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De la formation à l'apprentissage : distinguer la fin du moyen

 La formation constitue l'outil privilégié de transmission du savoir. Mais même si la formation dans les entreprises est un processus de plus en plus systématique, il n'en demeure pas moins qu'elle ne constitue qu'une infime partie des occasions d'apprentissage. Actuellement, les organisations investissent de 1% à 5% du temps de leurs employés en formation. Est-ce à dire que ces derniers n'apprennent rien pendant 95% de leur temps?

1 juin 2003
André Gagnon, CRHA

La théorie des Organisations apprenantes, tout en reconnaissant la valeur de la formation, considère que l'entreprise du futur est celle qui saura le mieux utiliser, à chaque instant, chacune des occasions d'apprentissage et, ainsi, mettre à contribution l'ensemble des intelligences dont elle dispose.

De la formation à l'apprentissage

Si l'on faisait le décompte de tout ce que l'on a appris depuis le début de sa vie professionnelle, on se rendrait vite compte que la majeure partie de ces nouveaux apprentissages ont été réalisés à des occasions autres que celle de la formation. Pourtant, dès le moment où l'on constate la nécessité d'apprendre de nouvelles choses, le premier réflexe n'est-il pas d'organiser une formation pour répondre à ce besoin? Si cela est vrai pour la majorité des gens, c'est qu'ils ont acquis avec le temps des a priori à l'égard de la formation, comme si cette dernière était la seule solution aux besoins d'apprentissage et que l'apprentissage ne durait que le temps de la formation.

La formation constitue un moyen pour apprendre, la fin étant l'apprentissage. Si ce constat est vrai pour la formation, il l'est aussi pour les autres occasions d'apprendre. Ce que l'on reconnaît le plus souvent dans les organisations, ce sont les efforts déployés pour la formation du personnel, mettant ainsi en évidence le moyen plutôt que la fin. S'il est vrai que la formation est considérée, à juste titre, comme un moment privilégié pour apprendre, elle ne constitue toutefois qu'une infime partie de notre temps de travail, alors même que nous réalisons la majeure partie de nos apprentissages à l'extérieur de ces moments formels. Alors, pourquoi parle-t-on le plus souvent de «formation continue», signifiant par là qu'un employé devra se former tout au long de sa vie professionnelle? Ne devrait-on pas plutôt parler «d'apprentissage continu», reconnaissant par là tout ce qu'un employé sera susceptible d'apprendre autant en formation qu'au travail tout au long de sa vie? Briser le paradigme de la formation supposerait de reconnaître l'apprentissage comme valeur organisationnelle. Vue sous cet angle, la formation prend sa juste place et ce sont l'ensemble des efforts et des moyens déployés par chacun des membres de l'organisation pour apprendre et contribuer à l'apprentissage dans son milieu qui deviennent objets de reconnaissance.

Apprendre fait partie de la vie. C'est aussi naturel et continu que manger, dormir, se distraire, éduquer ses enfants. Une organisation apprenante est un milieu qui valorise et reconnaît l'apprentissage continu chez ses employés. Chaque employé de cette entreprise est un apprenant : il est suffisamment humble pour reconnaître son besoin d'apprendre et suffisamment curieux pour acquérir en continu de nouveaux apprentissages. Chaque employé de cette entreprise est également un formateur : il est suffisamment engagé pour partager en continu les savoirs qu'il a acquis.

Pourquoi adopter une vision d'apprentissage continu?

Plusieurs raisons d'ordre économique et organisationnel militent en faveur de l'adoption d'une vision d'apprentissage continu. Est-il encore nécessaire de mentionner les nombreuses études et cas vécus qui ont démontré sans l'ombre d'un doute que les entreprises performantes de demain seront celles qui sauront utiliser au maximum toutes les intelligences de l'organisation? Ou encore, qu'un des avantages concurrentiels définitifs pour les organisations résidera dans leur capacité à apprendre mieux et plus vite que leurs compétiteurs?

Le paradigme de la formation a entraîné les organisations vers une prise en charge par l'entreprise de l'apprentissage des individus, alors même que l'employé doit être le premier artisan de son apprentissage : la vision d'apprentissage continu devrait permettre de responsabiliser les personnes à l'égard de leur apprentissage en développant leurs capacités à apprendre mieux autant en formation qu'au travail, maximisant ainsi leur talent.

Enfin, pensons que, si les organisations s'occupent généralement très bien de l'efficacité des apprentissages en formation, il en est autrement de toutes les autres occasions d'apprendre au travail : organiser le travail pour qu'il soit formateur, utiliser le temps de travail comme lieu privilégié d'apprentissage pour ainsi diminuer et maximiser le temps de formation, voilà les enjeux importants de l'apprentissage continu.

