au total, environ 75% des employés de Cascades ont pu, à un moment ou à un autre, bénéficier d'une formation, soit environ dix mille cinq cents personnes. Chez Provigo, on parle de dix mille participants en six ans. Du côté de la Financière Sun Life, ce sont tous les employés de la compagnie qui sont reliés à l'intranet et qui ont, par conséquent, accès aux programmes de formation.

Des investissements payants

Locaux adaptés, formateurs, consultants, matériel, ordinateurs… Il va sans dire que le choix de mettre sur pied un service exclusivement consacré à la formation implique des investissements importants de la part des entreprises. Pour les responsables de formation interrogés, il ne fait cependant aucun doute que le jeu en vaut la chandelle. «En investissant dans la formation au cours des dernières années, nous avons permis à nos gens de progresser professionnellement, mais aussi personnellement, explique le vice-président, ressources humaines de Cascades. C'est un excellent moyen de rétention. Quand on sait ce que coûte aujourd'hui le recrutement, il y a énormément d'économies à faire en misant sur la rétention de son personnel. Tout ça a aussi fait d'eux des gens plus performants, plus conscients de la qualité des produits. Ce n'est pas rien.»

Même son de cloche chez Provigo où, de l'avis de Diane Trudel, «c'est la formation qui permet non seulement de retenir le personnel, mais aussi d'atteindre les objectifs d'affaires que se fixe la compagnie».

À la Financière Sun Life, André Michaud parle pour sa part de temps gagné. «Simplement en offrant aux gens un cours d'initiation à la compagnie, nous avons constaté que nous leur permettions d'être fonctionnels plus rapidement. Dans certains cas, nous sauvons même deux jours de travail complet. C'est énorme compte tenu du nombre d'employés que compte la compagnie.»

Après tout, le temps… c'est de l'argent.

Guylaine Boucher est journaliste indépendante.

Source: Effectif, volume 6, numéro 3, juin / juillet / août 2003


Guylaine Boucher