Implanter une démarche
d'apprentissage continu dans une organisation

Dans une organisation où on met en valeur l'apprentissage continu, l'employé est au cœur du processus : on lui confère la responsabilité d'apprendre, mais aussi celle de donner. Pour aider cet employé à assumer pleinement cette «nouvelle» responsabilité, l'entreprise devra lui fournir les moyens de développer ses capacités d'apprendre et de partager ses savoirs et mettre en place un ensemble de conditions valorisant et favorisant l'apprentissage continu.

Un programme pour développer les
capacités d'apprendre des individus

Dans une organisation où on met en valeur l'apprentissage continu, «démontrer une grande capacité à apprendre rapidement» devrait être une prédisposition à vérifier au moment de l'embauche, et ce, pour tous les emplois. Elle constitue un préalable au programme de développement des capacités d'apprendre. Cette compétence se définit comme la capacité d'apprendre rapidement devant de nouveaux problèmes, la capacité à apprendre sans cesse et dans des domaines variés, la capacité d'analyser les succès comme les échecs pour en tirer des leçons et s'améliorer, l'aptitude à essayer des approches nouvelles et à tenter différentes solutions pour résoudre des problèmes, la volonté de relever des nouveaux défis, de saisir rapidement l'essentiel et les aspects fondamentaux d'une situation.

Un programme de développement des capacités d'apprendre devrait comporter trois stades, correspondant aux phases de développement d'un individu dans une organisation. Le tableau ci-dessous illustre ce processus.

1. Développer ses capacités à apprendre à apprendre en formation (1% à 5% du temps)

On en est au premier stade de développement d'un employé où il doit s'initier à des nouvelles façons de faire, se familiariser avec son milieu de travail. Généralement, l'organisation a prévu lui procurer une formation sous forme de cours, d'entraînement à la tâche, de période d'immersion supervisée par un accompagnateur, etc.

«Apprendre à apprendre en formation» constitue une compétence que l'employé devra acquérir avant de s'engager dans son programme de formation. Le but recherché est qu'il puisse profiter au maximum des activités de formation offertes par l'entreprise. On désire faire en sorte par cette intervention que l'employé prenne conscience de ses responsabilités comme apprenant, une compétence qu'il pourra utiliser tout au long de sa vie professionnelle. Il arrive très souvent que des employés, après avoir suivi un atelier sur ce sujet, disent qu'ils auraient bien apprécié le suivre dès le début de leur formation secondaire ou collégiale, ce qui leur aurait permis sans aucun doute de retirer davantage de leur formation de base.

«Apprendre à apprendre en formation» vise à faire en sorte que chaque employé puisse reconnaître son style d'apprentissage et identifier ainsi ses meilleures stratégies pour apprendre ou encore les indiquer au formateur qui pourra alors ajuster sa façon d'enseigner en conséquence. L'employé, en comprenant mieux les facteurs qui interviennent dans l'apprentissage, sera plus attentif, n'aura pas honte de dire qu'il ne comprend pas, saura intervenir auprès du formateur pour lui demander de reprendre des explications, sera plus motivé à poser des questions, etc.

2. Développer ses capacités à apprendre à apprendre au travail (95% du temps)

À ce stade de développement, l'employé est autonome et maîtrise assez bien les différents aspects de ses tâches. Il participe, acquiert de l'expérience, désire se perfectionner. Il faut lui donner les moyens d'apprendre à apprendre au travail.

La majorité des personnes affirment que leurs apprentissages les plus significatifs ont été réalisés hors de toute situation officielle de formation. Le défi n'est donc pas de créer une dynamique «apprendre à apprendre au travail», mais de favoriser cette dynamique qui se fait naturellement.

«Apprendre à apprendre au travail» vise à faire en sorte que chaque employé soit en mesure de reconnaître et d'exploiter les sources d'apprentissage actuelles de son milieu de travail. Il est de la responsabilité de la direction de l'entreprise de créer l'environnement favorable pour qu'il y ait apprentissage au travail en valorisant, en favorisant et en organisant les sources d'apprentissage les plus efficaces, bref, en organisant le travail pour qu'il soit formateur en tout temps.

«Apprendre à apprendre au travail» suppose que l'entreprise aborde la problématique de la résolution de problèmes en termes de culture d'entreprise. Les problèmes éprouvés concernent l'entreprise dans son ensemble. Quand une organisation qui apprend aborde ses problèmes globalement, de façon décloisonnée, et fait appel aux personnes impliquées pour trouver des solutions, tout le monde en bénéficie. Les problèmes rencontrés seront stimulants et source d'apprentissage si l'entreprise reconnaît le droit à l'erreur, n'applique pas la politique de l'autruche, mais instaure une culture de résolution de problèmes, ne se concentre pas sur la chasse aux coupables, mais parle de la résolution d'un problème comme d'une occasion de progrès ou d'apprentissage, d'innovation, de défis à relever. «L'apprentissage par les problèmes n'est pas automatique. Ce qui est formateur, c'est le recul qu'on prend par rapport aux difficultés rencontrées pour en tirer un enseignement. C'est l'évaluation qu'on porte sur l'expérience vécue. Sans cet effort pour digérer les situations, vous pouvez accumuler les expériences et recommencer le même genre d'erreurs.» (Darvogne et Noyé, Organiser le travail pour qu'il soit formateur)

3. Contribuer à l'apprentissage dans son milieu

Il faut maintenant préparer l'employé qui a atteint une maîtrise dans son domaine à aider les autres à apprendre. Dans une organisation où on met en valeur l'apprentissage continu, ce sont tous les employés de l'entreprise qui, à divers stades de leur développement, participent au partage et à l'amélioration du savoir.

«Contribuer à l'apprentissage dans son milieu» vise à faire en sorte que chaque employé soit un modèle pour les autres, qu'il soit motivé et en mesure de transmettre son expertise dans l'une ou plusieurs des situations suivantes: de manière informelle, en accompagnant une ou plusieurs personnes, «sur le tas»; formellement, en se chargeant de l'entraînement à la tâche (formation pratique); ou encore plus formellement, en diffusant des activités de formation théorique.

«Contribuer à l'apprentissage dans son milieu» suppose donc de développer chez tous les employés leurs compétences comme agent de formation. Ainsi, en plus d'avoir les capacités de reconnaître et d'exploiter les sources d'apprentissage dans son milieu, l'employé sera habile à utiliser et à maximiser toutes les occasions pour faire apprendre mieux et en tout temps.

Conditions à mettre en oeuvre pour implanter une démarche d'apprentissage continu

L'entreprise qui désire favoriser l'apprentissage continu devra mettre en œuvre un certain nombre de conditions pour en assurer le succès.

Dans cette entreprise, on a remplacé la politique de formation par une politique d'apprentissage continu, où l'apprentissage est défini comme une valeur faisant partie des orientations stratégiques. Cette politique est suffisamment explicite pour indiquer clairement à tous les employés qu'apprendre et transférer ce que l'on a appris sont des actes que l'on considère comme importants, qui font partie intégrante des responsabilités quotidiennes de chacun des employés et vont aider l'entreprise à être la meilleure. C'est en quelque sorte le credo de l'apprentissage continu auquel la direction et l'ensemble des employés ont adhéré.

Dans cette même organisation, on a redéfini les rôles et responsabilités à tous les niveaux en tenant compte de l'apprentissage comme valeur organisationnelle. Ainsi, le service de formation est devenu le «service d'apprentissage et développement», signifiant par là la nécessité de se recentrer sur la fin plutôt que sur les moyens, élargissant par le fait même la mission de ce service. On a revu, par exemple, les rôles et responsabilités de la supervision en y incorporant des énoncés tels que «le superviseur a la responsabilité de favoriser l'apprentissage sous toutes ses formes et de le valoriser».

On y a établi un système de reconnaissance de l'apprentissage, et ce, autant pour l'acquisition et la transmission que pour l'amélioration du savoir. Reconnaître les efforts déployés par un employé pour apprendre ou faire apprendre fait partie désormais des critères qui seront appréciés lors du processus d'évaluation de la performance.

Dans cette entreprise, on a revu les stratégies de formation actuelles pour qu'elles favorisent l'alternance formation-travail. On a redessiné les modes d'organisation du travail, d'encadrement et de supervision pour qu'ils favorisent l'apprentissage, par exemple en encourageant l'auto-analyse du travail, en revoyant la structure des équipes et la répartition des tâches, en créant des lieux d'échange et de discussion, en favorisant les réunions.

On aura, finalement, préparé les superviseurs et les employés à assumer leur rôle dans un contexte d'apprentissage continu.

Conclusion

L'entreprise du futur sera celle qui sera la plus apte à mettre à contribution l'ensemble de ses talents, le développement des ressources humaines étant le moteur principal de la croissance des organisations. Pour atteindre cet objectif, elle devra définir l'apprentissage comme une valeur clé faisant partie intégrante des orientations stratégiques. Cette façon de voir permet de recentrer les efforts déployés par l'organisation sur la fin (l'apprentissage) plutôt que sur le moyen (la formation). Dans ce contexte, on se devra de repenser les stratégies de développement des talents pour qu'elles tiennent compte de toutes les sources d'apprentissage incluant la formation bien sûr, mais également et surtout toutes les occasions d'apprendre qui sont reliées au travail. Pour ce faire, l'organisation devra améliorer la capacité d'apprendre de tous ses employés mieux et plus efficacement non seulement en formation, mais aussi au travail, en plus de développer leurs capacités à aider les autres à apprendre. Cette démarche vers l'apprentissage continu ne pourra pas être un succès cependant, si l'entreprise ne met pas en œuvre un certain nombre de conditions reliées à l'engagement de la direction et des individus, à l'établissement d'un système de reconnaissance de l'apprentissage et à la redéfinition des rôles et responsabilités des acteurs impliqués.

André Gagnon, CRHA est consultant, formation et développement organisationnel chez AGD formation inc.

Source: Effectif, volume 6, numéro 3, juin / juillet / août 2003


André Gagnon, CRHA